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Avignon. Théâtre de la porte Saint-Michel. 7-VII-2024. Jean-François Novelli (né en 1970) : Ma vie de ténor (est un roman qui m’intéresse beaucoup !), spectacle musical d’après des textes d’Hector Berlioz, Gilbert Duprez, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant. Adaptation : Olivier Broche, Jean-François Novelli. Mise en scène : Olivier Broche. Décors : Kenza Berrada. Costumes Kenza Berrada, Adrien Chombat de Lauwe. Lumière : Emmanuelle Phelippeau. Avec : Lucie Moulis, piano ; Jean-François Novelli, ténor
Programmé pour la seconde année successive dans le off de l'édition 2024 du Festival d'Avignon, Ma vie de ténor… est un roman qui m'intéresse beaucoup !, créé en 2020 à Pontoise, laisse augurer, avec son clin d'œil berliozien, d'une plongée souriante dans le off d'un cerveau bien spécifique : celui du ténor d'opéra.
« C… comme un ténor » : tout le monde connaît cette aimable plaisanterie dans le petit monde de l'opéra, où la soprano, ainsi que le rappelait récemment Benjamin Bernheim (qui sait lui aussi de quoi il parle), serait condamnée au papillonnement, tandis que la basse serait une personne posée. Quant au ténor, qui, dit-on, ne comprend rien à rien, il ferait carrément office, dans ce microcosme friand de raillerie, de mouton noir, tellement hypnotisé qu'il est par les productions de son gosier.
Mettant à la première personne la sixième des vingt-cinq nouvelles composant Les Soirées de l'orchestre, où, en 1852, Berlioz n'y alla pas « de plume morte » pour régler son compte à l'univers musical de son temps, sans oublier d'ironiser sur une tessiture qui lui en avait tant fait voir (Duprez en artisan de la chute de Benvenuto Cellini), Jean-François Novelli s'immisce en souriant dans le sillage berliozien comme s'il voulait lui-même préserver son propre avenir de ce péril en vogue dans le monde artistique : se prendre pour sa photo. Un péril dont Berlioz avait peut-être aussi conscience, lui qui professera sans ses Mémoires : « Ma vie est un roman qui m'intéresse beaucoup ».
Né en 2020 au Festival baroque de Pontoise, et ayant subi quelques métamorphoses depuis, le ténor distancié de Jean-François Novelli est une caricature: garde-robe improbable, cascades chevelues à même de transformer Monsieur Tout le monde en Adonis, enfilades de poses à la rampe,… Les souvenirs ne manquent pas d'affluer d'un temps où le chanteur d'opéra n'avait pas à être un acteur. Dans une époque où il arrive encore, au détour d'une conversation, que l'on entende proférer : « Le problème à l'opéra aujourd'hui, ce sont les mises en scène », voir ressusciter le goût esthétique d'un temps presque révolu est forcément des plus réjouissants. Le ténor novellien, qui se targue d'avoir été à l'école d'un certain Robert Alagno, aligne tous les clichés qui accompagnent en sherpas la trajectoire du ténor d'opéra, de l'ascension à la chute, jusqu'à un épilogue apaisé où, telle Callas dans son appartement de la rue Georges Mandel, il sera contraint par les ravages du Temps qui passe, à poser tôt ou tard, sur son ego ébranlé par sa voix évanouie, le baume d'un vinyle crépitant rappelant aux oublieux qu'il avait été au sommet.
Jean-François Novelli n'est pas qu'un comédien. On l'a entendu avec Les Lunaisiens qu'il co-fonda avec Arnaud Marzorati , il fut M. Victor dans le Ô mon bel inconnu monté par Emeline Bayart, il a suivi les enseignements de William Christie, de Christophe Rousset, collaboré avec Antoine Sahler, enregistré avec Maude Gratton… Ma vie de ténor… est un roman qui m'intéresse beaucoup !, produit par sa compagnie L'Autre Voix, entrecoupe donc les mots de Berlioz (mais aussi ceux de Flaubert, Maupassant et même de Duprez) de plages musicales : Bonne nuit les petits (en fait le Que ne suis-je la fougère, attribué à Pergolèse) qu'il exécute lui-même à la flûte, Eugène Onéguine (l'air de Lenski), La Jolie Fille de Perth (A la voix d'un amant fidèle), et même certaine scie obligée de tout ténor en vue Funiculì funiculà… Qu'il soit Marchand de sable ou Divo emperruqué, Jean-François Novelli, qui n'a aucune difficulté à projeter sa ligne claire et son articulation précise dans le petit Théâtre Saint-Michel (49 places au compteur), navigue à l'envi entre nuance et confidence.
La mise en scène d'Olivier Broche (ex-Deschiens devenu Jean-Louis Bory dans le savoureux Instants critiques de François Morel) est la simplicité même autour du fidèle compagnonnage pianistique de Lucie Moulis : un hamac, un tapis, quelques accessoires… Même si l'on s'attendrait à une écriture plus acérée, voire plus cruelle, à un second degré plus hilarant, et même à un voyage plus nourri (une petite heure et puis le ténor s'en va), on reçoit forcément avec le sourire cette Vie de ténor …qui nous intéresse beaucoup !, et dont la leçon pourrait bien évidemment servir de mise en garde à quiconque serait tenté, sur la scène de son quotidien, d'imiter la malicieuse affiche dessinée spécialement pour le spectacle par l'inénarrable Didier Tronchet, et de « se prendre pour sa photo. »
Crédits photographiques : © Patrick Balas
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