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Quelques échos vocaux du festival de Wallonie à Namur

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Namur. Festival de Wallonie. Edition 2024 « Natures » en hommage à Jodie Devos.
6-VII-2024 : Namur festival Hall. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Mitridate, re di ponto opéra séria en trois actes sur un livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, d’après la pièce éponyme de Jean Racine. Mise en scène : Eric Gobin; Lumières : Félicien van Kriekinge. Décor : Frédéric Philippe. Avec : Stefan Sbonnik : Mitridate; Gianna Cañete Gallo : Aspasia; Dennis Orellana : Sifare:; Pieter de Praetere : Farnace. Dorine Mortelmans : Ismene; Sonia Sheridan Jacquelin : Arbate; Mathis van Cleynenbreugel : Marzio. Noémi Biro, pianoforte; Guy Penson, clavecin. Orchestre royal de chambre de Wallonie, Thibaut Lenaerts, direction musicale générale.
Concert Hall. 7-VII-2024. Claudio Monteverdi (1567-1643) : « Selva morale e spirituale » extraits et autres motets : Gloria à 7 SV 258; Dixit Dominus secondo SV 263; Beatus vir primo, SV 268; O bone Jesu o piisimi Jesu, SV 313 (version instrumentale et vocale); Adoramus te, Christe SV 289; Cruxifixus, SV 259; Laetaniae della Beata Vergine SV 204, Magnificat primo SV 281. Vox Luminis, Lionel Meunier, direction.
Eglise Saint-Loup. 9-VII-2024. « Les Chants du Ciel et de la Terre ». Marc-Antoine Charpentier'(1643-1704) : Feuillages verts, naissez; Ruisseau qui nourrit ce bois; Celle qui fait mon tourment; Sans frayeur dans ce bois. Michel Lambert (1610-1696) : Ma bergère est tendre et fidèle; Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763) : Sonate en trio en ré majeur; Christophe Ballard ( 1641-1715) : J’avais cru qu’en vous aymant; Jean-Féry Rebel (1666-1747) : Musette; François Francoeur (1698-1787) : Tout est prêt…Fureur Amour; Jacques Champion de Chambonnière (1602-1672) : Sarabande « jeunes Zéphyrs » dans l’arrangement d’Anglebert; Honoré d’Ambruis ( vers 1660-1702): le doux silence de nos bois; Marin Marais (1656-1728) le Tourbillon, extrait du IV ème Livre de pièces pour la viole; François Couperin (1668-1733) : le Rossignol en amour; Jean-Baptiste de Bousset (1662-1725) : Pourquoy doux rossignol; Louis Antoine lefebvre ((1700-1763) : Vous, qui voyez ce feuillage. Gwendoline Blondeel, soprano; membres de la Cappella Mediterranea, Laura Corolla, violon; Ronald Martin Alonso, viole de gambe; Marie van Rhijn, clavecin; Rodrigo Calveyra, flûte à bec et direction.

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Le festival de Namur, l'une des branches aînées de la fédération des festivals de Wallonie, fête cette année ses 60 ans d'existence. Pour cet anniversaire, trois dates au sein d'un beau panel de concerts retiennent notre attention.

 

Cette édition 2024 est dédiée à la mémoire de Jodie Devos, tragiquement disparue récemment et dont le portrait est omniprésent. La soprano était très attachée à la ville tant par ses racines familiales, que par une bonne partie de ses études.

 

Mitridate, re di Ponto, le chef d'œuvre du jeune Mozart donné avec un juvénile et fervent entrain.

Ce 6 juillet, l'association musico-théâtrale Amadeus-and-co propose au Concert Hall du Grand Manège, en coproduction avec l', la (re)découverte du premier grand opera seria d'un Mozart âgé de 14 ans et alors en villégiature italienne : Mitridate re di Ponto, créé à Milan en 1770, sur un livret de Cogna-Santi directement inspiré de la tragédie de Jean Racine. Le metteur en scène a choisi l'économie avec une lecture très racinienne du livret : il bande patiemment le ressort de l'action pour y instiller le drame et les passions qui éclatent après l'entracte.

Le  plateau est actualisé avec ce décor unique, tantôt entrepôt d'armes et coulisses de tous les complots, tantôt salle des audiences royales. Les costumes masculins en treillis, et les armes de poing contemporaines nous rappellent aussi les conflits actuels en cette zone géopolitique depuis toujours sensible : le «Pont» c'est l'actuelle côté turque en bordure de mer Noire, et la Thrace souvent évoquée est le nom antique de l'actuelle Crimée.
La direction d'acteurs se veut assez spartiate mais incisivement directive au gré des récitatifs – véritables fers de lance de l'action- et plus corporellement expressive au fil des airs souvent de coupe da capo.

C'est là tout le mérite de cette production itinérante (Namur vient après Bruxelles et Mons) de réunir avec un casting pour l'essentiel belge, certes pas toujours irréprochable, mais somme toute d'un intelligent à-propos, une belle brochette de (très) jeunes solistes.

Le ténor allemand donne une allure un peu monolithique et courroucée mais assez virtuose et plausible au rôle-titre, notamment avec un très probant et  magnifique aplomb au fil du redoutable air « Tu che fedel » au deuxième acte.
Le très jeune (23 ans à peine) sopraniste Dennis Orellana a fière allure en fils fidèle amoureux et déçu Sifare : si on en retient le timbre brillant et son attachante personnalité, sa voix manque toutefois encore de souplesse et de variété dans la projection, notamment  dans le registre suraigu qui se révèle parfois peu élégant ou nuancé. Mais l'organe est plus qu'intéressant ! Plus discret mais très probe, le contreténor Pieter de Praetere donne, malgré un moindre volume, tout le relief félon et indécis au fils rebelle Farnace, avec, en sus, une conviction théâtrale assez idoine.

La distribution féminine nous a semblé plus homogène. Tout d'abord la soprano Gianna Cañete Gallo livre un portrait tout en finesse de la très convoitée Aspasia au gré de ses divers airs, dont un  acrobatique « Nel sen mi palpita  » d'anthologie. Le rôle de seconde soprano, Ismène, la promise de Farnace, est vaillamment tenu par , au timbre plus uniment sombre et d'une belle homogénéité vocale. Mentionnons aussi les interventions plus brèves mais bien senties de la mezzo Sonia Sheridan-Jacquelin en messagère Arbate, sémillante par son timbre vif-argent et saluons l'irréprochable Marzio du ténor Mathis Van Cleynenbreugel.

Faute de fosse en la grande salle du Manège namurois, l' est relégué en fond de plateau avec une communication sans doute difficile avec les solistes du chant. Peu rompu au travail d'opéra, la phalange s'avère juste correcte, mais sans grand relief ; on pourrait souhaiter ici plus de tranchant dans les attaques ou les contrastes dramatiques, ou là,  des sonorités plus suaves ou épanchées au fil des airs les plus sentimentaux. La direction de – plus connu comme ténor soliste ou chef de chœur, et dont c'est ici la première expérience opératique en tant que directeur musical – est un rien protocolaire, probe et efficace mais manquant de réelle passion. Saluons aussi les excellents continuistes, Noémi Biro au pianoforte et Guy Penson au clavecin, qui  soutiennent avec beaucoup de musicalité l'intérêt au fil des nombreux (et souvent longs) récitatifs.

Vox Luminis irradie la Selva Morale e spirituel de .

Le 7 juillet, toujours au Concert Hall du Grand Manège nous sommes conviés à l'exploration de la Selva Morale e spirituale.


Vox Luminis, l'ensemble à l'origine essentiellement vocal, fondé voici vingt ans  et depuis l'origine établi à …Namur  par la basse française est l'une des deux instances artistiques invitées et associées à l'ensemble des festivals de Wallonie cette année. L'ensemble et son chef se font audiblement plaisir avec cette admirable et très enlevée sélection de l'important recueil monteverdien. L'ensemble réunit ce jour douze chanteurs triés sur le volet, menés par leur chef depuis son pupitre de basse : des artistes aux voix bien typées que l'on peut à l'occasion retrouver aussi dans d'autres ensembles vocaux, tous à la pointe  de la musique ancienne. Par exemple est aussi entre autres membre du Collegium Vocale de Gent, et on peut retrouver chez Huelgas … Avec un soin apporté à l'émission et à l'expressivité vocales, l'ensemble atteint un rare degré de cohérence et de spécificité coloriste : la soprano et surtout les deux ténors péninsulaires et apportent cette sublime et salutaire touche d'italianita solaire par leurs timbres irradiants. Pour assumer le ripieno, disposé centralement, un petit groupe instrumental, parfait d'énergie et de précision, réunit deux violons, dont l'excellent et très demandé Tuomo Soni – quatre superbes sacqueboutiers et un continuo aussi fourni que bigarré (violone, théorbe, harpe) : tout ce beau et parfait petit monde est mené depuis l'orgue positif par l'exceptionnel et ébouriffant claviériste Anthony Romaniuk.

La sélection des pages permet d'alterner ce soir de grands moments jubilatoires (Gloria à 7 donné d'entrée, Beatus Vir primo au  refrain irrésistible) avec des plages plus méditatives, doloristes ou suaves. s'est employé à respecter, au fil des sections de ces grandes pages, les ruptures de tempi et les proportions métriques clairement indiquées par le compositeur dans cette édition. Les plages rapides seront vives et de tempi très soutenus, sans jamais être précipitées, la où en total contraste les incises – souvent ternaires – pourront laisser le chant s'épanouir, par la largesse de la battue.
Il y a là des moments polyphoniques spectaculaires (nimbant le Magnificat Primo, conclusif et festif ou le Dixit dominus secondo très subtilement articulé aux saisissants déhanchements rythmiques soulignés avec beaucoup d'à-propos rhétorique et confinant au hoquetus par l'imbrication des voix) alternant avec d'autres d'un intense recueillement quasi pathétique, tel ce Cruxifixus très marqué par le chromatisme et donné par quatre solistes sans aucun soutien instrumental.

Quelques pages étrangères à ce recueil tardifs ont également été retenues : tel le sublime O bone jesu du recueil de motet de 1622 à deux dessus, donné tout d'abord dans une diminution instrumentale puis, plus avant, dans se version originale à deux soprani, superbes de vocalité et de ferveur piétiste, et telles autres issues des deux livres de motets parus à l'époque chez Bianchi, les Laetaniae della Beata Virigine, et surtout cet admirable Adoramus te, Christe à six, qui accompagne Vox Luminis depuis ses débuts : donnés juste en sextuor vocal soutenu par le continuo au fil du concert,  il est bissé au terme du périple, en guise d'au revoir, cette fois à douze choristes et paré de toutes les doublures instrumentales dans leur somptueuse magnificence.

De sublimes « Chants du Ciel et de la Terre » selon .

est également artiste invitée associée au fil de la programmation de l'ensemble des divers festivals de la fédération cette saison.
Depuis son premier prix au concours très prisé de chant baroque de Froville voici cinq ans, le monde musical – et pas qu'ancien – s'arrache la jeune soprano belge. Ses propres affinités, son goût musical très sûr, la parfaite énergie qui galbe la ligne vocale, l'originalité versatile de son timbre lumineux et solaire dans l'aigu mais aussi à l'occasion plus ombrageux et dramatique dans le grave, ce théâtre dans la voix doublé d'une précision de prononciation quasi chirurgicale font toujours mouche, en particulier dans le répertoire français tel qu'envisagé ce soir. Elle revient pour ce bref mais intense concert en l'Eglise baroque Saint-Loup, de style jésuite contemporain du répertoire musical envisagé,  avec ces  » Chants du Ciel et de la Terre » et propose avec une confondante intelligence une très habile sélection d'airs de cour français, où Dame Nature, bien dominée, devient, tel le reflet d'un paysage choisi, miroir de l'âme énamourée, triste ou guillerette, par la beauté de son  chant et sa miraculeuse expressivité. C'est Marc-Antone Charpentier qui se taille la part du lion, (Feuillages verts, Ruisseau qui nourrit ce bois, Sans Frayeur dans ce bois) – outre le célèbre air à boire « celle qui fait mon tourment » mis en espace dans la nef de l'église. Le maître du baroque français est retenu aussi pour les deux bis, l'un humoristique et grivois, l'autre méditatif et suave… Mais deux moments nous tirent les larmes ; l'assez connu et presque sépulcral « J'avais cru qu'en vous aymant »  de (ou plutôt édité par) Christophe Ballard et surtout  » le doux silence de nos bois  » d'Honoré d'Ambruis où la soprano atteint une sorte de quintessence de son art, tant par la suprême élégance musicale, à la fois pudique et effusive, que par une tenue de la ligne vocale d'une immatérielle beauté. En total contraste, nous voici conviés aussi à l'opéra avec le très dramatique et beaucoup plus tardif (1735) Tout est prêt…Fureur amour, extrait de l'opéra collectif Scanderberg (Francoeur/Rebel) où trouve la juste expression courroucée et véhémente qui sied à merveille à la passionnée héroïne Roxane.

En dehors du soutien instrumental et du dialogue avec la soliste, quatre membres de la Capella Mediterranea assurent quelques intermèdes instrumentaux, programmés dans la continuité thématique ou le prolongement musical des airs qu'ils encadrent. Marie van Rhijn au clavecin est non seulement une partenaire passionnée et attentive (le Rossignol en Amour de François Couperin) mais aussi une claveciniste soliste patentée (dans la sarabande « jeunes zephyrs «  d'Anglebert d'après Champion de Chambonnières), la violoniste offre une prestation très homogène et une très correcte réplique  au flutiste Rodrigo Calveyra, maître d'œuvre du projet depuis son traverso, au fil d'une belle sonate en trio de Jacques-Martin Hotteterre. Le tourbillon de Marin Marais, un rien trop précipité sous l'archet de déçoit quelque peu alors qu'ailleurs le gambiste s'avère un continuiste aussi fervent que parfait. Mais, on l'aura compris, l'essence de ce beau et bref récital est aussi ailleurs, sur les ailes du Chant !

Crédits photographiques : Mitridate / Pieter de Praetere et Dorine Motelmans ; Vox Luminis au Grand Manège ;
Gwendoline Blondeel  et les membres de la © Festival de Namur- Le Grand Manège
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Namur. Festival de Wallonie. Edition 2024 « Natures » en hommage à Jodie Devos.
6-VII-2024 : Namur festival Hall. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Mitridate, re di ponto opéra séria en trois actes sur un livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, d’après la pièce éponyme de Jean Racine. Mise en scène : Eric Gobin; Lumières : Félicien van Kriekinge. Décor : Frédéric Philippe. Avec : Stefan Sbonnik : Mitridate; Gianna Cañete Gallo : Aspasia; Dennis Orellana : Sifare:; Pieter de Praetere : Farnace. Dorine Mortelmans : Ismene; Sonia Sheridan Jacquelin : Arbate; Mathis van Cleynenbreugel : Marzio. Noémi Biro, pianoforte; Guy Penson, clavecin. Orchestre royal de chambre de Wallonie, Thibaut Lenaerts, direction musicale générale.
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Eglise Saint-Loup. 9-VII-2024. « Les Chants du Ciel et de la Terre ». Marc-Antoine Charpentier'(1643-1704) : Feuillages verts, naissez; Ruisseau qui nourrit ce bois; Celle qui fait mon tourment; Sans frayeur dans ce bois. Michel Lambert (1610-1696) : Ma bergère est tendre et fidèle; Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763) : Sonate en trio en ré majeur; Christophe Ballard ( 1641-1715) : J’avais cru qu’en vous aymant; Jean-Féry Rebel (1666-1747) : Musette; François Francoeur (1698-1787) : Tout est prêt…Fureur Amour; Jacques Champion de Chambonnière (1602-1672) : Sarabande « jeunes Zéphyrs » dans l’arrangement d’Anglebert; Honoré d’Ambruis ( vers 1660-1702): le doux silence de nos bois; Marin Marais (1656-1728) le Tourbillon, extrait du IV ème Livre de pièces pour la viole; François Couperin (1668-1733) : le Rossignol en amour; Jean-Baptiste de Bousset (1662-1725) : Pourquoy doux rossignol; Louis Antoine lefebvre ((1700-1763) : Vous, qui voyez ce feuillage. Gwendoline Blondeel, soprano; membres de la Cappella Mediterranea, Laura Corolla, violon; Ronald Martin Alonso, viole de gambe; Marie van Rhijn, clavecin; Rodrigo Calveyra, flûte à bec et direction.

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