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Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. 6-VII-2024. Claude Debussy (1862-1918) : Pelléas et Mélisande, drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux de Maurice Maeterlinck d’après sa pièce Pelléas et Mélisande. Mise en scène : Katie Mitchell. Décors : Lizzie Clachan ; Costumes : Chloé Lamford. Lumière : James Farncombe. Avec : Huw Montague Rendall, baryton (Pelléas) ; Chiara Skerath, soprano (Mélisande) ; Laurent Naouri, baryton-basse (Golaud) ; Vincent Le Texier, baryton (Arkel) ; Lucile Richardot, mezzo-soprano (Geneviève) ; Emma Fekete, soprano (Yniold); Thomas Dear, basse (Le Médecin) Choeur (chef de chœur : Benedikt Kearns) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Susanna Mälkki
Le festival d'Aix-en-Provence reprend une de ses plus extraordinaires productions, le Pelléas et Mélisande mis en scène en 2016 par Katie Mitchell. Mais pas à l'identique.
Au terme de la reprise de ce Pelléas que l'on aurait aimé sans réserves comme à sa création (on espérait alors un DVD), l'on ne peut s'empêcher d'adhérer à nouveau au conseil d'Olivier Py déclarant dans ces colonnes que l'on devrait toujours reprendre les spectacles à l'identique. La grande metteuse en scène anglaise a cru bon de retoucher un spectacle parfait. Las, force est de reconnaître qu'à l'inverse du Ring que Patrice Chéreau peaufina sur cinq années à Bayreuth, son Pelléas revisité s'avère moins convaincant que celui de 2016.
Les bénéfices de la relecture, bien minces, suivent l'air du temps : un Yniold dégenré en fille, vraie aubaine en regard de la problématique du travesti accolé à un rôle parfois moqué ; les échanges voyeuristes Golaud/Yniold par téléphones portables… Plus contestable, tout le reste : un prologue muet, plus complexe qu'en 2016, qui compromet la lisibilité avec test de grossesse surajouté, et surtout la présence, sur la lunette des toilettes de la salle de bain, d'un jeune homme (Pelléas déjà ?) que Mélisande bourre de cachets ; plus gênant, des scènes de sexe surlignées jusqu'au malaise. Le moment où Golaud renverse d'un caricatural coup de rein le double de Mélisande sur la table de la salle à manger fait sourire avec son virilisme pénible. Il en ira de même pour les baisers incestueux, les masturbations réciproques, et même pour le coït consumé sur « Toutes les étoiles tombent » de ce Pelléas inutilement testostéroné : homme ou femme, on se sent comme gêné d'être là. Katie Mitchell s'étend longuement dans le programme sur « le rôle merveilleux » joué par la coordinatrice d'intimité qui l'a accompagnée dans le tissage de ce Pelléas en étendard d'une dénonciation très appuyée de la violence masculine. On est loin de partager son enthousiasme, tant s'avère manifeste la contre-productivité de Pelléas 2 qui, en sus d'ébranler les plus fidèles thuriféraires de Pelléas 1, laisse définitivement à quai les addicts au symbolisme cher à Maeterlinck, déjà horrifiés en 2016 par cette lecture féministe ultra-sexuée d'un chef-d'œuvre à l'opacité commode à plus d'un titre.
A la décharge de la metteuse en scène, il faut reconnaître que son Pelléas de 2016 reposait au moins autant sur l'intelligence de sa vision que sur le magnétisme physique de chanteurs-acteurs d'exception. Les mérites vocaux respectifs de Huw Montague Rendall (stylé, bon francophone), et de Chiara Skerath (délicate et émouvante, comme elle l'avait déjà montré à Bordeaux) ne sont pas en cause, mais les deux interprètes, très jeunes, restent en-deçà de l'osmose sensuelle du couple Degout-Hannigan. On les sent plus appliqués que véritablement à l'aise. Même le double muet de Mélisande, copie confondante de Barbara Hannigan en 2016, est physiquement bien trop différente de Chiara Skerath, pour être crédible. La scène où Mélisande étouffe Mélisande sous un oreiller fait cette année véritablement froid dans le dos, ce qui est un comble dans ce rêve d'une héroïne (c'est le concept du spectacle) qui est aussi le rêve d'une metteuse en scène : questionner le regard des hommes sur les femmes du répertoire lyrique. Un rêve que Katie Mitchell n'est pas loin d'avoir transformé en cauchemar.
Reste, au pouvoir de fascination inentamé, la fabuleuse scénographie de Lizzie Clachan. De celles qu'il faut avoir vues dans sa vie. A l'opposé de Barrie Kosky qui, une poignée d'heures plus tôt, pour Songs and Fragments, créait un monde avec rien, Katie Mitchell crée Allemonde avec rien moins que tout l'arsenal du choc esthétique cher à l'opéra. Se déploie trois heures durant, devant les yeux émerveillés du spectateur, la cinégénie d'un univers décliné façon cases de bandes dessinées en mouvement, manipulées dans le plus grand silence par une invisible armée de machinistes : chambre-forêt dont Golaud avoue ne plus pouvoir sortir, vestibule étouffant, balcon perché, cave humide aux portes envahies de terre, piscine désaffectée envahie par la végétation, vertigineux colimaçon en métaphore des spirales mentales des personnages. Bref : l'opéra dans toute sa splendeur.
Restent aussi d'autres excellents interprètes. Les rescapés de 2016 : en tout premier lieu l'immense Golaud hanté de Laurent Naouri (un de ses meilleurs rôles), le Médecin sobre et stylé de Thomas Dear. Des nouveau-venus : la lettre de Geneviève semble avoir été écrite pour Lucile Richardot ; l'Arkel de Vincent Le Texier fait d'une voix vacillante la pierre philosophale d'une incarnation accablante, celle d'un faux-sage lui aussi titillé par l'inceste; l'Yniold un peu impersonnel d'Emma Fekete. Quant à la lecture de Susanna Mälkki, moins analytique et spectaculaire que celle d'Esa-Pekka Salonen, rivée qu'elle est à la poésie étale et étouffante de la partition, elle semble, contrairement au spectateur, comme insensible au forceps des images. Elle aurait fait davantage illusion avec le Pelléas de rêve de 2016.
Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez
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