La Bohème pour la dernière d’Alexandre Bloch à Lille

Pour ses « adieux » et sa dernière saison avec l'Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch a offert une interprétation rutilante de l'œuvre de Puccini avec pour solistes Nicole Car et Pene Pati dans une mise en espace astucieuse.

En ces 4 et 5 juillet, c'était Noël en plein début d'été à Lille… Pour sa « dernière » après deux merveilleuses saisons, Alexandre Bloch, le directeur musical de l'Orchestre national de Lille, a présenté deux représentations de La Bohème de Giacomo Puccini, génial mélodrame situé en plein cœur de la nuit de Noël. Mais véritable feu d'artifice estival pour le public lillois venu en nombre dans le grand auditorium du Nouveau Siècle.

Composé en 1896, La Bohème est le quatrième opéra de Puccini, mais le premier des grands chefs-d'œuvre du « pape » de l'opéra vériste italien, en attendant Tosca, Madame Butterfly ou Turandot. C'est aussi une œuvre atypique dans l'univers lyrique, mélodrame tout en contraste à l'orchestration subtile, portrait quotidien de gens simples qui n'ont rien d'héroïque. Un quasi huis-clos contant les amours tragiques de Mimi et Rodolfo, mais aussi l'amitié chaleureuse de quatre artistes pauvres au cœur du Paris de la bohème à la fin du XIXe siècle. Tout le génie mélodique de Puccini y est concentré, avec ces élans lyriques insurpassables, mais aussi une orchestration rutilante (plus de 90 musiciens), la difficulté d'harmoniser en un cadre intimiste pas moins de quatre rôles masculins majeurs (du ténor à la basse), deux rôles féminins très forts, et un immense chœur (180 choristes) dans le deuxième acte.

Alors que le grand auditorium du Nouveau Siècle à Lille n'a rien d'une scène d'opéra (pas de fosse ni de changements de décors réellement possibles), le tour de force de cette représentation a été justement de réussir à « intimiser » les lieux tout en offrant une dimension quasi cinématographique au spectacle. Tout d'abord grâce à la conceptualisation de la mise en scène et sa spatialisation réalisée par Alexandre Bloch lui-même, avec les dessins et animations de Grégoire Pont, qui ont réussi littéralement à mettre en espace le spectacle. Celui-ci se déroule autant sur scène que dans la salle par l'astucieux jeu des projections vidéo de décors et des couleurs changeantes au grès de la musique. Mais aussi la présence physique de l'orchestre sur scène, les chanteurs se déplaçant au fur et à mesure des tableaux. L'acmé de l'émotion surgissant dans un prodigieux deuxième acte (au café Momus) où l'ensemble de la salle devient un gigantesque décor envahi par des centaines de choristes pour une orgie sonore stupéfiante.

Mais au-delà du spectaculaire, la réussite de cette Bohème revient bien sûr également à la troupe de solistes internationaux réunis pour l'occasion. Et en premier lieu au couple Mimi-Rodolfo interprété par Nicole Car et Pene Pati. La soprano australienne (aux inflexions d'une mezzo) et le solaire ténor originaire des Îles Samoa forment un couple bouleversant, ne forçant jamais la voix malgré les forces musicales en présence.

La Bohème, c'est aussi une histoire d'amitié, et saluons l'homogénéité de la troupe réunie pour l'occasion avec les excellents Thomas Dolié (Marcello), Magali Simard-Galdès (Musetta), Francesco Salvadori (Schaunard) et Edwin Crossley-Mercer (Colline).

La réussite de cette Bohème, c'est enfin celle de l'orchestre et de son chef, Alexandre Bloch. La présence troublante de cette immense masse orchestrale au cœur de la scène, devant ou derrière les chanteurs, ne masque pourtant jamais les voix. Ce subtil équilibre est bien sûr maintenu par Alexandre Bloch à la direction toujours précise. Saluons une nouvelle fois le remarquable travail réalisé par le jeune chef français qui a su poursuivre l'œuvre de pionnier et de bâtisseur de Jean-Claude Casadesus. Avec cette Bohème Alexandre Bloch conclut en beauté ses huit années passées à la tête de l'ONL. Il entend désormais poursuivre sa carrière en « indépendant », au grès de ses envies d'aventures musicales. Son successeur, l'Américain Joshua Weilerstein arrivera en septembre pour une nouvelle et ambitieuse saison où Mahler côtoiera Rachmaninov, Chostakovitch, Bruckner, Ives ou Gershwin. La musique sans frontières…

Crédits photographiques : © Orchestre national de Lille

Modifié le 08/07/2024 à 10h40