Aller + loin, Expositions

Le décorateur et peintre Jean Hugo au Musée Fabre

Plus de détails

Instagram

Musée Fabre, Montpellier. Exposition Jean Hugo « Le regard magique ». Commissaire général et scientifique : Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine et directeur du musée Fabre et Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques et décoratifs du musée Fabre. Scénographie : Maud Martinot. Jusqu’au 13 octobre 2024.

Instagram

Le Musée Fabre à Montpellier accueille une exposition consacrée à , enfant du pays et figure emblématique de l'avant-garde artistique du début du XXe siècle. Une exposition rétrospective et originale pour ce descendant de Victor Hugo, décorateur et créateur de costumes pour les et les .

C'est au mas de Fourques, à Lunel, une commune non loin de Montpellier, que s'est éteint il y a quarante ans. L'anniversaire de sa disparition est l'occasion pour le Musée Fabre de Montpellier, associé au Musée Paul Valéry à Sète et au Musée de Lunel de consacrer une rétrospective à cet artiste polyvalent, décorateur et peintre, dont le Musée Fabre possède un très important fonds constitué après 1995. Une collection complétée par des prêts du Musée Picasso, du Centre Pompidou, de Metropolitan Museum of Art mais aussi du DansMuseet à Stockholm, pour les cartons de décors et de costumes des .

, arrière-petit-fils de Victor Hugo, n'était pas destiné à une carrière artistique. Son illustre famille et l'enfance dorée qu'il partage avec cette grande lignée est évoquée à travers des photos, tableaux et documents divers, présentés à l'entrée de l'exposition. Le jeune homme jusqu'alors préservé des tourments voit sa vie bouleversée par la Première Guerre mondiale, durant laquelle il sert en tant que sous-lieutenant et passe son temps libre à dessiner ses camarades de tranchée ou des scènes de guerre. C'est en 1917, lors d'une permission, qu'il rencontre Valentine Gross, une jeune artiste dynamique intégrée aux avant-gardes parisiennes. Valentine, née à Boulogne-sur-Mer et formée à l'École des beaux-arts de Paris, est déjà reconnue pour ses portraits de danseurs des Ballets Russes, notamment ses portraits de dansant Le Spectre de la rose, et les dessins « fééries de mouvement» d'Isadora Duncan. Jean Hugo tombe sous le charme…

Leur rencontre marque le début d'une période prolifique pour Jean, qui découvre, à travers Valentine et ses amis tels que , Pablo Picasso et Guillaume Apollinaire, les innovations artistiques de son temps. « Depuis trois ans la guerre avait été toute ma vie… Mon père, ma mère, mes grand-mères, ma sœur ambulancière… avaient tous la guerre au centre de leurs pensées. Autour de Valentine, un autre aspect de la France m'apparut, qui n'était pas du tout militaire. Elle et ses amis parlaient d'autre chose. Cocteau découvrait Rimbaud et Picasso. Parade importait plus que Verdun. »

En 1917, le ballet Parade, conçu par et mis en scène au Théâtre du Châtelet, devient  en effet une référence majeure pour l'avant-garde. Avec des costumes cubistes signés Picasso et une musique de Satie, ce spectacle incarne la fusion de la danse, de la musique et de la peinture, malgré des critiques initiales partagées. Parade est soutenu par Apollinaire, qui invente le terme « surréaliste » pour le décrire, et devient un jalon essentiel de l'art moderne. Comme à l'exposition Le Paris de la modernité présentée récemment au Petit Palais à Paris, les costumes de Parade figurent en bonne place dans ce parcours des premières années créatives de Jean Hugo.

La fin de la Première Guerre mondiale laisse place à une soif de vie et de créativité débordante, caractéristique des Années folles. Pour Jean et Valentine Hugo aussi, c'est alors, selon l'affectueuse expression trouvée par , «le temps des Zugos », consacrant ainsi le couple Hugo comme l'un des couples les plus en vue du monde des arts et du monde parisien. L'exposition est d'ailleurs émaillée de photos souvenirs de fêtes foraines, auxquels ils se rendent en groupe.

En collaboration Jean Cocteau, qu'Aragon qualifiait de «poète-orchestre », les jeunes époux Hugo mettent leurs talents conjugués au service de toutes les manifestations artistiques et collectives qui font date pour la modernité, dans le monde du spectacle, celui de la musique ou celui de la nuit. Ils sont également de toutes les fêtes et bals costumés organisés par des aristocrates fortunés dont certains deviennent ainsi les mécènes des avant-gardes. Jean Hugo se distingue par ses talents de décorateur et de costumier, notamment pour le ballet Les Mariés de la Tour Eiffel en 1921, par les de . Cette farce de Jean Cocteau, chorégraphiée par Jean Börlin sur les airs créés par le , raconte les noces d'un jeune couple qui virent au drame, sur l'une des plateformes de la Tour Eiffel, provoqué par plusieurs protagonistes venant perturber la tranquillité du repas. Les costumes signés Jean Hugo illustrent « la poésie miraculeuse de la vie quotidienne » souhaitée par Cocteau, tandis que les décors peints d'Irène Lagut, présentés dans l'exposition, mettent en lumière la modernité de la Tour Eiffel.

Désormais reconnus pour la qualité de leurs créations éphémères, Jean et Valentine Hugo explorent de nouveaux champs artistiques dès 1924. Jean applique son savoir-faire de décorateur à la création de magnifiques paravents originaux qui rencontrent un succès réel auprès d'une clientèle fortunée, parmi laquelle l'exigeante Misia Sert. Il fréquente des architectes d'intérieur comme Emilio Terry ou Jean-Michel Frank et conjugue alors avec une magie certaine les répertoires de la mythologie et du rêve, comme le font à leur manière d'autres peintres de l'époque en quête d'une nouvelle figuration. L'exposition consacre une large salle et met en valeur cette période fertile consacrée aux arts appliqués.

Face au trouble d'un monde en pleine transformation et dans le sillon creusé par la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico, Jean Hugo puise une poésie qui lui vaut, à la fin de 1926, sa première exposition en galerie d'art à Paris, organisée par Jeanne Bucher, fondatrice alors de l'un des foyers artistiques les plus dynamiques de l'entre-deux-guerres. Retraçant cette première exposition, les tableaux présentés à l'époque montrent les inspirations diverses du peinte, qui firent son succès.

Partant des mêmes sources d'inspiration, notamment le rêve et les arts divinatoires, Valentine prend la voie du surréalisme dont elle fréquente assidûment les chefs de file, notamment Paul Éluard et André Breton. Elle participe avec ses créations aux grandes expositions du mouvement. Répondant diversement à leur quête de sens et de spiritualité, les deux époux s'éloignent progressivement et divorcent en 1932, tout en maintenant leur amitié jusqu'à la disparition de Valentine, en 1968.

La grande dépression économique de 1929 rompt la stabilité relative des années 20 en Europe et les avant-gardes pour partie émigrent vers New York. Les grandes institutions culturelles parisiennes n'ont cependant pas oublié les talents du décorateur Jean Hugo, qui finit par accepter de créer les décors et les costumes de Ruy Blas, pour le centenaire de ce drame, romantique par excellence, donné en 1938 à la Comédie-Française. A base de velours noir, avec des broderies peintes, ils sont ici présentés sous vitrine. Jean Hugo avait déjà rendu hommage à son illustre aïeul Victor Hugo en dessinant les costumes de L'Homme qui rit, pour une adaptation cinématographique finalement abandonnée. Il rencontre ainsi la grande tragédienne Marie Bell, « [à] la couleur d'une perle dans des draperies couleur de sang». Il collabore avec elle à plusieurs spectacles du grand répertoire classique, dont Phèdre de Racine et Antoine et Cléopâtre de Shakespeare. La Seconde Guerre mondiale fait alors rage. Remobilisé brièvement en 1939, il n'a plus l'âge des grands engagements et retourne en 1940 au mas de Fourques, où il abrite des personnalités inquiétées par les Allemands, comme le philosophe juif Julien Benda, ainsi que sans doute d'autres activités clandestines.

Après la Seconde Guerre mondiale, Jean Hugo retrouve une nouvelle énergie créative. Collaborant avec , il crée en 1946 les décors pour Les Amours de Jupiter par les Ballets des Champs-Élysées sur une chorégraphie de et une musique de . La thématique mythologique, retraçant les amours de Jupiter avec Europe, Léda, Danaé et Ganymède, est l'occasion pour lui de créer une esthétique « à l'antique» où décors et costumes accueillent dans leur écrin les danseuses russes de la compagnie. Son amie la Princesse Bibesco, montant sur la scène du théâtre des Champs-Élysées le soir de la première, dira : « Les dieux de l'Olympe étaient là. »
Désormais installé au mas de Fourques, à Lunel, où il reçoit et , il se consacre alors à la peinture de paysages, guidé par un sentiment profond d'unité avec la nature. Entouré de sa seconde épouse, Lauretta Hope-Nicholson, et de leurs enfants, il exprime à travers ses œuvres la beauté et l'harmonie du monde naturel, comme en témoigne la très large sélection de tableaux exposés au Musée Fabre.

Crédits photographiques : Anonyme, Jean Hugo devant ses dessins pour Roméo et Juliette, mise en scène par Jean Cocteau, 1924, tirage gélatino-argentique développé, Paris, Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey. Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris – Guernesey ©Adagp, Paris, 2024. Jean Hugo, Maquette de costume, La baigneuse de Trouville, Les Mariés de la Tour Eiffel, 1921, crayon, gouache et encre sur papier, 29 x 22,7 cm, Dansmuseet, Stockholm, inv. DM 161. ©Dansmuseet, Stockholm. ©Adagp, Paris, 2024. , Projet de costumes pour Le Songe d'une nuit d'été, 1942, lavis d'encre de Chine sur papier, 49 x 38 cm, Marseille, Musée Cantini, inv. C.75.1.32. ©Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / David Giancatarina.
©David Giancatarina.

(Visited 206 times, 1 visits today)

Plus de détails

Instagram

Musée Fabre, Montpellier. Exposition Jean Hugo « Le regard magique ». Commissaire général et scientifique : Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine et directeur du musée Fabre et Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques et décoratifs du musée Fabre. Scénographie : Maud Martinot. Jusqu’au 13 octobre 2024.

Mots-clefs de cet article
Instagram

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.