Prendre le temps, avec Melaine Dalibert

Pianiste et compositeur, à la tête du festival rennais « Autres mesures » depuis 2013, Melaine Dalibert joue sa musique, inscrite dans la mouvance du minimalisme et de la répétition. Son récent album, « eden, fall », aux résonances bibliques, convie l'auditeur à une nouvelle expérience d'écoute, dans le temps long et le deep listening.

Eden est une pièce mixte, installant une trame électronique planante sur laquelle s'inscrit le piano en « grosses notes », un motif réitérant le même rythme (brève longue) et le même profil descendant dont la réverbération floute légèrement les hauteurs. Voué aux répétitions, le pattern mélodico-rythmique n'en est pas moins soumis à une évolution lente (processus d'algorithmes avec lesquels le compositeur aime travailler), variations infimes des occurrences, ralentissement progressif qui participe de l'immersion auditive d'une part et du foisonnement du matériau d'autre part : « plein jeu » de la trame électronique et ouverture sur l'extérieur avec le piano qui carillonne et les oiseaux qui se mettent à chanter, projetant l'image, à ciel ouvert, de quelque jardin paradisiaque.

Fall n'est pas sans évoquer le geste survolté de Julius Eastman dont Dalibert, qui joue les pièces de l'Américain, mentionne l'effort physique qu'exige sa musique. Obsessionnelle et éprouvante, Fall réclame elle aussi des doigts d'acier. La pièce est une chute inexorable, des aigus atones du piano au médium grave de l'instrument en mode percussif et hypertendu : le jeu itératif est l'expression d'une pure énergie générant progressivement la couleur et la résonance dans un processus d'amplification spectaculaire.

Mais le mystère reste entier concernant les modalités virtuoses qui provoquent les illusions acoustiques de Jeu de Vagues, baigné de pédale, qui concentre l'attention, en trois minutes et quelques secondes, sur la cinétique de la houle marine toujours recommencée. Fascinant !