Les horizons sonores de Jean-Luc Hervé

Du compositeur Jean-Luc Hervé, Germination, Topos et Au dehors, les trois pièces réunies dans cet enregistrement monographique entretiennent chacune à leur manière une relation entre la musique et le lieu, invitant l'auditeur à tendre l'oreille aux phénomènes du vivant et à la nature environnante.

Œuvre et installation, Germination est conçue en deux temps : celui du concert en salle où s'expose la « graine dormante » et celui de son développement en extérieur, matérialisé par un dispositif de pousses végétales et une cinquantaine de petits haut-parleurs dissimulés dans la verdure, qui relaient les instruments. Sur le CD, seule la pièce de concert est entendue.

La matière qui s'expose est bruiteuse, sombre et granuleuse, et le son cannelé dans le médium, agressif et répétitif. Les deux objets sonores voisinent dans une introduction aussi étrange que musclée. D'autant que le paysage se transforme, animé de courtes incises portées par un processus ascensionnel et obsessionnel. En réitérant le même geste sous des couleurs, des textures et des énergies renouvelées, Hervé fait émerger une sorte de son paradoxal superbe donnant l'illusion de monter à l'infini. Les dernières minutes sont purement électroniques, qui se substituent aux instruments pour « traverser les murs » jusqu'à la plante en surface.

S'inspirant du livre Par-delà nature et culture de l'anthropologue Philippe Descola, Topos (2022) pour huit musiciens et électronique est en quatre mouvements comme les quatre schèmes de relation entre les communautés humaines et leur environnement distingués par Descola.

Du souffle au son, de l'énergie pure au geste musical : la musique se colore progressivement, la phrase se dessine avec ses articulations et ses respirations, ses allures et son timbre. La percussion apporte ses ponctuations et sa fantaisie ; elle est en dehors, relayée par l'électronique dans le 2 (Les êtres du rêve) où s'éploient et se renouvellent les images spectrales. Énergie du geste, projection du son et jeu de trajectoires s'exercent dans le 3 (Analogies) qui dialectise les notions de tension et de détente. La montée en spirale dans le 4 (Nature) est propice aux illusions auditives que vient parfaire l'électronique in fine.

Au dehors (2008) pour clarinette, violon, violoncelle et piano (la formation atypique du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen) rejoint la thématique des deux premières pièces. Souffle et son, énergie du geste (les courtes incises fusant vers l'aigu) et profils microtonaux appartiennent à la grammaire du compositeur qui met ici à l'œuvre les potentialités du piano et ceux d'une clarinette basse très sollicitée. La coda (sons de mp3) est comme la trace poétique et aérienne des quatre instruments entendus au cours de l'œuvre.

Comme celui du chef Léo Margue, l'engagement des musiciens de L'Itinéraire s'entend  : la qualité du jeu et du timbre ainsi que la synergie du geste et du mouvement font merveille.