Plus de détails
Munich. Nationaltheater. 4-VII-2024. György Ligeti (1923-2006) : Le Grand Macabre, opéra d’après Michel de Ghelderode. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski ; décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak. Avec Sarah Aristidou (Venus/Gepopo), Seonwoo Lee (Amanda), Avery Amereau (Amando), John Holiday (Prince Go-Go), Sam Carl (Astradamors), Lindsay Ammann (Mescalina), Benjamin Bruns (Piet The Pot), Michael Nagy (Nekrotzar), Kevin Conners (Ministre blanc), Bálint Szabó (Ministre noir), Andrew Hamilton, Thomas Mole, Nikita Volkov… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Bayerisches Staatsorchester ; direction : Kent Nagano.
Plus que la mise en scène peu inspirée de l'omniprésent Warlikowski, c'est la direction de Kent Nagano qui suscite l'enthousiasme.
On n'a pas assez vu Le Grand Macabre en 2023, l'année du centenaire de la naissance de Ligeti, et on ne l'avait encore jamais vu à Munich, que ce soit dans sa première version de 1978 ou dans la version révisée de 1997. Le public munichois ne peut donc qu'être reconnaissant à Serge Dorny de lui avoir enfin présenté cette œuvre majeure de la modernité musicale – d'autant que, au-delà de tous les débats de l'époque autour de l'avant-garde (toujours pas apaisés d'ailleurs) -, elle est aussi une œuvre éminemment divertissante. Le premier mérite qu'on peut reconnaître à la mise en scène de Krzysztof Warlikowski est qu'elle donne toute sa place au grotesque, loin des leçons de morale de la mise en scène de Peter Sellars, qui y plaquait lors de la création de 1997 les craintes du XXᵉ siècle sur une apocalypse nucléaire, au grand déplaisir du compositeur. Pour autant, le récit qu'il surimpose à son tour au livret n'est pas beaucoup plus pertinent : il retrouve le thème de l'exil qu'il avait déjà, plus efficacement, traité sur la même scène avec Salome, et l'applique cette fois à la biographie du compositeur, victime à la fois de l'antisémitisme nazi et du totalitarisme soviétique qu'il a fui en 1956. Mais Ligeti a composé Le Grand Macabre, pas un équivalent de La Passagère de Weinberg, et c'est bien ainsi : plutôt que ce biographisme artificiel, il aurait bien mieux valu entrer au cœur du grotesque, au cœur du nihilisme goguenard de la pièce. Warlikowski travaille beaucoup, voire trop : cinq semaines après la première du Grand Macabre, il sera face au public salzbourgeois pour les quelque trois heures de L'Idiot de Weinberg, et il faudra espérer qu'il aura cette fois fait mieux que survoler l'œuvre. En attendant, le public lui fait une ovation, lui, l'ancien enfant terrible révélé par Gerard Mortier à Paris, devenu le mètre étalon des modes scéniques.
Kent Nagano, homme orchestre
La soirée n'y perd heureusement qu'à peine, tant les forces musicales réunies par Serge Dorny sont à la hauteur de cette œuvre hors-norme. Les plus grands mérites en reviennent au maître d'œuvre de la soirée, Kent Nagano, dont les retours à la tête de l'orchestre qu'il a dirigé de 2006 à 2013 méritent toujours le détour : il n'a plus rien à prouver, l'entente avec l'orchestre est patente, et il parcourt l'œuvre avec un sens raffiné des contrastes, soulignant aussi bien le raffinement des textures savantes dont Ligeti a le secret que l'efficacité comique des tournures les plus grotesques d'un compositeur qui n'avait pas peur de parler au public. Et l'orchestre se montre aussi à l'aise chez Ligeti que chez Wagner, ce qui est la marque des meilleures formations d'opéra.
Le rôle d'un chef est aussi de préparer ses chanteurs : là encore, la réussite est complète ou presque. Sarah Aristidou dans le numéro toujours payant du chef de la police secrète est impayable, drôle et inquiétante ; le prince Go-Go est chanté avec beaucoup de présence par John Holiday, voix solide et interprétation sans faiblesse, ne se résignant pas à la sujétion à laquelle le réduisent ses ministres. Les autres rôles sont pour la plupart issus de la troupe, qu'il s'agisse d'Avery Amereau en Amando, des deux ministres jumeaux Kevin Conners et Bálint Szabó, ou de la Mescalina de Lindsay Ammann qui en a fait partie jusqu'en 2023.
Le rôle de Nekrotzar est plus problématique – il l'a à vrai dire toujours été : on aimerait enfin l'entendre avec une voix plus noire, plus mordante ; Michael Nagy fait de son mieux, avec toute la musicalité et toute la précision qu'ont peut demander, mais ne parvient pas plus que ses prédécesseurs à rendre justice à ce croquemitaine majuscule. Au contraire, le Sancho Pansa de ce Don Quichotte du mal, Benjamin Bruns, se révèle un merveilleux théâtre de caractère, qui fait mouche à chaque réplique, la voix libre et le mot éclatant. On aurait aimé que la mise en scène fasse preuve d'autant de dérision.
Crédits photographiques : Wilfried Hösl
Plus de détails
Munich. Nationaltheater. 4-VII-2024. György Ligeti (1923-2006) : Le Grand Macabre, opéra d’après Michel de Ghelderode. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski ; décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak. Avec Sarah Aristidou (Venus/Gepopo), Seonwoo Lee (Amanda), Avery Amereau (Amando), John Holiday (Prince Go-Go), Sam Carl (Astradamors), Lindsay Ammann (Mescalina), Benjamin Bruns (Piet The Pot), Michael Nagy (Nekrotzar), Kevin Conners (Ministre blanc), Bálint Szabó (Ministre noir), Andrew Hamilton, Thomas Mole, Nikita Volkov… Chœur de l’Opéra de Bavière ; Bayerisches Staatsorchester ; direction : Kent Nagano.