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Elektra par Wernicke et Jurowski à Munich, un monument vivant

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Munich. Nationaltheater. 6-VII-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Elektra, opéra en un acte sur un texte de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène, décor, costumes : Herbert Wernicke. Avec Violeta Urmana (Clytemnestre), Elena Pankratova (Elektra), Vida Miknevičiūtė (Chrysothémis), John Daszak (Egisthe), Károly Szemerédy (Oreste)… Bayerisches Staatsorchester ; direction : Vladimir Jurowski.
Der Pfleger des Orest
Bálint Szabó

L'inusable mise en scène de Wernicke, revivifiée par la direction brûlante mais pas bruyante de Jurowski, démontre qu'elle n'a rien perdu de sa puissante actualité.

Déjà 27 ans ! En 1997, créait pour l'Opéra de Bavière un spectacle qui témoignait de la nouvelle identité de la maison, désormais autant tournée vers la modernité théâtrale que vers l'excellence musicale. Le temps a passé, les modes se succèdent, et on voit immédiatement que le spectacle ne date pas d'aujourd'hui. Cela ne veut pas dire, pourtant, que ce qu'on voit aujourd'hui sur scène est devenu ringard : on admire au contraire, avec le recul, la puissance de la conception de cet artiste majeur du théâtre musical. Décorateur de formation, Wernicke réalisait des spectacles totaux : mise en scène, décors, costumes, lumières, au service d'une idée commune. 22 ans après sa mort prématurée, son savoir-faire et la force de ses conceptions continuent à impressionner.

Ici, sa vision est celle d'un refus radical de situer l'histoire dans un univers concret, qu'il s'agisse des oripeaux historicisants du théâtre classique ou d'une quelconque forme d'actualisation – tout au plus fait-il du théâtre lui-même un accessoire essentiel, à travers le manteau dont se pare d'abord Clytemnestre, qui semble taillé dans le rideau du Nationaltheater. Au début du spectacle, un mur noir délimite un étroit proscenium où Elektra prend place ; la gigantesque paroi pivote ensuite sur un axe transversal pour révéler l'intérieur du palais, le monde aux couleurs vives des coupables et de ceux qui les tolèrent, autour d'un grand escalier qui suffit à Wernicke pour structurer l'espace scénique au service des différentes lignes de force qui unissent et opposent les personnages – quand à la fin du spectacle Oreste vêtu du manteau de sa mère pose en triomphateur, le menton en avant, on tremble. Il est toujours difficile d'estimer, aussi longtemps après la première, ce qui reste de l'esprit initial du spectacle tel qu'il s'exprimait dans la direction d'acteurs ; mais des moments où la gestuelle est visiblement profondément pensée laissent penser qu'on en voit ce soir beaucoup plus qu'un simple décor.

Dans le rôle-titre, les Munichois gardent le souvenir de Gabriele Schnaut, qui a marqué la production de sa présence magnétique, pas toujours avec une parfaite maîtrise de ses moyens musicaux, mais avec une sorte d'évidence qui lui assurait, « quand même », des ovations. qui lui succède cette saison, partage avec elle cette fidélité relative à la partition, mais elle n'a pas son pouvoir de fascination, notamment parce qu'elle est constamment à la peine avec le texte. En 1997, on n'avait pas jugé bon d'intégrer des surtitres au spectacle (comme toujours à l'époque pour les opéras en allemand), et l'implantation du décor jusqu'au plus haut de la scène rend impossible leur intégration a posteriori ; ils manquent cruellement aujourd'hui, parce qu'on ne comprend pas un mot, et la ligne vocale souffre de cette lutte avec les mots. Au contraire, l'intelligibilité est exemplaire chez qui chante Chrysothémis, et qui obtient à ce titre la plus grande ovation de la soirée – en plus des mots et des notes, elle construit un personnage très présent, et la vraie personnalité forte qu'elle lui donne rend ses échanges avec Elektra beaucoup plus prenants qu'à l'accoutumée. On retrouve en Clytemnestre la même interprète qu'à Stuttgart et à Paris au printemps, , toujours musicale, et pas vraiment plus marquante, tandis que en Egisthe acariâtre marque plus que l'Oreste de .

Outre les retrouvailles avec la mise en scène de Wernicke, le grand intérêt de la soirée était d'y entendre le directeur musical de la maison, qui pour une fois ne dirige pas de nouvelle production au cours de ce festival d'été. Il est parfaitement dans son élément dans cette œuvre entre les siècles, et offre un modèle d'équilibre et de plénitude sonore, au service des chanteurs, mais toujours présent et pertinent. On peut être un peu surpris, à la fin de l'œuvre, de voir la danse d'Electre comme couverte d'un voile qui la prive de tout triomphalisme : l'ivresse est bien là, mais elle est contenue, déjà presque passée : Jurowski sait que celle que produit le sang des ennemis n'aura pas d'avenir radieux. L'orchestre confirme qu'il est encore et toujours le meilleur des orchestres d'opéra, capable d'allègements et de transparences même dans les moments les plus extrêmes, précis dans les couleurs, réactif dans les plus subtiles nuances rythmiques et dynamiques. La lecture que fait Jurowski de la partition n'est pas la plus frappante qui soit, et à ce titre elle se trouve en parfait accord avec l'Antiquité épurée de Wernicke.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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