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Les Musicales de Blanchardeau, une 22e édition très fauréenne

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Plouha. Chapelle Ker-Maria-an-Isquit. 30-VII-2024. Franz Schubert (1797-1828) : Trio n°1 op. 99 D898. Arnold Schoenberg (1874-1951) : La Nuit transfigurée op. 4. Trio Karénine (Paloma Kouider, piano ; Julien Dieudegard, violon ; Louis Rodde, violoncelle)
Pléguien. Église Notre-Dame de Soumission. 2-VIII-2024 . Gabriel Fauré (1845-1924) : Sonate pour violon et piano op. 13. Lili Boulanger (1893-1918) : Nocturne et Cortège. Sergueï Prokofiev (1895-1953) : Sonate n° 2 op. 94a. Déborah Nemtanu, violon ; Lidija Bizjak, piano
Pléguien. Église Notre-Dame de Soumission. 5-VIII-2024 . Antonín Dvořak (1841-1904) : Danses slaves op. 46 n° 3, 2, 8 et op. 72 n° 2. Hervé Billaut et Guillaume Coppola, piano
Pléguien. Église Notre-Dame de Soumission. 7-VIII-2024 . Franz Schubert (1797-1828) : Sonate Arpeggione D821. Frank Bridge (1879-1941) : Sonate H125. Gabriel Fauré (1845-1924) : Six pièces (Élégie, Sicilienne, Berceuse, Romance, Papillon). Xavier Phillips, violoncelle ; Cédric Tiberghien, piano
Pléguien. Église Notre-Dame de Soumission. 9-VIII-2024 . Gabriel Fauré (1845-1924) : Nocturne n° 13 op. 119 ; Quatuor à cordes op. 121. Ernest Chausson (1855-1899) : Concert pour violon, piano et quatuor à cordes op. 21. Quatuor Hermès (Omer Bouchez/Elise Liu, violons ; Yung-Hsin Lou Chang, alto ; Yan Levionnois, violoncelle) ; Pierre Fouchenneret, violon ; Romain Descharmes, piano

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« Une femme de tête et de cœur », telle était Annick Gaillard, disparue quelques mois avant la 22e édition des Musicales de Blanchardeau, festival qu'elle co-fonda avec la complicité de son époux en plein cœur du Trégor.

Tels sont les mots de Cornelia Lindenbaum-Desdoigts qui, depuis un bon lustre a repris en main la manifestation devenue une référence de la musique de chambre le temps de six concerts (au lieu de trois à l'origine), avec cette année une programmation faisant la part belle à , dont l'on célèbre le centenaire de la mort.


Des frontières, avec le

De Schubert, à la frontière entre classicisme et romantisme, à Schoenberg, à la frontière entre romantisme et modernité, les Karénine emmènent l'aficionado des Blanchardeau, généralement friand d'un classicisme bon teint, aux frontières de sa zone de confort. Au public qui a envahi la craquante Chapelle de Kermaria, Louis Rodde, violoncelliste de l'ensemble, présente le « cadeau immémoriel » du répertoire chambriste qu'est le Trio opus 99 de , avec lequel on peut s'autoriser à « se réjouir en mode mineur et pleurer en mode majeur ». Ce que chacun ne manque pas de faire à l'écoute du piano apollinien de Paloma Kouider, tout attaché à contrôler les aveux et épanchements du compositeur au fil desquels on voit le violoncelle se pencher plusieurs fois vers le violon, dans un idéal mélange d'enfance joueuse et d'âge adulte inquiet. Puis, sans entracte, comme c'est devenu la coutume aux Musicales à partir de l'étrange année 2020 (adieu verre de cidre et petit gâteau offerts à la pause…), une fois détaillé le scénario de La Nuit transfigurée (une confession, le temps d'une balade nocturne), partition d'un Schoenberg encore dans le respect des lois de la tonalité, le public s'abandonne à l'envoûtante transcription réalisée par Eduard Steuermann, un des créateurs du Pierrot Lunaire, de cette œuvre originellement prévue pour un sextuor de cordes. La couleur mystérieuse induite par l'introduction pianistique rassure tous les réfractaires au modernisme. À la barbe du violon impassible de , le souffle bien audible accompagnant ses coups d'archet transforme peu à peu Louis Rodde en « Glenn Gould du violoncelle ». À l'apaisement des arpèges lunaires conclusifs, on se plaît à imaginer que c'est lui qui vient d'endosser sous nos yeux la voix humaine du héros de Zwei Menschen, le poème de Richard Dehmel à l'origine de La Nuit transfigurée, cet homme qui accepte la paternité d'un enfant qui n'est pas de lui.

Le temps des compositrices

Après que Philippe Le Goux, maire de la commune de Pléguien où les Musicales ont progressivement pris leurs quartiers, a redit l'importance, même au cœur des campagnes, d'une manifestation fondée « avec rien » par Annick Gaillard, le duo formé par la violoniste et la pianiste Lidija Bizjak annonce la Une de La Gazette de Lili, programme conçu autour de . Un récital où la jeune sœur, disparue à l'âge de 24 ans, d'une des plus grandes pédagogues du XXe siècle se taille encore une portion bien congrue entre Fauré, son premier professeur, et Prokofiev, prestigieux évocateur de l'âme russe héritée de la mère de la compositrice, née princesse Raïssa Ivanovna Mychestsky. La Sonate n° 1 du Français, un siècle et demi après sa création, fait encore figure d'épreuve du feu pour ses auditeurs comme pour ses interprètes qui, ce soir, mettent un temps à trouver leur son, le violon de ne se libérant vraiment qu'après un Allegro molto lancé en pleine puissance. Les conclusions pianistiques de Lidija Bizjak sont extrêmement pensées. La rythmique endiablée du Scherzo emporte tout sur son passage jusqu'aux contre-temps grisants du Finale. Transcrite en 1943, à la demande de David Oïstrakh qui avait créé les deux concertos de violons du compositeur, à partir de la partie de flûte originelle de 1942, la Sonate n° 2 de Prokofiev est également une œuvre difficile à saisir pour le néophyte qui finit tout de même par se laisser convaincre par la remarquable partie percussive du piano de l'Allegro con brio. Entre ces deux mastodontes, se glisse le bref et charmant Nocturne et Cortège de (à ne pas confondre avec Introduction et Cortège co-composé par Lili et Nadia).

et :  la mue

On les avait adorés en Espagnols. Siamois par la grâce d'une même chemise blanche à motifs, les voici russes pour Slava !, nouveau récital à quatre mains où tout n'est que complicité, dynamique idéale, mouvement juste. Pas d'interversion pianistique cette année, garde le premier plan, en termes visuels s'entend, les quatre mains des deux compères restant par ailleurs toujours personnalisées et distinctes, que ce soit dans un registre aigu particulièrement délié et cristallin, qui ne sent jamais l'effort, ou dans un accompagnement qui a toujours beaucoup à dire. Les thèmes originaux « à la manière de » des Danses slaves que son éditeur, dans la foulée du succès obtenu par les Hongroises de Brahms, avait demandées à Antonín Dvořak, montrent un jeu affirmé et souriant, même quand les mains se chevauchent amoureusement. L'opération séduction se poursuit sans encombre avec les Six morceaux opus 11 d'un Rachmaninov sous influence de Chopin, Lizst, et surtout du Groupe des Cinq notamment Rimski-Korsakov : un beau Thème russe, très bien développé ; une Valse très orchestrale ; un Slava ! conclusif échappé de Boris Godounov, un de ces thèmes russes si beaux, que l'on peut les répéter à l'envi, ce que ne manque pas de faire le jeune Rachmaninov. Le récital se termine en feu d'artifice avec Capriccio italien, œuvre bourrée de thèmes populaires (glanés dans les rues et les bibliothèques) d'un compositeur populaire : Tchaïkovski, le plus européen des compositeurs russes. Le second bis intronise une autre compositrice ressuscitée : Mel Bonis, dont Les Guitanos, énergique, familier, n'a guère à envier à la première Danse Espagnole de La Vita breve de De Falla.

et Cédric Tiberghien, en toute complicité

Est-il à l'heure actuelle violoncelliste de l'envergure (jeu mais aussi répertoire) de  ? On a beaucoup entendu le disciple de Mstislav Rostropovitch avec François-Frédéric Guy. C'est avec Cédric Tiberghien que l'on goûte cette fois le jeu habité, les couleurs différentes, et le son incomparable de son Matteo Gofriller de 1710. L'Arpeggione de Schubert frappe par le velours, la retenue, le velouté d'un piano presque en sourdine sous la voix du violoncelle : un Adagio suffocant au bord de l'extinction, un Allegretto étourdissant hélas conclu sous des applaudissements trop pressés malgré les vains efforts de Cédric Tiberghien pour faire entendre la façon dont il avait prévu de faire mourir le son. Les deux artistes lâchent ensuite les chevaux avec un invité trop rare, , dont la Sonate H 125, soulevée par un romantisme qu'on accole rarement aux compositeurs anglais, est une révélation pour tous. Retour à , cette fois en compositeur facile : souveraine Élégie, d'une prodigieuse intimité, tendue par Phillips et ponctuée par Tiberghien aux confins de l'émotion contenue, et puis Sicilienne de Pelléas et Mélisande, Berceuse, Romance et Papillons (le Vol du bourdon du compositeur français), toutes merveilles de caractérisation complice.

Imposants Fouchenneret, Descharmes, Hermès ; imposant Chausson

Fauré encore pour l'avant-dernier concert du festival mais Fauré en compositeur pour auditeurs avertis… Un Nocturne n° 13 à l'équilibre par . Le Quatuor à cordes opus 121, composé par le même au soir de sa vie, à l'ombre intimidante de Beethoven, voilé de deuil par les cordes des Hermès, notamment dans un Andante en quintessence de la mélancolie. Auparavant le violoncelliste de l'ensemble, Yan Levionnois, a fort à propos rappelé le bon mot d'Anatole France : « Si le chemin est beau ne nous demandons pas où il mène. » On pourrait en dire autant du Concert d', dont le , et font, dans la généreuse acoustique de l'Église Notre-Dame de Soumissison de Pléguien, une symphonie d'une richesse inépuisable. Entre le violon christique et brûlant de Fouchenneret, la furia de violoncelle de Levionnois, le piano monumental de Descharmes, l'interprétation de tous, jamais agressive, gravit des sommets en terme de densité émotionnelle inouïe. « Qu'est-ce que c'est beau ! », aurait conclu, comme à son habitude, Annick Gaillard.

Crédits photographiques : © Jacky Desdoigts/Philippe Le Goux

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Pléguien. Église Notre-Dame de Soumission. 2-VIII-2024 . Gabriel Fauré (1845-1924) : Sonate pour violon et piano op. 13. Lili Boulanger (1893-1918) : Nocturne et Cortège. Sergueï Prokofiev (1895-1953) : Sonate n° 2 op. 94a. Déborah Nemtanu, violon ; Lidija Bizjak, piano
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