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La Sonnambula brûlante et féministe de Jossi Wieler de retour à l’Opéra de Stuttgart

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Stuttgart. Opernhaus. 10-VII-2024. Vincenzo Bellini (1801-1835) : La Sonnambula, opéra sur un livret de Felice Romani. Mise en scène : Jossi Wieler, Sergio Morabito ; décors et costumes : Anna Viebrock. Avec Adam Palka (comte Rodolfo), Helene Schneiderman (Teresa), Claudia Muschio (Amina), Charles Sy (Elvino), Catriona Smith (Lisa)… Choeur de l’Opéra de Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart ; direction : Andriy Yurkevych

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Avec l'Amina d'exception de , le public fait un triomphe à une soirée qui montre tout ce que peut l'opéra pour parler du monde d'aujourd'hui.

Première le 10 janvier 2012, 37e représentation aujourd'hui : il n'y a sans doute aucune maison d'opéra au monde qui a donné plus souvent La Sonnambula ces dernières années que l'opéra de Stuttgart. Il faut certes un peu de temps pour comprendre cet attachement, mais la raison en devient de plus en plus claire au cours de la soirée : la mise en scène de et Sergio Morabito ne se satisfait pas de cette énième petite comédie du quiproquo, et on finit bouleversé par l'implacable machine qui broie Amina, allégorie de toutes les structures oppressives dont les femmes sont les victimes par excellence.

Il faut du temps, cependant, pour que l'émotion commence à poindre, et l'oeuvre elle-même en est responsable : on admire le beau décor d'auberge encombrée et peu avenante construit par Anna Viebrock, on admire ces costumes impayables qui métamorphosent le chœur en une troupe villageoise sans doute bien brave mais pas spécialement maline (ce qui est parfaitement en ligne avec le livret), on admire le travail scénique accompli avec ses membres (un peu moins les décalages musicaux qui donnent une impression de flottement) ; si cette vie scénique fait sourire, elle ne suffit pas à elle seule à donner aux premières scènes la force dramatique que le livret leur refuse. Les choses commencent à changer avec l'entrée d'Amina : dès sa première apparition, on la sent mal à l'aise, gênée par l'attention qui se porte sur elle, quand bien même les choses vont encore pour le mieux.

Amina ou la douleur des femmes

L'Opéra de Stuttgart n'a pas été chercher loin pour trouver la titulaire du rôle : entrée dans son studio lyrique en 2019, puis membre de la troupe, s'intègre admirablement dans un spectacle qu'on croirait fait pour elle ; elle aborde les difficultés du rôle sans trembler, aussi à l'aise dans la vocalisation que dans les notes filées, capable d'alléger la voix comme de s'affirmer dans des aigus puissants et précis, et tout ceci sans jamais sacrifier la musique au théâtre ni le théâtre à la musique. Dès le premier acte, elle se met parfois à l'écart, tordue de douleur : si Wieler choisit de montrer ces douleurs dites féminines, ce n'est pas seulement par un effet de réalisme, ni pour faire sensation. Encore aujourd'hui souvent niées, même quand elles sont le signe d'une pathologie (« c'est dans votre tête »), en tout cas maintenues à l'écart, les douleurs menstruelles ainsi montrées sont l'incarnation d'une négation du féminin, du regard impitoyable dont sont victimes les femmes. Le somnambulisme, pour les auteurs de l'opéra, n'était sans doute qu'une occasion de quiproquo sans conséquence ; aujourd'hui, on ne peut pas y voir autre chose qu'une dépossession du corps et de la volonté de la femme, une métaphore puissante qui permet de soumettre le parcours d'Amina à une lecture féministe qui devient toujours plus brûlante au fil de la soirée. Quand elle apparaît maculée de sang dans sa seconde scène de somnambulisme, on ne peut le réduire à une interprétation unique : sang menstruel, bien sûr, mais aussi sang virginal, sang sacrificiel, automutilation, violence sexuelle… Amina, sans doute, à la fin de l'opéra, est sauvée, mais elle n'en sort pas indemne, et combien, elles, n'ont pas droit à ce happy end ?

Son Elvino est un peu moins souverain, mais est lyrique et délicat, c'est déjà beaucoup ; en Conte Rodolfo a une voix d'airain qui sculpte d'emblée son personnage, et l'ensemble des rôles secondaires fait merveille, sans doute notamment grâce au surcroît d'engagement que suscite un spectacle aussi fort – on ne citera ici que , pilier de la troupe de Stuttgart, désormais en retraite mais pas éloignée des scènes pour autant : elle ne se contente pas de fort bien chanter, elle dessine aussi le personnage bouleversant de la mère d'Amina, qui prend pleinement sa part du calvaire de sa fille : les générations passent, les souffrances se perpétuent. Wieler et Morabito ne montrent pas qu'un parcours individuel, mais toute une société construite autour d'Amina, une société qui n'est pas malveillante, pas actrice consciente du drame d'Alcina, mais une société où la violence advient, où rien n'est fait pour qu'elle soit impossible.

Pour l'orchestre comme pour le chœur, cette reprise de routine en fin de saison n'est pas sans laisser quelques traces, et les solistes eux-mêmes s'embrouillent par moments. On reconnaîtra toutefois au chef une capacité à laisser respirer la musique, à rechercher la transparence mozartienne plutôt qu'une fausse efficacité dramatique, à défaut d'être tout à fait à la hauteur des émotions que mise en scène et interprètes principaux suscitent dans un public enthousiaste à bien juste titre.

Crédits Photographiques : © Martin Sigmund

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