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Barbara Hannigan au cœur du Festival d’Aix-en-Provence

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La soprano et cheffe d'orchestre était de passage à Aix-en-Provence, invitée par l'Académie du festival d'Aix à animer la Résidence vocale 2024. Au fil des années, la Canadienne a tissé de nombreux liens musicaux avec la ville. Elle nous parle de ses moments préférés et de l'importance de son rôle de mentor auprès de la jeune génération.

ResMusica : Depuis vos débuts en 2008 au Festival d'Aix-en-Provence dans Passion de Pascal Dusapin, vous êtes souvent revenue dans cette ville en tant que soprano et chef d'orchestre. Quels sont vos souvenirs préférés ?

: Written on Skin a été très précieux. Ce n'était pas mes débuts mais c'était un succès marquant, l'année où j'ai percé car en 2012, il y a eu cet opéra et Lulu. En 2013, la création d'Hans Abrahamsen [ndlr : Let me tell you] et j'avais commencé à diriger en 2011.

Mes moments préférés à Aix ont eu lieu pendant le processus de construction de l'œuvre avec les luttes. J'aime beaucoup les obstacles, quand rien ne semble fonctionner et qu'on a l'impression que nous n'allons pas surmonter une difficulté particulière. Comme pour mon aria principal dans Written on Skin quand mon mari me fait manger le cœur de mon amant. Je n'arrêtais pas de dire à Georges Benjamin que ce n'était pas moi. C'était trop lourd et trop « Tosca ». Lui n'arrêtait pas de me répondre : « Darling, je l'ai écrit pour toi ». Trois jours avant la première, cela s'est finalement débloqué, j'ai trouvé la clef secrète. C'était un moment très spécial.

Mon autre importante production a été Pelléas et Mélisande avec Katie Mitchell. J'étais la seule de la distribution à ne l'avoir jamais chanté. Une des choses que j'ai le plus aimée était que Stéphane Degout et Laurent Naouri répètent avec moi sur leurs heures de déjeuner. J'avais dans un sens besoin d'eux pour me coacher, et ils l'ont fait si généreusement. C'était ma première Mélisande avec Stéphane qui chantait Pelléas pour la dernière fois. Le serrer dans mes bras dans l'une des scènes était un honneur.

RM : Vous semblez en avoir gardé des souvenirs détaillés et très vifs.

BH : Oui, c'est vraiment le cas. Ces deux productions étaient dirigées par Katie Mitchell. Ce qu'elle fait est si détaillé. Elle le grave en quelque sorte à l'intérieur de vous. Tout devient fermement ancré en vous, dans votre corps et votre voix. Vous ne pouvez pas vous en éloigner ni improviser au cours de la performance. Sa façon de diriger est de vous contenir du point de vue psychologique et théâtral. Personne ne peut l'orienter dans une autre direction et cela fonctionne très bien. Vous ne pouvez pas perdre de vue la lumière par exemple : vous êtes tellement bien placé ! La façon dont vous êtes mis en scène fait que vous savez que vous serez dans le cadre.

Mon meilleur souvenir au Festival de Pâques est le concert que nous avons fait à la
« dernière minute ». Dominique Bluzet et Johanna Flores m'ont demandé si je voulais créer quelque chose pour eux. J'ai appelé David Chalmin et je lui ai proposé de faire une improvisation avec de l'électronique live. Nous avons alors créé ce programme « fou ». Bertrand Chamayou et moi-même avons improvisé. On ne faisait pas que jouer de la musique écrite. Cela crée vraiment une relation avec la personne. On peut voir qui elle est et comment elle interagit sur l'instant. Et puis, il y avait la musique que j'ai programmée dont Rameau, Petrassi, Chausson. Un moment vraiment unique !

RM : Vous êtes à Aix-en-Provence pour diriger les jeunes chanteurs de l'Académie du Festival. Quel est votre rôle et comment se déroule votre travail avec eux ?

BH : Tout d'abord, ils ont été sélectionnés pour faire trois différents programmes dont celui avec des airs d'opéra et je n'ai rien à voir avec cela. Puis, il y a un concert de musique contemporaine. La plupart n'ont jamais chanté ce répertoire et c'est très intéressant. Enfin, ils ont un programme Haendel avec Emmanuelle Haïm.

J'ai examiné attentivement ce qu'ils proposaient de chanter. Je ne faisais pas partie de leur sélection donc j'ai regardé des vidéos d'eux et vu où était leur zone de confort. En amont, je devais leur attribuer des pièces. Comme nous avons un pianiste avec nous, je voulais choisir des œuvres écrites pour le piano et la voix, non des réductions d'orchestre. Avec Alfonse Cemin, nous avons fait une longue liste de répertoire que nous avons réduite en trouvant un thème homogène, principalement consacré à la nuit dont Dutilleux et San Francisco Night. Apparition et The Sleeper de George Crumb. Lullaby for the Unsleeping de Jonathan Harvey. Der Sommer de Ligeti. Hymne à la nuit de Claude Vivier.

J'ai trouvé du répertoire qui avait un sens à mes yeux. C'est lyrique, personne ne doit faire de choses vraiment insensées. Tout est très beau et pas si facile. Je pense qu'ils aiment ce qu'ils chantent. Je l'ai constaté après avoir travaillé avec tout le groupe. Je peux sentir leur soulagement de savoir qu'ils peuvent le chanter et que cela ne va pas leur faire mal. C'est comme une bonne dose d'initiation à la musique contemporaine. Le premier jour, j'ai voulu les entendre pour savoir comment ils se débrouillaient. Et il y a bien sûr Noor, la pièce de Golfam Khayam.

RM : Vous avez déjà collaboré avec cette compositrice iranienne. Que pouvez-vous nous dire sur cette pièce et quels éléments
de son univers vous interpellent ?

BH : C'est un texte très fort de Forough Farrokhzad. Le message est déchirant. Quand Marine Chagnon l'a chanté avec Gracie Francis au piano, j'ai dû essayer de retenir mes larmes. C'est si beau et tellement puissant. Pour Je ne suis pas une Fable, Golfam parlait de l'orchestre qui crée une sorte de tapis persan sur lequel je pouvais danser. Cette pièce est de la même veine. Il y a deux danseurs et d'une certaine manière, la mezzo et le piano dansent ensemble. Ce qui a une profonde résonance pour moi, c'est la fluidité de sa musique avec ses contours, son lyrisme. J'ai écouté un de ses morceaux électroniques. Son paysage sonore est vraiment unique.

RM : La notion de transmission est manifestement une valeur essentielle dans votre vie. Quel est pour vous l'aspect le plus gratifiant en tant que mentor ?

BH : Je trouve vraiment émouvant de voir une personne en aider une autre. Comme Fleur Baron de mon programme Momentum [ndlr : parrainage de jeunes artistes]. Une star ! Elle était déjà si généreuse et très vite, elle aidait les autres. Cela crée une sorte de force centrifuge.
Hier, le message d'un des jeunes chefs d'Equilibrium Young Artists [ndlr : accompagnement de jeunes musiciens professionnels fondé par ] m'a fait très plaisir. Il a été éliminé au 1er tour d'un concours cette année. Je l'ai regardé et j'ai immédiatement su pourquoi. J'ai pensé devoir lui dire mais il pensait s'être très bien débrouillé. Je lui ai demandé s'il souhaitait mon retour [sur sa prestation]. J'ai été très honnête avec lui : cela ne concernait pas sa direction mais son comportement. Il m'a écrit depuis être l'un des six lauréats du concours de Rotterdam (ICCR). Il était si reconnaissant que je lui donne mon avis parce qu'il a ainsi pu s'autocorriger.
C'était une belle récompense parce que si vous êtes le mentor de quelqu'un, vous devez être capable de le critiquer tout en restant gentil et constructif pour qu'il s'améliore. Surtout qu'on va être critiqué pendant toute notre carrière et c'est le cas de n'importe quel artiste, on est parfois engagé nulle part sans savoir pourquoi. Parfois, certains ne veulent pas l'entendre et c'est dur. Peut-être que cela sera pris en compte plus tard et que cela les aidera. Je me souviens de critiques positives reçues il y a 30 ans. J'apprends toujours de ces leçons.

Quand je donne des cours, ces jeunes enregistrent tout sur leur téléphone. Je dis beaucoup de choses très vite car ils n'ont pas besoin de tout assimiler maintenant. Nous n'avons seulement que ces dix jours. Cela peut toutefois infuser et être assimilé plus tard.

Crédits photographiques : © Cyrus Allyar

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