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Helmut Lachenmann avec le Quatuor Diotima au Festival Messiaen au pays de la Meije

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La Grave ; Festival Messiaen au pays de la Meije du 26 au 28-VII
26-VII : Mikel Urquiza (né en 1988) : Index, pour quatuor à cordes ; Lisa Streich (née en 1985) : Sternenstill, pour quatuor à cordes ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Grand Torso, pour quatuor à cordes. Quatuor Diotima : Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, violons ; Franck Chevalier, alto ; Alexis Descharmes, violoncelle.
27-VII : 17h : Luigi Nono (1924-1990) : Fragmente-Stille, an Diotima, pour quatuor à cordes ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Reigen seliger Geister, pour quatuor à cordes. Quatuor Diotima
28-VII : 17h : Georges Aperghis (né en 1945) : Premier quatuor, pour quatuor à cordes CM) ; Alban Berg (1885-1935) : Suite Lyrique, pour quatuor à cordes ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Grido, pour quatuor à cordes. Quatuor Diotima

« les monstres sacrés ne craignent pas de gravir la montagne », écrit dans son édito Bruno Messina qui a invité et les Diotima au pays de la Meije pour une intégrale des quatuors à cordes du maître de Stuttgart lors d'un dernier week-end festivalier exaltant.

Il est descendu au Castillan, l'hôtel au pied du glacier de la Meije où s'installaient également Olivier Messiaen et Yvonne Loriod, visiblement heureux et ému d'entendre ses trois quatuors à cordes par les Diotima qui viennent de les graver pour une sortie de CD prévue à l'automne. À bientôt 90 ans (il est né en novembre 1935), est l'une des grandes figures du monde contemporain, compositeur et penseur de la musique ayant entraîné dans son sillage bon nombre de suiveurs. Entretenant un rapport critique au matériau musical (il est élève de Nono), Lachenmann développe à la fin des années 1960, ce qu'il nomme « une musique concrète instrumentale » de caractère bruitiste où l'instrument devient un objet à scruter (frottement, grincement, claquement, etc.) qu'il nous invite à écouter d'une oreille neuve.

Tordre la matière

Un premier concert dans l'église de la Grave met au programme son premier quatuor à cordes ; Gran Torso, au côté des œuvres de deux jeunes trentenaires, et .

Gran Torso – il est question de tordre la matière – écrit en 1971-1972 est révisé en 1978 puis en 1988, livre un premier chef d'œuvre tant sur le plan de la structure, dimension essentielle dans l'écriture lachenmannienne, que dans l'infinie variété des modes de production (frotter, frapper, presser, rebondir). Celle-ci met à l'œuvre le geste des instrumentistes, sa tension et son énergie. Car la musique de Lachenmann se voit autant qu'elle s'entend : archet frottant sur la caisse, entre les chevilles, sous le cordier, pizzicato, con legno battuto (percussion avec le bois de l'archet), sons « perforés » par la pression de l'archet sur la corde, etc. : une musique d'os, sans concession, mais minutieusement élaborée et articulée que les Diotima restituent avec autant d'élégance que de précision. Au mitan de l'œuvre, le son s'immobilise sur une longue tenue (archet frotté sur le cordier de l'alto et du violoncelle) comme un souffle, une respiration d'une incroyable sensualité.

, d'origine basque, connait bien la musique de Lachenmann, qui, de toute évidence, l'a profondément marqué ; dans l'utilisation critique d'objets de la tradition notamment, comme on l'entendra dans le troisième quatuor à cordes du maître. Dans Index (2021), scindé en quatre mouvements, Urquiza s'amuse d'abord à enchaîner les Incipits (débuts) de tous les quatuors à cordes de Haydn tandis que le dernier mouvement (« C'est fini les amis ») joue avec les finales des quatre derniers quatuors de Beethoven. Le 2 est un petit théâtre de sons listant bon nombre de modes de jeu quand le 3, Vertige de la liste, accumule le matériau jusqu'au débordement… Ludique (mais le jeu chez Urquiza est toujours sérieux), virtuose et rafraîchissant, Index nous séduit sous les archets véloces des Diotima.

Suédoise, vit dans une des îles qui environnent Stockholm, propice au calme et à la contemplation. Inscrite en recherche artistique à Oslo, elle a eu pour mentor . Sternstill (Silencieux), écrit en 2020 durant le confinement, se nourrit de contrastes, entre brutalité du geste (violence des « pizz Bartok » du violoncelle, bariolages énergétiques) et une grande fragilité inscrite dans un temps long et une sensibilité microtonale : une musique émaillée de citations brèves qui projette ses images et captive l'écoute.

avec Helmut Lachenmann

Le deuxième concert de cette intégrale, dans l'église comble du Chazelet, sur les hauteurs de la Grave, restera sans doute l'un des événements de cette 26ᵉ édition du festival. Les Diotima y mettent côte à côte (1924-1990), dont on fête également le centenaire, et Helmut Lachenmann qui est allé vivre deux années à Venise pour étudier avec lui (1958-1960). Le concert est dédié à Wolfgang Rihm, ami fidèle de Lachenmann disparu la veille.

Écrit en 1979-1980, Fragmente-Stille, an Diotima est le seul quatuor à cordes du Vénitien, une œuvre rare, souvent à la marge du silence, essentiellement discontinue, un vaste « poème » (40′) pourrait-on dire, articulant des « mots » épars à écouter dans la singularité de leurs composantes : temporalité, dynamique, grain, profil et énergie du son. L'œuvre est construite sur une trame littéraire sous-jacente, le texte de Friedrich Hölderlin à Suzette Gontard, sa Diotima, fil tendu qui conduit la musique dans un temps long, de la fréquence pure au son saturé, Nono diversifiant à l'envi les positions d'archet sur la corde : l'expérience d'écoute appelle le collectif et réclame la présence scénique des instrumentistes dont la concentration est ici maximale et la maîtrise du geste exceptionnelle : hypnotique et intemporel.

Le deuxième quatuor de Lachenmann, daté de 1989, Reigen seliger Geister (« Ronde d'esprits bienheureux»), tire son titre du « Ballet des ombres heureuses » de l'Orphée et Eurydice de Gluck. Après l'univers bruitiste de Gran torso, « Reigen » réintroduit le son (un peu de chair sur cette musique d'os et de nerfs) et organise la structure de la pièce, toujours en un seul mouvement, autour des différentes catégories sonores définies par leur mode de production : frottement, percussion (avec la vis de l'archet sur la corde), mais aussi « sons à l'envers » (qu'aimait aussi Pierre Schaeffer), balayages flautato et pizzicato, un geste qui obsède littéralement le compositeur. Dans la grande section finale, les violons et alto sont sous le bras des instrumentistes qui, plectre en main, grattent les cordes dans une énergie folle, gestes heurtés et musique de bois sec avant la coda récapitulative. L'engagement et la synergie du quatuor impressionnent tout comme l'envergure d'un geste quasi chorégraphique.

Un vocabulaire lachenmannien

Helmut Lachenmann s'adresse une dernière fois au public dans le troisième concert de cette intégrale, remerciant chaleureusement les interprètes et le public toujours aussi nombreux dans la nef de l'église de la Grave. Dédié au Quatuor Arditti qui l'a créé en 2001, Grido (les pleurs en italien) témoigne d'une évolution de la pensée compositionnelle de Lachenmann : « Il disait ne pas vouloir rester simplement le maître incontesté de l'univers bruitiste qu'il avait lui-même constitué, mais se confronter à des objets traditionnels », écrit Martin Kaltenecker. Ainsi joue-t-il avec l'apparition-disparition d'un accord d'ut majeur : « c'est justement en m'emparant de ce qui semble connu que je veux trouver quelque chose que je ne connais pas », déclare-t-il. Si les textures s'élaborent, si le son et les registres se déploient dans Grido, on y reconnaît certaines signatures timbrales comme ces « sons à l'envers », manière personnelle de projeter le son, ces trajectoires d'archet sur la caisse des instruments (le souffle lachenmannien) et la manière jouissive d'écraser l'archet sur la corde, « sons perforés », qui appartiennent au vocabulaire du compositeur et que les Diotima, rompus aux exigences du maître, exécutent avec une aisance déconcertante.

n'est pas dans les rangs du public pour entendre la création de son Premier Quatuor (2023), un genre que n'avait pas encore abordé le compositeur prolifique. On est bien évidemment au théâtre dans ce Premier Quatuor, avec quatre personnages qui font entendre leurs « voix », hurlées, au début, dans un tutti bruyant autant que foisonnant. Puis elles se désolidarisent, dialoguent, murmurent, susurrent, dans différents registres, dynamiques et temporalités, avec plus ou moins d'énergie et de conviction dans le discours. La pièce très (trop) longue pour débuter le concert réclame de la part des interprètes une énergie folle qu'ils dispensent sans compter.

« Ce monument à notre grand amour »

Les cloches de l'église résonnent (on est dimanche !) juste avant la Suite Lyrique d', une partition que les Diotima avouent ne pas jouer souvent mais dont ils révèlent la quintessence de la beauté. L'écriture cryptée y exprime l'amour impossible entre et Hanna Fuchs à travers un « scénario » en six mouvements où le Viennois fait l'expérience de la « composition avec douze sons » (1, 5 et 6). Soucieux d'homogénéité du son et de clarté polyphonique, les Diotima allient rigueur du discours et ferveur de l'expression, énergie des lignes, dans leur ascension vertigineuse, et nuancier des couleurs, incluant la dimension bruitiste comme dans l'Allegro misterioso du 3. Sous leurs archets, Le Presto delirando (5) fait entendre une sonorité venue d'ailleurs avant le Largo desolato final, associant technique dodécaphonique et citation de l'accord de « Tristan » : même élan et même respiration, fusion des timbres et synergie des gestes dans une phalange qui, rappelons-le, vient de changer de violoncelliste, avec l'arrivée d' en remplacement de Pierre Morlet : chapeau bas Messieurs !

Crédit photographique : © Bruno Moussier

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28-VII : 17h : Georges Aperghis (né en 1945) : Premier quatuor, pour quatuor à cordes CM) ; Alban Berg (1885-1935) : Suite Lyrique, pour quatuor à cordes ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Grido, pour quatuor à cordes. Quatuor Diotima

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