The Great Yes, The Great No : Le poème créole de William Kentridge
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Arles. Fondation LUMA. 8-VII-2024. Dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence. William Kentridge (né en 1955) : The great yes, the great no. Mise en scène et concept : William Kentridge. Metteurs en scène associés : Nhlanhla Mahlangu, Phala O. Phala. Musique : Nhlanhla Mahlangu. Costumes : Greta Goiris. Scénographie : Sabine Theunissen. Lumière : Urs Schönebaum, Elena Gui. Direction musicale : Tlale Makhene. Dramaturgie : Mwenya Kabwe. Montage vidéo : Žana Marović, Janus Fouché, Joshua Trappler. Cinématographe : Duško Marović. Contrôle de la vidéo : Kim Gunning. Chœur : Anathi Conjwa, Asanda Hanabe, Zandile Hlatshwayo, Khokho Madlala, Nokuthula Magubane, Mapule Moloi, Nomathamsanqa Ngoma. Accordéon, banjo : Nathan Koci. Percussions : Tlale Makhene. Piano : Thandi Ntuli. Violoncelle : Marika Hughes
Interprètes : Xolisile Bongwana, Hamilton Dhlamini, William Harding, Tony Miyambo, Nancy Nkusi, Luc de Wit. Danseur et danseuse : Thulani Chauke, Teresa Phuti Mojela.
William Kentridge se saisit d'un fait historique, le départ en 1941 de la France de Vichy d'un groupe d'intellectuels et poètes sur un bateau faisant cap sur la Martinique, pour The Great Yes, The Great No, spectacle musical qui devient une ode à la négritude. Une commande de la Fondation LUMA à Arles présentée en première mondiale pour le Festival d'Aix-en-Provence.
Une fois n'est pas coutume, c'est une Française, la Martiniquaise Suzanne Césaire, qui est l'héroïne principale du nouveau spectacle musical de William Kentridge. Faisait-elle partie des passagers du Capitaine-Paul-Lemerle qui quitta le 24 mars 1941 le port de Marseille, avec à son bord les réprouvés de la France de Vichy, les immigrés de l'Est et républicains espagnols en exil, les juifs et apatrides, les écrivains surréalistes et artistes « décadents » ?
Sur le pont reconstitué par William Kentridge de ce bateau qui appareille vers la Martinique, on retrouve donc Suzanne et Aimé Césaire, André Breton, Claude Levi-Strauss, qui comptaient effectivement parmi les passagers du Capitaine-Paul-Lemerle, mais aussi d'autres personnages historiques qui permettent à Kentridge de croiser la question noire et la créolité, l'histoire de l'esclavage et le racisme, et même le communisme, avec les fugaces apparitions de Trotski, Frida Kahlo et Diego Rivera, ou même Staline.
Les écrits de Frantz Fanon, Aimé et Suzanne Césaire, ainsi que de Léon Gontran-Damas forment ensemble le cœur du script de cet opéra de chambre, créole et tropical, développant une narration autour des thèmes de l'exil et de la migration. Une comédienne incarnant Suzanne Césaire s'exprime en français dans de longues séquences, comme si elle s'était isolée pour écrire dans une cabine du bateau. Joséphine Baker, Frantz Fanon ou les sœurs Jane et Paulette Nardal sont aussi invités sur ce bateau imaginaire, faisant chacun un tour de piste. Chaque personnage est figuré par des masques-pancartes en carton imprimé, manipulés par les danseurs acteurs.
Sur fond d'une création sonore créée par Nhlanhla Mahlangu, les principaux thèmes abordés sont illustrés par une roue animée composée des personnages principaux en découpes, des images d'archives et des dessins de flore tropicale. Ces paysages luxuriants sont inspirés du jardin de William Kentridge dans sa résidence à Johannesburg. Les plantes, les arbres et les fleurs dessinés par Sabine Theunissen évoquent la flore dans la région des Caraïbes et sur l'île de la Martinique. Le récit est conté, en anglais, par un maître de cérémonie tonitruant qui a le pouvoir de vie et de mort sur ses passagers illustres, dont il rappelle le pedigree. Tous, ou presque, se revendiquent du surréalisme, prétexte à un petit film dans le spectacle où une main noire coupée se tortille dans une assiette avant qu'une femme ne rampe sur la table, dont les convives ont des têtes de cafetière ou de poisson.
Mais revenons à la partition de cette pièce poétique, dont la partie musicale est assurée par un chœur de sept femmes qui chantent dans l'une des langues zoulou. Elles sont accompagnées par quelques instrumentistes : violoncelle, accordéon, percussion et piano, qui forment une sorte de basse continue. Le chœur des femmes assure la ligne mélodique de ce spectacle, dont les parties théâtrales sont plus importantes que dans les deux derniers opus du maître sud-africain, The Head & The Load (2018) et Waiting for the Sibyl (2019). Son art de la mise en scène est toujours aussi foisonnant et utilise images fixes et animées, film, masques, costumes et décor, qui se croisent sur différents plans pour former une scénographie inventive et mouvante.
Ce nouvel intérêt marqué pour la négritude et les thématiques coloniales portées par Aimé Césaire et Frantz Fanon prolonge les engagements d'un artiste qui a d'abord mis toute sa puissance créatrice pour dénoncer l'apartheid et le racisme dans son pays, l'Afrique du Sud, puis les ravages et absurdités du communisme au début du XXᵉ siècle. La migration est un thème caractéristique de la pratique de William Kentridge car il est constitutif de l'histoire de l'Afrique du Sud, dont la population comportait en partie des esclaves acheminés en bateau par des colons européens au début du XVIIᵉ siècle, et une main d'œuvre immigrée exploitée par l'industrie minière. Cet engagement intersectionnel va aujourd'hui jusqu'à prévoir des sous-titres en écriture inclusive uniquement en français. Un choix militant, qui laisse de côté une partie du public non francophone, désarçonné par la grande part laissé à la langue française dans le spectacle.
À chacun de poursuivre ses recherches pour découvrir le destin de chaque personnage évoqué et connaître ce qu'il advint du bateau et de ses passagers, une fois arrivés dans les Caraïbes. Cette histoire si bien racontée par Adrien Bosc dans son roman Capitaine, paru en 2018 chez Stock, est rocambolesque, aussi.
Crédits photographiques : Festival d'Aix-en-Provence 2024 © Monika Rittershaus
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Interprètes : Xolisile Bongwana, Hamilton Dhlamini, William Harding, Tony Miyambo, Nancy Nkusi, Luc de Wit. Danseur et danseuse : Thulani Chauke, Teresa Phuti Mojela.