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Début d’un cycle Haendel à Beaune pour Les Epopées : Alcina

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Beaune. Cour des Hospices. 19-VII-2024. Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Alcina, drama per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après l’Alcina delusa da Ruggiero d’Antonio Marchi inspiré d’un épisode de l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto. Avec : Ana Maria Labin, soprano (Alcina) ; Ambroisine Bré, mezzo-soprano (Ruggiero) ; Gwendoline Blondeel, soprano (Morgana) ; Floriane Hasler, mezzo-soprano (Bradamante) ; Juan Sancho, ténor (Oronte) ; Luigi Di Donato, basse (Melisso); Samuel Mariño, soprano (Oberto). Les Epopées, direction : Stéphane Fuget

La trilogie monteverdienne a révélé la singularité de . Le chef-d'oeuvre de Haendel la confirme.

Ce n'est pas sans une grande émotion, voire un réel serrement de cœur, que l'on s'apprête à tourner, avec cette nouvelle Alcina (l'opéra avait été confié en 2005 à Paul McCreesh), une des dernières pages du livre mirifique écrit à Beaune par Anne Blanchard et son époux Kader Hassissi, dont le premier chapitre remonte à 42 ans : le Festival International d'Opéra Baroque, devenu en 2012 Festival International d'Opéra Baroque et Romantique. L'édition 2024 du Festival est la dernière conçue par Anne Blanchard, que la disparition brutale de son alter ego à l'été 2022 a laissée seule aux commandes de la manifestation au titre de directrice artistique, poste qui sera confié dès le terme de ladite édition à celui qui, depuis mars, occupe le poste de délégué général : Maximilien Hondermarck.

C'est à Anne Blanchard et Kader Hassissi que l'on doit d'avoir décelé dans le claveciniste bouillonnant d'inventivité nommé l'étoffe d'un chef et de l'avoir poussé dans la foulée à fonder Les Epopées, ouvrant plus large encore la possibilité d'un nouveau son baroque dans une France qui brillait pourtant déjà sous les mille feux d'une très longue liste : Arts Florissants, Musiciens du Louvre, Talens lyriques, Pygmalion, Poème Harmonique… L'Alcina de l'édition 2024 est clairement l'enfant de l'œil et de l'oreille de ces deux-là.

Une fois encore, c'est une réussite de plus, d'un des rares festivals capable de faire passer une version de concert pour un spectacle total. Jusqu'au cœur de la nuit, dans la chaleur idéale d'une nuit d'été n'intimant pas, comme c'est souvent le cas à Beaune, au repli dans la Basilique Notre-Dame, l'Alcina des Epopées, trois heures trente durant, déroule, dans la Cour des Hospices, les sortilèges d'une partition qui est probablement la meilleure que son auteur écrivit pour la scène.

Même si l'on y décèle bien la saveur acidulée des bois, l'Ouverture, presque sage, n'est que la bande-annonce d'une vision soucieuse de ménager les effets à venir d'une traversée au long cours. On sait addict aux intégrales (sa Poppée wagnérienne révélait même des plages inconnues de presque tous) : son Alcina ne dérogera quasiment pas à cette ligne de conduite, Ballo du II compris (mais pas celui du I) avec cet ineffable premier numéro déjà promené par Haendel de Rinaldo en Ariodante

Manque surtout un air chanté, celui de Melisso, dont la censure n'est imputable qu'à un coup du sort : on compatit avec privé ce soir de l'autorité dont il a fait montre dans plus d'une production du festival par une méforme ne l'autorisant qu'à assurer la continuité récitative au moyen d'une ligne vocale voix réduite à un filet rocailleux. En Riccardo/Bradamante, Floriane Hassler impose son tranquille mezzo androgyne. En Oberto, façon Bruno de Sà, le sopraniste joueur de Samuel Mariño (il incarne jusqu'au sautillement l'enfant à la recherche de son père) touche au cœur. , qui interprète Oronte, n'a pas l'air de penser que le compositeur lui a offert peu d'occasions de briller à côté du sublime Un momento di contento : respirant la musique, même lorsque son premier air l'entraîne aux confins de sa tessiture de ténor, il fait de chacune de ses apparitions un régal pour le spectateur, via une complicité gourmande avec le jeu de l'orchestre et même le geste du chef. Le Ruggiero d' émeut par sa froideur distanciée (un Verdi prati presque atone) jusqu'à un Sta nell' ircana désespéré dont les vocalises déchaînées semblent donner le tournis à la chanteuse elle-même. Remplaçant Jodie Devos, surprend d'abord avec des aigus presque acidulés, mais le tube absolu Tornami a vagheggiar, richement ornementé jusqu'à un suraigu alla Patricia Petibon, met toute l'assistance à genoux.

La magicienne de la soirée reste à tous les sens du terme l'Alcina d' (comme toutes ses partenaires d'un soir, il s'agit d'une prise de rôle), capable de saisir toutes les facettes d'un rôle en or pour qui veut passer par tous les états d'âme de la relation amoureuse : manipulatrice capable d'ébaucher toutes les nuances du sourire sur une seule note, ou amoureuse dévastée, c'est une véritable bête de scène que l'on a sous les yeux.  Ayant pris pleinement la mesure du tempérament de son interprète principale, Fuget lui offre un ahurissant sommet de lenteur sur Ah ! mio cor ! : il faut avoir entendu, façon Air du froid de King Arthur, tendu par le poids de cordes pesées et repesées, le tapis orchestral suspendu aux mots de la soprano roumaine. Un moment tellement inouï, qui semble ne jamais devoir prendre fin, que le très attendu Ombre pallide pourra apparaître du coup en-deçà d'un tel essorage émotionnel.

Le violon solo chantant d'Ama, sospira, le violoncelle se lamentant comme une façon viole de gambe sur Credete al mio dolore, ou encore la furia déchaînée des cors sur Sta nell'Ircana sonnent comme la partie émergée d'un ensemble remarquablement soudé derrière une indéfectible attention, non pas à la performance, mais au mot : la marque de fabrique des Epopées.

Crédits photographiques : © ars.essentia / Lucie Bolzan

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