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Luigi Nono et Luigi Dallapiccola au programme du Festival de Salzbourg

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Salzbourg. Felsenreitschule. 25-VII-2024. Luigi Nono (1924-1990) : Il Canto sospeso, dernières lettres de condamnés de la Résistance en Europe. Caroline Wettergreen, soprano ; Freya Apffelstaedt, alto ; Robin Tritschler, ténor ; Tobias Moretti, récitant.
Luigi Dallapiccola (1904-1975) : Il prigioniero, opéra en un prologue et un acte. Livret du compositeur d’après Villiers de l’Isle-Adams et Charles De Costers, version de concert. Avec Tanja Ariane Baumgartner (La mère), Georg Nigl (Le prisonnier), John Daszak (Le geôlier/Le grand inquisiteur).
Chœur de la Radio bavaroise ; ORF Radio-Symphonieorchester Wien ; direction : Maxime Pascal.

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Au ,  dans un programme exigeant  qui s'ouvrait par un chef-d'œuvre de jeunesse de . et font triompher Le Prisonnier de Dallapiccola.

La série Ouverture spirituelle créée il y a plus de dix ans au n'a plus la coloration religieuse prononcée de ses débuts, pendant la brève direction d'Alexander Pereira, sans pour autant négliger la musique sacrée, notamment chorale ; elle est devenue un cycle d'une haute ambition programmatique, permettant d'écouter des œuvres à l'écart du grand répertoire qui ont en commun d'élever l'esprit : nulle part dans la programmation salzbourgeoise l'esprit festival n'y est aussi affirmé.

Le programme proposé dans le cadre majestueux de la Felsenreitschule n'avait cette fois rien de festif, et pourtant : après deux œuvres aussi denses et sombres l'une que l'autre, la soirée se termine par des ovations qui n'ont rien à envier à celles que reçoivent les stars du chant et de la baguette.

La soirée commence par une des premières grandes œuvres de , dont le festival n'a pas attendu le centenaire pour en faire vivre le souvenir. Il canto sospeso, créé en 1956, célèbre la mémoire de combattants contre le nazisme, notamment originaires de Grèce et d'Europe orientale. Le festival a choisi de faire précéder les différentes parties de l'œuvre de la lecture des lettres mises en musique par Nono, avec un surtitrage anglais pour les spectateurs non germanophones. , grande star des scènes et des écrans du monde germanique, ne cache pas son émotion face à ces textes, et cela favorise l'accès de chaque spectateur vers la force émotionnelle de l'œuvre de Nono. L'émotion poignante des longues notes tenues qui ouvrent l'œuvre ont d'emblée la résonance d'une déploration ; entre dépouillement à la Webern et expressivité plus immédiate, on sent d'ores et déjà le chemin qui sera le sien, par exemple dans le duo des voix féminines (la soprano Caroline Wettergreen et l'alto Freya Apffelstaedt) qu'on retrouvera jusqu'aux œuvres les plus tardives. Nono ne cessera pas de raffiner ses moyens musicaux, d'approfondir leur dimension sonore, mais ce qu'on entend ici, l'investissement humain et émotionnel d'un artiste douloureusement sensible aux espoirs comme aux tourments du monde, est le germe de tout son œuvre à venir.

Le Prisonnier de Dallapiccola, court opéra composé entre 1943 et 1949 : même sans référence explicite à son temps, tout est contemporain dans l'histoire de ce prisonnier à qui on fait miroiter l'espoir de la liberté comme un raffinement de torture avant de le renvoyer à sa captivité. L'œuvre s'ouvre par un monologue de la mère du prisonnier, ici chantée par : dans un rôle qui peut vite tourner au festival de hurlements, Baumgartner garde toute sa musicalité et permet ainsi de donner à l'œuvre toute son humanité concrète.

Dès l'entrée de , le public est définitivement captivé. Nigl a déjà chanté ce rôle, par exemple à Stuttgart où la mise en scène uniment sombre privait l'œuvre d'une bonne partie de son émotion. Ici, dans la nudité de la version de concert, sans le carcan du dispositif scénique, Nigl peut donner au mot une présence immédiate, avec une voix d'une ductilité infinie, toujours sur le fil, et d'une pure beauté sonore que l'œuvre appelle et mérite, mais n'obtient pas toujours. La diction italienne est parfaite, au point qu'on en oublie souvent le surtitrage ; en toute sobriété, Nigl fait vivre le chemin du prisonnier vers la fallacieuse espérance avec une force hallucinée qui ne laisse pas le spectateur en repos. Ses dialogues avec le troisième (double) personnage, celui du geôlier et du Grand Inquisiteur sont d'autant plus forts que le rôle est chanté par , parfait comme toujours dans les rôles de méchants.

C'est qui dirige l'orchestre de la Radio autrichienne, qui vient comme chaque année en visite à Salzbourg. Pascal, dont ce n'est pas la première venue à Salzbourg, est de ces chefs qui savent jouer la musique contemporaine, ou comme ici celle d'après 1945, non pas comme une curiosité radicale, mais comme de la musique avant toute chose, sans oublier de tirer de la délicate écriture orchestrale des deux compositeurs toute la beauté sonore qu'on a longtemps oublié d'y voir. Le , venu en voisin, prend en charge dans les deux œuvres la dimension collective de l'expérience totalitaire, notamment à travers des textes liturgiques latins : dans ses courtes interventions, l'ensemble offre une transparence, une souplesse, une précision qui sont proprement luxueux. Avec ces interprètes, avec ce programme d'une exigence sans faille et d'une richesse inépuisable, le fait honneur à son histoire et à sa réputation.

Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli

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Luigi Dallapiccola (1904-1975) : Il prigioniero, opéra en un prologue et un acte. Livret du compositeur d’après Villiers de l’Isle-Adams et Charles De Costers, version de concert. Avec Tanja Ariane Baumgartner (La mère), Georg Nigl (Le prisonnier), John Daszak (Le geôlier/Le grand inquisiteur).
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