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Festival de Montperreux : Le Voyage d’hiver en solitaire de Jérôme Boutillier

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Montperreux. Eglise. 8-VII-2024. Franz Schubert (1797-1828) : Winterreise D 911, sur des poèmes de Wilhelm Müller. Avec : Jérôme Boutillier, baryton et pianiste

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Un des plus petits festivals de France accueille un récital aussi surprenant que mémorable : le Winterreise chanté par . Au piano : .

On croyait avoir mal lu dans le programme : « Il interprétera en s'accompagnant au piano… ». Mais il n'y aura pas eu tromperie sur la marchandise : deux heures durant, celui qui est un des  plus grands barytons français du moment aura bel et bien fait entendre en solo l'intégralité du chef-d'œuvre de Schubert. Chaque récital consacré au Voyage d'hiver est toujours un événement. Mais comment qualifier, au risque de verser dans l'hyperbole, l'interprétation qu'en l'église de Montperreux, vient de donner du Winterreise ?

Marrainé par Karine Deshayes, co-dirigé depuis 2022 par Delphine Haidan et Jean-Michel Dhuez, le Festival d'Art Lyrique de Montperreux (petite commune du Doubs sise en surplomb du Lac de Saint-Point), fondé en 2009 par le ténor Stuart Patterson, dédie une semaine de juillet à la voix (concerts, récitals, masterclass, conférences…) de jeunes talents comme de pointures telles que Felicity Lott, Patricia Ciofi, Isabelle Druet, Béatrice Uria-Monzon, Laurent Naouri… Le temps d'un soir, l'édition 2024 invite un tandem inédit : Jérôme Boutillier/Jérôme Boutillier.

Il voyage en solitaire… Pourtant, pour Jérôme Boutillier, l'aventure du Voyage d'hiver avait classiquement commencé en 2011 dans sa configuration dialogue soliste-pianiste. Un conseil avisé plus loin conduisit le jeune chanteur à incarner au sens propre la solitude du Wanderer schubertien. Aujourd'hui, à sa cinquième présentation à Montperreux, après celle donnée en mars dernier à l'Opéra de Saint-Etienne, ce Voyage d'hiver affiche sa singularité : faire de la succession de vignettes attachées à ce sommet du romantisme allemand, de ces « vingt-quatre diapos » d'une vie, une manière de bréviaire à emporter au terme d'une soirée à inscrire dans la liste des grands moments d'une vie de mélomane.

On connaît bien la voix chantée de Jérôme Boutillier. Son galbe parfait, son ampleur intense font autorité dès le Gute Nacht introductif. On découvre sa voix parlée, dont le jeune chanteur fait le plus savant usage, ce qui, on le sait, est toujours un défi. En préambule, Jérôme Boutillier explicite d'abord sa démarche qu'il prétend calquée sur l'habitude qu'avaient certains compositeurs du passé de faire entendre  « avec des voix atroces » leurs œuvres, en s'accompagnant eux-mêmes au clavier. Il prévient également qu'il a décidé se rétablir l'ordre originel des poèmes de Wilhelm Müller afin d'être à même de pouvoir révéler « ce qui se passe entre les morceaux ». Il groupe certains numéros, fait savoir au passage, d'un simple geste, son peu d'appétit pour les applaudissements d'ici le terme du voyage. Pédagogue sans pédanterie, humoriste sans forfanterie (il confesse qu'il n'est ni le « baryton grave » ni le « ténor aigu » exigé par la partition), il entraîne son auditeur sur les voies de la métaphore, du figuralisme, de la métaphysique, et (« c'est porteur », dit-il), des idées fixes du romantisme : bien-aimée, Doppelgänger, Kunstlied, Volkslied… Et quand survient sur la dernière pièce l'unique nouveau personnage de l'œuvre (Der Leiermann), on peut enfin nommer le seul voyage qui vaille la peine : le voyage intérieur.


Chanteur, parleur… on admire aussi le pianiste (Jérôme Boutillier fut d'abord accompagnateur), dont ne dépasse que la tête face public derrière son instrument. L'acoustique très généreuse du lieu favorise une ampleur toute symphonique (Mut!), même pendant les oasis ourlés de Frühlingstraum, Der Lindenbaum, Auf dem Flusse. Rien n'est laissé sur le chemin de ce Winterreise (on prend le temps de moquer le cor du postillon de Der Post) pensé dans ses moindres détails. Dernier point qui ajoute au spectaculaire de l'entreprise: chanteur et accompagnateur, vêtus comme un seul et même voyageur d'un pantalon de voyage à carreaux (Jérôme Boutillier est effectivement en transit entre deux représentations dresdoises de Benvenuto Cellini) chantent et jouent entièrement par cœur !

Vers sa fin, ce Winterreise que tous les programmateurs devraient dorénavant s'arracher, aborde de front les rivages de l'intime. Le chanteur, aussi bouleversé que son public, se confie sans fard quant au dialogue engagé pour l'occasion avec son propre père (« pour vous ce sera peut-être quelqu'un d'autre »), sur la brutale disparition de Jodie Devos, et abat sa dernière carte : le rappel aux oublieux (« c'est ma philosophie, mais vous pouvez en avoir une autre ») que « toute notre vie sert à préparer notre mort ». Bref, comme l'écrivait Jean-Luc Lagarce : « Vivre c'est apprendre à mourir ». C'est donc armé pour toutes les saisons de la vie, que l'on sera ressorti de ce Voyage d'hiver en plein été.

Crédits photographiques : © Festival de Montperreux

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