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Anniversaire Schoenberg à Salzbourg : tout un univers pianistique par Pierre-Laurent Aimard

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Salzbourg. Mozarteum. 6-VIII-2024. Arnold Schönberg (1874-1951) : Pièces pour piano op. 11, 19, 23, 25, 33a, 33b ; Œuvres de Maurice Ravel (Gaspard de la nuit, Le Tombeau de Couperin), Scriabine, Webern, Brahms, Schumann. Pierre-Laurent Aimard, piano.

Schoenberg, ses prédécesseurs, ses contemporains : offre au public salzbourgeois une expérience révélatrice au-delà des modes.

Jouer tout l'œuvre pianistique d' ne prend pas beaucoup de temps, à peine une heure de musique en ne comptant que les œuvres publiées. Pourtant, c'est à une longue soirée que invite le public du , plus de deux heures de musique scandées par deux entractes : c'est que, pour faire mieux écouter ces œuvres qui n'encombrent pas les programmes des salles de concert, Aimard a choisi de créer un large panorama musical pour éclairer ces cinq numéros d'opus, à travers les contemporains et les grands anciens qui ont inspiré le compositeur. La démarche n'est pas nouvelle, au concert comme au disque, mais les choix d'Aimard ont comme grand mérite de présenter des œuvres entières – à une exception, justifiable, près – plutôt qu'un kaléidoscope de miniatures éparses comme c'est souvent le cas.

La première partie est consacrée aux trois pièces de l'opus 11, douze minutes de musique éclairées ici – si on peut dire – par la Messe noire de Scriabine et Gaspard de la nuit de Ravel. 1909, 1913, 1908 : trois chemins divergents de la modernité musicale que rapprochent la chronologie, mais pas seulement. Ravel comme Scriabine explorent des territoires sombres, entre effluves maléfiques et poésie nocturne, tandis que Schoenberg s'abstient de toute référence extra-musicale et donne à cette abstraction une poésie plus austère, mais Aimard semble unifier ce trio par un jeu symphonique, sans pour autant chercher à combler les béances de la partition de Schoenberg : les parentés sont patentes, les divergences aussi. Mais l'impressionnante cathédrale de sons que son jeu plastique construit aux moments les plus intenses de ces partitions n'est pas un but en soi : la suite du concert livre une diversité de points de vue particulièrement enrichissante.

La deuxième partie rappelle à juste titre combien Schoenberg se voyait en héritier des générations précédentes de l'art musical germanique – tout comme Webern et ses Variations op. 27 : la référence à Brahms est une évidence, celle à Schumann peut-être un peu moins, mais la partition choisie, les Chants de l'aube, a toute sa place ici : Schumann en explorateur inquiet, peu soucieux de séduire et poussé par une nécessité intérieure, tout à fait l'ambition que Schoenberg poursuit dans toute sa musique et encore plus dans les pièces pour piano jouées ici, les op. 19, 23 et 33a/b. On est d'autant plus frappé par la fougue expressive qu'Aimard donne aux pièces de l'opus 118 de Brahms, notamment les n° 1 et 2 qui jettent toute forme de sagesse crépusculaire par dessus bord : même s'il interprète les pièces de Schoenberg avec une clarté plus austère qu'émotionnelle, Aimard montre ainsi à quel point son ancrage dans l'héritage romantique est demeuré tout au long de sa vie une constante.

Le concert se conclut par deux œuvres qui ont en commun de jouer avec le concept baroque de suite, tout en s'écartant autant l'une que l'autre de toute forme de pastiche et d'imitation. Tombeau de Couperin chez Ravel, Suite tout simplement chez Schoenberg, les œuvres n'ont pas de lien direct, mais on a déjà pu voir dans un concert précédent du festival la relation directe entre ces deux compositeurs entre lesquels on pourrait facilement construire des oppositions. Dans les deux cas ici, une suite s'ouvrant sur un prélude suivi par une série de danses, mais Schoenberg y inclut un intermezzo intime, Ravel une fugue et une toccata qui n'ont décidément rien à voir avec l'art de Couperin : rien de néoclassique donc, mais une même mise en ordre d'un monde bouleversé.

Avec ce concert, montre non seulement la diversité de ses moyens techniques et expressive, mais aussi la force d'évocation du concert qui, lorsqu'il n'est pas réduit à un moment de consommation artistique mondaine, peut ouvrir à l'auditeur des mondes nouveaux. C'est l'essence même de ce que peut et doit accomplir un festival comme Salzbourg.

Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli

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