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Pelléas et Mélisande à Munich, un orchestre en majesté grâce à Hannu Lintu

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Munich. Prinzregententheater. 11-VII-2024. Claude Debussy (1862-1902) : Pelléas et Mélisande, opéra d’après la pièce de Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Jetske Mijnssen ; décors et costumes : Ben Baur. Avec Franz-Josef Selig (Arkel), Sophie Koch (Geneviève), Ben Bliss (Pelléas), Christian Gerhaher (Golaud), Sabine Devieilhe (Mélisande), soliste du Tölzer Knabenchor (Yniold)… Bayerisches Staatsorchester ; direction : Hannu Lintu.

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La distribution, pourtant prestigieuse, se retrouve au second plan et la mise en scène étriquée de libère l'attention pour ce qui se passe en fosse.

Pour tout mélomane francophone, Pelléas est une œuvre centrale de la modernité musicale ; à Munich, plus encore que dans le reste de l'Allemagne, c'est une rareté : on n'avait pas pu voir l'œuvre depuis l'été 2015, déjà au Prinzregententheater, et pour quatre représentations sans aucune reprise. Cette année, c'est dans le même théâtre, et sans plus de certitudes quant à une future reprise, que l'œuvre est donnée, à cinq reprises, pour un spectacle qui sera au moins rentabilisé par sa coproduction avec l'Opéra de Dallas.

Le public américain n'aura rien à craindre de cette importation : la mise en scène de est d'une sagesse qui réconfortera le plus traditionaliste des spectateurs – on pourrait d'ailleurs croire qu'elle est contemporaine de celle de Pierre Strosser au milieu des années 80, avec cette transposition à l'époque de la création dans un milieu bourgeois, mais visiblement avec moins de moyens. On pourrait tout aussi bien situer la mise en scène en 1200, en 1750 ou en 2100, mais bien sûr l'année 1902 n'est pas moins possible, et ce choix n'a pas la valeur heuristique que lui prête la metteuse en scène. La scène est réduite à une étroite bande recouverte de parquet, tantôt salle de bal, tantôt chambre de malade, tantôt salle à manger ; un cadre de scène entourée d'un néon est sans doute destiné à nous placer dans la situation du voyeur qui observe de l'extérieur la vie intime de la famille d'Arkel, mais on l'oublie trop vite pour que ce dispositif soit efficace.

La mise en situation d'époque est donc pour ainsi dire uniquement le fait des costumes : leur but est visiblement moins d'exprimer les charmes de la vie bourgeoise que les contraintes que leur stricte élégance corsetée impose à ceux qui les portent ; le symbolisme, lui, est exclu aussi bien du décor que des costumes, ce qui n'est pas un mal, mais à force de restrictions on finit par ne plus trouver le cœur battant des personnages dans ce que nous offre la scène. Le seul des éléments symboliques abondamment convoqués par le livret qui prenne la première place ici, c'est l'eau, à tel point que le parquet des quatre premiers actes disparaît au cinquième pour laisser la place à l'élément liquide : rien ne vient justifier cette prééminence aquatique qui paraît vite bien vaine. On finit par se dire que la mise en scène radicalement formaliste de Christiane Pohle en 2015, fort mal accueillie par le public et la critique avait plus de feu sous la glace que cette sage convention. On comprend difficilement le choix de montrer à deux reprises le père de Pelléas, notamment dans la scène de la lettre à l'acte I, plutôt que de respecter la structure de l'œuvre « autour d'une chambre fermée » ; on comprend encore plus difficilement l'étalage de la douleur physique de Mélisande à l'acte V, à rebours de ce que dit toute la musique à ce moment. Mais ces moments contestables sont beaucoup moins gênants que la banalité et la convention qui traduisent le manque d'ambition du spectacle.

Le grand attrait de la production était sur le papier la direction de Mirga Gražinytė-Tyla, mais celle-ci a renoncé au spectacle il y a quelques mois : c'est qui la remplace, et le premier compliment qu'on lui fera est qu'il fait oublier tous les regrets qu'avait pu susciter ce changement, tout comme il fait oublier la platitude du travail scénique. Les amateurs de brumes évanescentes ne seront, certes, pas à la fête ; mais ce Pelléas de chair, plein de couleurs, appuyé sur des cordes graves d'une sensualité sans complexes, nous emporte, qu'il s'agisse d'accompagner les émotions des personnages ou de faire naître les paysages réels et imaginaires de la grotte, de la mer, de la forêt : les contours ne sont certes pas aussi estompés que ne le voudrait une tradition impressionniste, mais Debussy y gagne beaucoup.

Cela ne va pas sans difficulté pour le ténor , un peu dépassé en Pelléas, mais c'est moins la densité de l'orchestre qui lui pose problème que les demi-teintes que lui demande son rôle. Un baryton, décidément, est plus à son aise dans ce rôle hybride. Comme souvent, Golaud est ici un ancien Pelléas : on imaginait très bien en Golaud, mais ses débuts dans le plus beau rôle de la partition ne parviennent pas encore à en faire une incarnation à la hauteur de ses autres rôles munichois. Ses efforts de diction française sont proprement exemplaires, et son sens du mot n'est jamais pris en défaut, mais cette clarté du mot se paie par un amincissement du timbre, qui perd en chaleur et en possibilités expressives : le personnage ne parvient pas vraiment à émerger. On note aussi des efforts de diction de la part de , grand habitué du rôle, mais aussi de la part du jeune soliste du Tölzer Knabenchor qui incarne Yniold : que ce soit au disque ou à la scène, on avoue ne jamais avoir entendu une telle musicalité et une telle solidité dans la voix de la part d'un soprano garçon ; le personnage en prend un relief inédit.

Aucun problème de diction française non plus, et c'est bien naturel, chez les deux titulaires des rôles féminins, et , elles aussi habituées à l'œuvre. dessine une Geneviève de haute tenue, à la diction impeccable, même si on aurait aimé sentir un peu plus d'émotion retenue sous la carapace ; , elle, avec sa voix plus fragile, pâtit de la mise en scène qui l'engage à une vision doloriste du personnage – au cinquième acte, mais aussi beaucoup plus tôt dans l'opéra. Ce soir, décidément, ce n'est ni la mise en scène, ni la distribution vocale qui nous tiennent en éveil, mais le feu qui couve à l'orchestre. Dans Pelléas, ce n'est pas rien.

Crédit Photographique : © Wilfried Hösl

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