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Cesare in Egitto de Giacomelli, une rareté absolue à Innsbruck

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Innsbruck. Landestheater. 11-VIII-2024. Geminiano Giacomelli (1692-1740) : Cesare in Egitto, opéra en trois actes sur un livret arrangé par Carlo Goldoni et Domenico Lalli. Mise en scène : Leo Muscato ; décors : Andrea Belli ; costumes : Giovanna Fiorentini. Avec Arianna Vendittelli (Giulio Cesare), Valerio Contaldo (Tolomeo), Emőke Baráth (Cleopatra), Margherita Maria Sala (Cornelia), Federico Fiorio (Lepido), Filippo Mineccia (Achilla). Accademia Bizantina ; direction : Ottavio Dantone.

Remarquablement chantée, cette recréation pâtit d'une réalisation scénique et orchestrale un peu trop monotone.

Le festival de musique ancienne d'Innsbruck n'a guère d'équivalent dans le monde : depuis 1976, et même si l'opéra est loin d'occuper tout son programme, le festival a joué un rôle considérable dans la redécouverte et l'extension du répertoire lyrique, notamment sous la direction de René Jacobs entre 1997 et 2009 – même si, hélas, beaucoup de résurrections n'ont pas été fixées au disque. Cette fois, c'est au tour de , qu'on connaît surtout comme pourvoyeur d'airs pour Farinelli, et son Cesare in Egitto. Et cette fois, on nous annonce une édition discographique, qui sera la première intégrale d'un de ses opéras.

Avouons-le, malgré le nom prestigieux de Goldoni qui y a collaboré, le livret de ce Cesare n'aide pas : même s'il raconte plus ou moins la même histoire que l'opéra quasi homonyme de Haendel (lui-même remontant au livret de Giacomo Francesco Bussani pour Sartorio en 1676), il l'affadit beaucoup, en particulier en renonçant totalement à faire voir la séduction de Cléopâtre et en introduisant particulièrement mal le happy end ; il se distingue notamment par la rancune tenace de Cornelia contre César, alors même qu'elle a toutes les preuves de sa bienveillance sous les yeux. Cela n'aide pas vraiment le compositeur : les airs sont brillants, et le soin pris à les adapter aux chanteurs de la création est très clairement présenté dans le programme par l'éditeur de la partition, mais on n'a jamais l'impression qu'il essaie de créer autre chose qu'une succession d'airs pris pour eux-mêmes. Il n'y a pas de véritable dramaturgie musicale, et les moyens mis en œuvre à l'orchestre restent bien peu variés : il y a certes des cors et des hautbois, mais les premiers sont utilisés dans leur acception guerrière la plus commune, les seconds n'apportent comme les bassons que quelques couleurs supplémentaires sans beaucoup d'autonomie. La direction dynamique et sonore d' à la tête de son gagnerait certainement à un peu plus de différenciation, en matière de dynamique notamment, mais elle assure une continuité efficace tout au long du spectacle.

La mise en scène de se contente d'une mise en place un peu trop sage : de gigantesques trophées en avant-scène sont vite relégués en fond de scène, l'espace étant durant presque toute la soirée occupé par des murs à décor égyptien sur une scène tournante. C'est un peu mince pour quelque 2 h45 de spectacle : certes l'espace change de scène en scène, mais les lieux ne sont pas plus clairement caractérisés et ne donnent pas un rythme au spectacle. Le mélange des époques, entre l'Égypte antique et les uniformes façon guerre d'Irak (mais en rouge) des soldats romains en passant par les costumes post-ottomans des Égyptiens, donne une certaine variété, mais ne suffit pas à raconter une histoire.

Sur le plan musical, la préparation des chanteurs montre tout autant ses limites. Le choix a été fait de présenter une version plus ou moins intégrale de l'œuvre, récitatifs compris : c'est fort louable, mais on ne peut dans ce répertoire faire l'économie d'un travail acharné, mot par mot, pour faire vivre ces longues scènes de récitatif, qui montrent bien à quel point le cliché d'un répertoire où rien d'autre ne compte que les prouesses des virtuoses. Ce travail minutieux, phrase par phrase, mot par mot, est indispensable pour que naisse le théâtre, et c'est ce que René Jacobs savait faire mieux que personne. La caractérisation des personnages est laissée de côté aussi bien par la mise en scène que par la réalisation musicale : on en viendrait presque à écouter les airs sans trop se préoccuper de savoir qui les chante. Sans doute est-ce beaucoup d'exigence de notre part, pour une résurrection donnée seulement trois fois sur scène – sans coproduction, ce qui est regrettable -, mais à défaut de pouvoir approfondir ainsi une partition aussi longue et aussi inconnue, peut-être aurait-on mieux rendu service au compositeur en approfondissant le travail sur une partition abrégée.

C'est d'autant plus regrettable que les six chanteurs présents sur scène, eux, sont proprement remarquables, dans des rôles tous plus ou moins aussi importants. Pas de Sesto ici, le fils de Pompée et de Cornélie n'étant chez Giacomelli qu'un enfant ; à l'inverse, Lepido, le confident et soupirant de Cornelia, est absent de l'opéra de Haendel (et à vrai dire pas très utile pour la conduite de l'action) : il est chanté par avec délicatesse et musicalité. L'autre contre-ténor de la soirée, , est chargé quant à lui du rôle du traître, Achilla : le timbre est plus charnu, plus présent, mais la musicalité et l'engagement ne sont pas moindres.

L'immature Ptolémée de Haendel est devenu ici un homme mûr, autrement dit, dans la logique de ce répertoire, un ténor : c'est ici , qui affronte sans trembler les vocalises impitoyables écrites pour un lointain prédécesseur dont on admire l'audace à trois siècles de distance ; qui plus est, Contaldo parvient à trouver un peu de l'élan dramatique qui manque tant au spectacle.

Le couple central est écrit pour deux voix de soprano : et chantent toutes deux vaillamment, et elles s'impliquent dans leurs rôles respectifs : la première en Cesare joue sans excès l'homme d'action, la seconde a une dignité et une droiture qui impressionnent, même si on sent bien qu'elle est un peu entravée par la direction d'acteur trop linéaire. Mais le couple central, dans cet opéra, n'est pas si central : la star du spectacle en 1735 était Vittoria Tesi dans le rôle de Cornelia, moins virtuose que les autres rôles de la partition parce que sa force était ailleurs, dans la présence dramatique, dans la déclamation tragique. , handicapée par les limites dramatiques du spectacle, recourt trop souvent à une véhémence caricaturale vite lassante, mais son timbre profond assure au moins la séduction musicale de ses airs.

Peut-être l'édition discographique annoncée, en permettant de nous familiariser plus profondément avec l'œuvre, conduira-t-elle à réévaluer la partition de Giacomelli, à défaut du livret ; l'entreprise aura quoi qu'il en soit le mérite de faire revivre un pan du monde lyrique italien qu'on connaissait jusqu'alors surtout indirectement, par des airs détachés et la réputation de ses virtuoses.

Crédits photographiques : © Birgit Gufler

 

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