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Beaune. Cour des Hospices. 13-VII-2024. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Tamerlano, opéra-pasticcio en trois actes sur un livret d’Agostino Piovene. Avec : Bruno Taddia, baryton (Bajazet) ; Filippo Mineccia, contreténor (Tamerlano) ; Delphine Galou, contralto (Asteria) ; Shakèd Bar, soprano (Irene) ; Marina de Liso, mezzo-soprano (Andronico) ; Benedetta Mazzuccato, contralto (Idaspe). Accademia Bizantina, direction : Ottavio Dantone
Très belle prestation du contreténor Filippo Mineccia. Distribution inégale mais de bonne qualité dans l'ensemble, grâce notamment à l'arrivée dans l'univers du chant baroque de quelques nouvelles recrues.
Les occasions d'entendre les opéras de Vivaldi en live restent relativement rares, qu'il s'agisse de la scène ou du concert. On sera ainsi reconnaissant au festival de Beaune de reprogrammer, huit ans après la belle prestation des Accents et de Thibault Noally, le fameux Tamerlano, ouvrage également connu sous le nom de Bajazet et dont le livret avait également inspiré en 1724 un des grands chefs d'œuvre de Haendel. L'opéra de Vivaldi se présente comme la succession de 22 magnifiques arias, réparties équitablement entre les six acteurs du drame. On se souvient que le musicologue Frédéric Delaméa avait montré comment les choix musicaux de Vivaldi, au moment de la conception de son pasticcio, s'étaient fait l'écho à l'époque de sa création de l'évolution du genre lyrique italien. Aux personnages associés à l'oppression, à l'hégémonie et au pouvoir (Tamerlano, Andronico, Irene) étaient confiés des airs de facture napolitaine empruntés par Vivaldi à des compositeurs comme Hasse, Giacomelli, Broschi et Orlandi ; ceux incarnant dans la trame dramatique les figures de la résistance (Bajazet, Asteria, Idaspe) s'étaient vus attribuer les morceaux de la main de Vivaldi lui-même. Belle manière de rappeler l'hégémonie de l'air napolitain sur les destinées de l'opéra vénitien, alors menacé dans son intégrité par les nouvelles tendances et innovations musicales venues du Sud de l'Italie. Il n'en reste pas moins que l'œuvre donnée à entendre est de toute beauté, dont l'un des principaux mérites réside justement dans sa variété et sa diversité.
La distribution réunie sur le plateau des Hospices de Beaune illustrerait presque cette dichotomie fondamentale, les chanteurs incarnant sur scène les personnages opprimés n'étant pas véritablement le plus à même de rendre compte de la brillance et de la virtuosité associées à la vocalité de l'école napolitaine. Avec son baryton terne et sans couleur, Bruno Taddia est ainsi un Bajazet expressif et dramatiquement efficace, convaincant dans les récitatifs mais relativement fruste sur le plan strictement vocal. À Delphine Galou également, on pourra reprocher certaines aigreurs et aspérités, tout en louant la façon dont elle sait donner vie à certaines de ses arias, notamment « La cervetta timidetta » qu'elle interprète avec toute la justesse de ton qui convient. Son « Qual furore, qual affanno », l'air repris du « Nel profondo cieco mondo » de l'Orlando furioso atteste cruellement la pauvreté du timbre, pour ne rien dire du « Svena, uccidi, abbatti, atterra » qui confirme la limite des moyens. On notera, chez les personnages dits « opprimés », les belles moirures vocales et la déconcertante facilité dans la vocalise affichées par la contralto Benedetta Mazzucato, nouvelle venue au sein d'une distribution à qui l'on doit, pour sa globalité, l'enregistrement réalisé pour le label Naïve en 2020. Parmi les personnages dit « hégémoniques » on retrouve l'Andronico de Marina de Liso, toujours aussi pauvre en couleurs mais efficace et professionnelle de bout en bout, avec quelques beaux moments dans ses derniers airs. Nouvelle venue dans la troupe, la soprano Shakèd Bar qui dispose pour le personnage d'Irene d'un instrument long et souple, délicieusement fruité et d'une belle souplesse qui lui permet d'aborder avec la même aisance le virtuose « Qual guerriero in campo armato » autrefois chanté par Farinelli, les sons filés de « Sposa, son disprezzata » ou les extases langoureuses de « Son tortorella ». On aura gardé le meilleur pour la bonne bouche, avec le formidable Tamerlano du contreténor Filippo Mineccia dont on saluera autant la pure beauté vocale que l'élégance de l'interprétation, sans compter une réelle présence scénique qui donne vie et corps à chacune de ses interventions, récitatifs et airs compris. Son « Barbaro traditor » du dernier acte comptera assurément comme un moment d'anthologie d'une soirée de belle qualité, mais dont le niveau vocal n'était pas parfaitement homogène. Comme à l'accoutumée, excellente prestation de l'ensemble Accademia Bizantina sous la baguette experte d'Ottavio Dantone, qui dirige son Vivaldi avec toute la fougue, l'enthousiasme et la probité qu'on lui connaît. Belle soirée de festival, avec le bonheur toujours renouvelé de se plonger dans les opéras du prete rosso.
Crédits photographiques : Filippo Mineccia et Accademia Bizantina (photo n°1) ; Shakèd Bar (photo n°2) © Ars Essentia
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Beaune. Cour des Hospices. 13-VII-2024. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Tamerlano, opéra-pasticcio en trois actes sur un livret d’Agostino Piovene. Avec : Bruno Taddia, baryton (Bajazet) ; Filippo Mineccia, contreténor (Tamerlano) ; Delphine Galou, contralto (Asteria) ; Shakèd Bar, soprano (Irene) ; Marina de Liso, mezzo-soprano (Andronico) ; Benedetta Mazzuccato, contralto (Idaspe). Accademia Bizantina, direction : Ottavio Dantone