Au festival Pablo Casals, deux concerts entre création et patrimoine
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Prades. Festival Pablo Casals.
7-VIII : Grottes des Canalettes : Aurélio Edler-Copes (né en 1976) : Cantiga pour accordéon et électronique; Pierre Jodlowski : Something out of Apocalypse pour accordéon et électronique ; Núria Giménez-Comas : De l’intérieur, pour accordéon et électronique ; Alexander Vert : Turn On, Tune In, Drop Out pour accordéon et électronique. Fanny Vicens, accordéon microtonal Xamp ; électronique Flashback ; dispositif lumière, Thomas Koppel.
8-VIII : Abbaye Saint-Michel de Cuxa : Jean-Frédéric Neuburger (né en 1988) : Prélude pour cordes (CM) ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Variations Rococo, pour violoncelle et orchestre ; Symphonie n°6 dite « Pathétique ». Anastasia Kobekina, violoncelle ; Orchestre de chambre du Festival Pablo Casals de Prades ; direction ! Pierre Bleuse
La programmation du Festival Pablo Casals, imaginée par son directeur artistique Pierre Bleuse, qui boucle sa quatrième édition, tisse des liens entre musique nouvelle et chefs d'œuvre de la tradition.
Le rendez-vous rafraîchissant (le thermomètre ne monte pas au-delà de 14°) dans les grottes des Canalettes est désormais reconduit chaque année, Pierre Bleuse rappelant au début de la soirée sa volonté de faire de ce lieu atypique celui de la création et de la découverte. En co-production avec la compagnie Flashback et son directeur Alexander Vert, le festival invite cette année Fanny Vicens, merveilleuse accordéoniste originaire du Roussillon qui joue ce soir sur ses terres. Véritable « rock star », avec ses lunettes noires et son accordéon microtonal, elle tient la scène une heure durant sous les lumières de l'artiste visuel Thomas Koppel.
Les quatre pièces pour accordéon et électronique à l'affiche sont extraites de son album sorti en 2021 chez Éole records. Cantiga (chanson en portugais) du Brésilien Aurélio Edler-Copes. Elles allient fragilité du timbre et puissance du flux électronique qui embrase l'espace de résonance. Something Out of Apocalypse de Pierre Jodlowski regarde vers l'univers cinématographique (Apocalypse Now) de Coppola, entretenant un rapport musclé entre l'instrument et les sons fixés. Si la voix off qui sous-tend le scénario peine à se faire entendre, la joute rythmique à haute tension entre l'accordéon et la batterie (enregistrée) est entretenue jusqu'à la transe. Le son est irisé et diffracté, évoquant par instant le shô japonais, dans De l'intérieur de la Catalane Núria Giménez-Comas. L'œuvre tout en finesse explorant l'espace microtonal invite à l'écoute aiguë difficile, hélas, à maintenir dans ce lieu ouvert à toutes les résonances. Turn On, Tune In, Drop Out, la pièce d'Alexander Vert se prête davantage à l'acoustique du lieu, avec ses relances énergétiques, ses strates rythmiques et la fusion des sources instrumentale et électronique qui ouvrent très grand les vannes du son.
Si le dispositif lumière de Thomas Koppel génère de belles ambiances colorées sur les reliefs naturels de la grotte, l'adéquation du visuel et du sonore y est moins convaincante. Fanny Vicens est, quant à elle, pleinement investie dans un jeu aussi puissant que raffiné où flexibilité et virtuosité du geste n'ont d'égal que la richesse du timbre qu'elle sait tirer de son instrument.
La clôture du Festival à Saint Michel de Cuxa
L'abbaye est comble et l'attente palpable pour ce second concert de l'orchestre de chambre du Festival Pablo Casals de Prades, une phalange de 45 musiciens sous la direction de Pierre Bleuse qui clôture l'édition 2024 comme elle l'avait inaugurée. Encadrés par leurs coaches qui se relaient d'une année à l'autre, les jeunes musiciens, recrutés à l'échelle internationale, ont travaillé en effectif de chambre durant tout le festival pour assurer les sept concerts « Jeunes talents & friends » donnés pratiquement chaque jour, en matinée.
Pour l'heure, c'est une création mondiale de Jean-Frédéric Neuburger (compositeur mais aussi pianiste et professeur d'accompagnement au piano au Conservatoire National Supérieur de Paris) qui débute la soirée. Prélude pour cordes, écrit durant la pandémie, est une commande du NDR Elbphilharmonie Orchester qui n'a pu en assurer la création en 2021 à cause de la covid. C'est le silence, cerné par la résonance grave d'une quinte à vide, qui s'impose dans les premières minutes de la partition. Le discours qui s'élabore n'est que tension, scandé par le retour d'un motif éruptif au violoncelle solo. Le matériau est âpre et ressassé, soumis à des glissades inquiétantes. Il prend appui sur les contrebasses au grain sombre auxquelles s'agrègent les résonances aiguës des violons, au sein d'une écriture essentiellement verticale voire spectrale. Dans un temps étiré, la dernière séquence prend à la gorge, déportée dans l'aigu du registre où s'entend la polyphonie errante des cordes qu'absorbera in fine le silence : un « larghetto desolato » saisissant dont Pierre Bleuse nous communique l'émotion profonde malgré l'effectif réduit de l'orchestre comptant seulement deux contrebasses quand l'original en demande six!
Violoncelle et castagnettes
On bascule dans un autre monde avec les Variations Rococo de Piotr Ilitch Tchaïkovski sous l'archet de la jeune trentenaire Anastasia Kobekina que Pierre Bleuse a déjà invitée sur la scène du festival il y a quatre ans. Et si l'on craignait de s'ennuyer à l'écoute d'une œuvre très/trop entendue, Kobekina sait d'emblée nous rassurer, donnant un coup de fraicheur et de jeunesse à cette partition dès la présentation du thème, joliment phrasé et un rien facétieux mais sans maniérisme pour autant. L'aisance de son geste et la joie qu'elle fait rayonner à travers son jeu est un bonheur parfait. L'archet est agile et fougueux, acéré quand il le faut, expressif et superbement conduit dans les deux Andante, en phase toujours avec un orchestre très réactif qui se plie volontiers à sa fantaisie et la laisse librement respirer. Le final est éblouissant et la sonorité toujours lumineuse et bien projetée. Anastasia, qui est passée par le CNSM de Paris, invite sa sœur, pianiste et joueuse de castagnettes, à la rejoindre sur la scène pour jouer le Fandango de Luigi Boccherini (extrait du quintette avec guitare) arrangé pour le violoncelle ; elle y développe une virtuosité folle de l'archet imitant les cordes pincées de la guitare, tout en donnant de la voix et du pied !
Lyrisme généreux
Jouer la « Pathétique » de Tchaïkovski avec un effectif de 45 musiciens tient du défi, que Pierre Bleuse, sans baguette pour autant, relève.
L'orchestre du Festival ne tarde pas à trouver son équilibre dans un premier mouvement mettant en vedette la chaude sonorité du basson – Estelle Richard, basson solo de l'Orchestre du Capitole de Toulouse –, légèrement filtrée, nous dit-elle, pour ne pas couvrir les deux contrebasses au tout début de l'œuvre. Si l'on apprécie d'emblée la qualité de la petite harmonie, les cordes ne déméritent pas dans un Adagio très ciselé sous le geste analytique du chef. Le contraste est saisissant, amené par un Allegro particulièrement fougueux (des effets de lumière l'accompagnent !), conduit avec énergie par Pierre Bleuse qui fait sonner son orchestre dans sa plénitude : le choral des cuivres est somptueux et le lyrisme toujours généreux. S'il manque un rien de velouté à l'ensemble restreint des cordes dans l'Allegro con grazia qui suit, l'énergie cinétique opère sous le geste investi de Pierre Bleuse donnant de l'envergure à cette valse à cinq temps. Le troisième mouvement est bluffant, pris à bonne allure et magnifiquement conduit, dans l'énergie du son (le mordant de la clarinette et les éclats de la petite flûte) et l'équilibre des pupitres jusqu'à la « marche triomphale » et ses cuivres rutilants. On est épaté par le rendu onctueux et flexible des cordes et la charge de pathos qu'elles véhiculent dans un Adagio lamentoso somptueux où le cor et le basson, une fois encore, font merveille. Ả charge pour les deux contrebasses valeureuses d'entretenir l'ostinato implacable qui scande les dernières mesures de la partition. Un long silence est maintenu par le chef pour en prolonger les effets… avant les applaudissements.
Crédit photographique : © François Brun
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