Igor Stravinsky, en mots et en images

Daté de 1957 et publié en 1959, Conversations avec Igor Stravinsky (il a alors 75 ans) est un livre d'entretiens menés par le chef d'orchestre et ami américain Robert Craft. Il paraît en français sous la traduction d'Olivier Borre et Dario Rudy.

Superbement illustré et agréable à lire, l'ouvrage est en quatre chapitres. Il nous fait entrer d'emblée dans l'atelier du compositeur sans pour autant s'y attarder : « La seule technique dont dispose le compositeur, c'est sa personnalité », déclare Stravinsky. La deuxième partie, beaucoup plus longue, est une galerie de portraits, en mots et en images, passant en revue toutes les personnalités auprès desquelles Igor Stravinsky s'est formé (Rimsky-Korsakov), a travaillé (Diaghilev), avec qui il a collaboré (Debussy, Ravel) ou qu'il est allé rencontrer (Bartók, Satie, Schönberg, Berg etc.), jusqu'à Dylan Thomas avec lequel il avait projeté d'écrire un autre opéra. La parole est le plus souvent bienveillante, empreinte de respect et d'admiration (il fait l'éloge du Pierrot lunaire !) excepté à l'égard de Strauss dont il déteste les opéras et de Chaliapine, « un idiot en tous points hormis sur le plan vocal » ! La liste n'est pas moins longue (chapitre III) des artistes, écrivains (il rencontre Proust), peintres et décorateurs liés à l'activité des Ballets russes qui collaborent avec le musicien et pour lesquels il a toujours une pensée amicale : Giacomo Balla (Feu d'artifice), Alexandre Benois (Petrouchka), Nicolas Roerich (Le Sacre), Michel Larionov (Renard) et Picasso (Pulcinella), son alter ego qui exécutera plusieurs portraits de lui. La dernière partie (La musique d'aujourd'hui) révèle une personnalité résolument tournée vers l'avenir, confiante dans les nouvelles technologies, citant Boulez (Le Marteau sans maître en tête de liste) et Stockhausen. Son pronostic sur « la musique du futur » n'est pas sans évoquer les ressorts de l'Intelligence artificielle (« des symphonies pré-composées ») dont cet esprit visionnaire se plait à imaginer les processus.

Si les questions de Robert Craft passent parfois du coq à l'âne, elles n'en éclairent pas moins toutes les facettes de cette personnalité hors norme dont l'ouverture et l'éclectisme nourrissent l'univers sans bord de son génie créateur.