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Le 27 juillet 2024 est célébré le centenaire de la disparition de Ferruccio Busoni. Une bonne occasion pour tenter un portrait de synthèse de ce génie musical protéiforme, un de ces compositeurs fondamentaux, quoique toujours méconnu voire méprisé, du premier quart du vingtième siècle, partagé entre héritage du passé, fréquentations assidues de ses contemporains et chemins vers la Nouvelle Musique. Pour accéder au dossier complet : Ferruccio Busoni, une biographie pour un centenaire
Ce 27 juillet 2024, nous célébrons le centenaire de la disparition de Ferruccio Busoni. Une bonne occasion pour tenter un portrait de synthèse de ce génie musical protéiforme, un de ces compositeurs fondamentaux, quoique toujours méconnu voire méprisé, du premier quart du vingtième siècle, partagé entre héritage du passé, fréquentations assidues de ses contemporains et chemins vers la Nouvelle Musique.
Européen avant la lettre par ses origines familiales partagées entre Italie et Allemagne véritable globe-trotter musical par sa carrière, Ferruccio Busoni (1866-1924) malgré une existence relativement brève, semble avoir vécu de multiples vies : enfant prodige, pianiste virtuose universellement fêté, transcripteur-paraphraseur, écrivain auteur de contes et ses propres livrets, penseur philosophe et théoricien de la musique pour les générations futures, homme de théâtre et d'opéra, chef d'orchestre fondateur d'institutions, ou encore pédagogue émérite.
Bien entendu pour le grand public mélomane, Busoni, avant l'exceptionnel pianiste-interprète qu'il fut, et dont ne reste que quelques témoignages grâce au procédé pneumo-mécanique Welte-Mignon (entre 1905 et 1907) ou des enregistrements captés selon le procédé électrique et assez tardifs (1919-1922), demeure surtout attaché au nom de Johann Sebastian Bach, dont il offrit aux pianistes et aux mélomanes des transcriptions souvent inspirées mais parfois, aux oreilles de la doxa actuelle, jugées pour certaines extravagantes. C'est là l'arbre qui cache la forêt : le catalogue raisonné de son œuvre, établi surtout par Kinderman et Beaumont sépare d'ailleurs les cent quinze adaptations, refontes de partitions d'autres maîtres ou cadences pour des concerti d'autrui (et pas que pour le piano,…) des trois cents trois œuvres originales connues de sa plume, de la très juvénile canzone datée de juin 1873 -il a sept ans à peine- au vaste opéra Doktor Faustus , inachevé et terminé par son élève Philipp Jarnach avant la nouvelle version proposée il y a quarante ans, sur bases d'esquisses retrouvées, plus fidèles au livret initial, d'Anthony Beaumont.
Comme beaucoup de musiciens de sa génération, de Debussy à Sibelius, de Nielsen à Richard Strauss, Busoni subit de plein fouet les profondes mutations de son temps tant sur le plan sociétal à la fois socio-culturel et géopolitique que dans le domaine artistique ou purement musical – avec l'expansion à l'infini des ressources langagières (du chromatisme wagnérien au symbolisme debussyste) menant peu ou prou à l'écroulement du système tonal, ou par le truchement d'orchestres de plus en plus opulents ou d'œuvres aux proportions monumentales. C'est dans cette optique qu'il faut considérer entre autres écrits théoriques ou esthétiques l'Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale » (1906, édition augmentée en 1916) formalisant de manière prophétique une totale refonte de la donne musicale d'un siècle en gestation : certains aspects de la recherche musicale actuelle y sont préfigurées avec une rare acuité !
Le langage busonien demeurera toutefois relativement traditionnel mais protéiforme oscillant des prémices du néoclassicisme à un certain formalisme atonal selon les œuvres.
Comme nous le verrons, la maître subit de plein fouet, telle une grave crise morale personnelle, l'émergence violente du premier conflit mondial : ses deux patries de cœur en sont réduites à se déchirer. Réfugié en Suisse neutre, l'auteur montera un intérêt accru pour l'opéra, (Arlecchino et Turandot). Mais le contexte tragique sera sans doute le principal moteur à la genèse de son magnum opus inachevé – entouré d'une pléthore d'ouvrages satellites – l'opéra Doktor Faust, où l ‘auteur revisite le mythe, et en impose sa propre vision pessimiste, se rapprochant des origines historiques mêmes du drame, le personnage réel qui l'a inspiré et les pièces de théâtre de tréteaux allemands de la fin du seizième siècle allemand qui en ont magnifié la trame. Il faut y voir au-delà d'un testament musical, une réflexion philosophique menée par delà le bien et le mal, et donc le couronnement d'une destinée singulières.
La prime enfance, placée sous le signe de la musique (1866-1885)
Empoli est une charmante ville de la campagne toscane, sise à vingt kilomètres au sud-ouest de Florence en direction de Pise, et aujourd'hui point de bifurcation ferroviaire vers Sienne. Le premier avril 1866, y naît selon l'état civil Dante Michelangelo Benvenuto (quel triple hommage à la culture péninsulaire !) Ferruccio Busoni, fils de Ferdinando Busoni (1834-1909), clarinettiste italien d'origine corse d'un renom alors certain, et de la pianiste Anna Weiss (1833-1909), originaire de Trieste mais comme son patronyme l'indique, d'ascendance allemande. Sans vouloir tomber dans les clichés, tout le destin du futur pianiste-compositeur semble forgé dans cette généalogique, par l'union conciliatrice de deux cultures a priori antinomiques, entre soleil et brumes, entre effusive et lyrique latinité et organisationnelle méthode germanique, entre Nord et Sud se confondant en un seul personnage. Busoni s'exprimera, adulte, avec un niveau de finesse et de raffinement de pensée, avec un égal bonheur, dans les deux langues parentales et maniera aussi avec beaucoup d'à-propos le français ou l'anglais.
En fait par la date même de sa naissance, le dimanche de Pâques, et… le jour du poisson d'avril, Busoni dira à l'âge adulte se sentir à la fois comme un personnage burlesque, une plaisanterie, une sorte de « clown de Dieu » pour le citer, et un « enfant du Dimanche, capable de voir ce que les autres ne peuvent pressentir »… Déjà le Doktor Faust semble pointer le bout du nez avec ce pied-de-nez du destin, et s'immisce d'emblée la perte fatale de l'innocence de l'enfance….
Car Ferruccio montre des dons précoces pour la musique et la primo éducation musicale est placée, à Trieste, ville elle-même à la frontière des mondes latins germaniques et slaves, sous l'autorité maternelle et grand parentale : ses premières compositions datent de ses sept ans, comme sa première apparition pianistique publique (au Schiller-Verein de la cité alors sous tutelle austro-hongroise) : il y joue Mozart, Schumann ou Clementi. L'année suivante, il se produit en soliste dans le vingt-quatrième concerto en ut mineur de Mozart et à treize ans semble avoir dirigé la création de son propre Stabat mater. Toute sa vie sera dès lors consacrée à la musique, même si, comme il le reconnaîtra avec une pointe d'amertume bien plus tard, il n'a pas eu d'enfance.
Grâce à l'appui de mécènes, et avec le concours d'un père singulièrement éclairé, il peut entreprendre un cycle d'études à Vienne (1875-1877), où il peut entendre et rencontrer Liszt en récital ou bénéficier, très jeune, des conseils de Brahms et d'Anton Rubinstein. Un de ses récitals pianistiques en soliste déchaine les applaudissements du public et lui vaut des critiques élogieuses du redoutable Edouard Hanslick.
Il étudie ensuite à Graz sous la férule de Wilhelm Mayer – lequel ne publia que des œuvres assez peu intéressantes sous son pseudonyme W.A Rémy, en hommage à Mozart, mais s'avérera par la discipline qu'il impose au jeune prodige un pédagogue d'exception et un intellectuel curieux de tout, ouvrant l'esprit du jeune adolescent notamment à des perspectives mystiques ou philosophiques empreintes d'orientalisme. Jamais Busoni ne reniera son enseignement.
C'est de cette époque que datent plusieurs œuvres pianistiques très attachantes, telle la suite Una festa di villaggio op. 9 assez schumannienne par certains égards, ou un très intéressant cycle de vingt-quatre préludes (1881) enchaînés selon la succession des tonalités majeures/mineures ordonnées selon le cycle de quintes à la manière de l'opus 28 de Chopin,
Les années de formation : l' éclosion du compositeur au-delà du virtuose (1885-1894)
On retrouve entre 1885 et 1888, l'encore tout jeune Ferruccio à Leipzig, où il se perfectionne dans la théorie de la composition auprès de Carl Reinecke, et peut croiser tant des personnalités alors émergentes comme Gustav Mahler, Christian Sinding ou Frédéric Delius, ou des valeurs déjà bien confirmées de la scène musicale européenne tels que Tchaïkovski ou Grieg.
Ces années montrent un compositeur bien plus qu'en devenir, comme en témoignent les deux quatuors à cordes « officiels », (1882 et 1887-88) (trois autres de prime jeunesse demeurent à ce jour inédits) si révélateurs de sa singularité pour qui veut « bien » les écouter… Là où le premier en ut majeur, opus 19, montre un jeune maître en pleine possession déjà d'un très solide métier dans l'héritage des classiques, le second, en ré mineur, semble par ses accidents harmoniques, ses développements aventureux, ses ruptures mélodiques, ouvrir des perspectives bien plus inattendues vers des horizons nouveaux, en « tordant le cou » à l'éloquence, pour paraphraser le Verlaine de l'Art poétique.
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