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Parler d’hier pour parler d’aujourd’hui : un chef-d’œuvre inconnu de Hartmann par le RIAS-Kammerchor

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Berlin. Philharmonie, Kammermusiksaal. 29-VI-2024. Heinrich Schütz (1585-1672) : Da pacem Domine SWV 465, Musikalische Exequien (Obsèques musicales) op. 7 SWV 279-281 ; Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) : Friede Anno 48 (Paix Anno 48), pour soprano, chœur et piano, sur des poèmes d’Andreas Gryphius. Sarah Maria Sun, soprano ; Stephan Rath, luth ; Michaela Hasselt, orgue ; Matthias Müller, violone ; Helen Collyer, piano ; RIAS Kammerchor Berlin ; direction : Hans-Christoph Rademann

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Sous la direction de , les musiciens émeuvent le public berlinois dans un programme Schütz-Hartmann d'une actualité brûlante.

Défenseur infatigable de la musique de son temps, celle de ses aînés comme celle des jeunes générations, est une figure un peu secondaire de l'histoire de la modernité musicale, mais chaque confrontation à son œuvre se révèle beaucoup plus fructueuse qu'on ne le croirait d'abord. Ce qui unit pour ce programme du grand chœur berlinois les œuvres de Schütz et sa cantate Friede Anno 48, c'est la période de la guerre de Trente ans (1618-1648), sans doute la plus cruelle épreuve qu'ait connue l'Allemagne avant les désastres du XXe siècle : le et son ancien directeur musical font œuvre d'utilité publique avec ce programme d'une intelligence et d'une nécessité exceptionnelles.

Schütz l'a vécu, Hartmann en a fait un outil pour penser son temps, celui du nazisme dont il était un opposant viscéral. Dès la prise du pouvoir de Hitler en 1933, alors même que les massacres de la Seconde guerre mondiale étaient, pour tous ou presque, encore inimaginables, il a entrepris un opéra, La jeunesse de Simplicius Simplicissimus d'après le roman de Grimmelshausen, et bientôt cette œuvre si singulière qu'est Friede Anno 48, en français La paix en l'an 48, sur des poèmes du plus grand poète de l'époque, Andreas Gryphius, dont la langue percutante et concrète garde toute son efficacité aujourd'hui.

Au cours des six mouvements, de la guerre à la paix, Hartmann suit la poésie de Gryphius de la tragédie collective aux souffrances plus intimes ; sa musique entre au plus profond du texte, mais reste résolument contemporaine, sans jamais céder à la tentation de pasticher la musique du XVIIe siècle. Le chœur a le premier rôle : il est presque toujours a cappella ; seule dans le deuxième mouvement, puis en interaction avec le chœur dans la suite de l'œuvre, la soprano est-elle accompagnée par le piano (une version abrégée pour soprano et piano, sous le titre Lamento, a d'ailleurs été écrite par Hartmann), avec une virtuosité contemporaine qui est au service et non au détriment de l'émotion – ici, , grande spécialiste de tous les défis vocaux contemporains, qui fait merveille en toute sobriété. Le piano d'Helen Collyer fait bien mieux que l'accompagner : sa partie est tout aussi ambitieuse, qu'il s'agisse de dialoguer avec la voix ou d'introduire les parties chorales avec des énoncés lapidaires et prégnants.

On ne comprend décidément pas comment cette œuvre forte et émouvante a pu jusqu'à présent ne bénéficier d'aucun enregistrement discographique. Sans doute l'austérité de l'entreprise, le refus du pathos et le caractère inclassable de cette musique qui ne cède à aucune mode ne sont guère de nature à la rendre populaire, mais l'économie de moyens et la haute inspiration du compositeur devraient séduire les mélomanes les plus ambitieux. Il faut espérer que cette interprétation enregistrée pour la radio puisse aussi connaître une édition discographique : l'interprétation dense et sensible du le mérite autant que l'œuvre.

En première partie, la musique de est le complément presque naturel de cette œuvre capitale. a choisi de conserver l'effectif de l'œuvre de Hartmann, soit 37 choristes (à en croire la liste présente dans le programme). C'est un peu beaucoup pour cette musique, même en tenant compte de l'acoustique ingrate de la salle de musique de chambre, mais on peut comprendre le choix de donner une unité sonore à la soirée. Avec les Musikalische Exequien composées par Schütz pour les funérailles d'un prince admirateur de sa musique, la tonalité funèbre est d'ores et déjà présente, mais le programme s'ouvre par le plus court Da pacem Domine qui, en énumérant les princes électeurs de l'Empire germanique, donne une temporalité et une géographie à ce que racontent les deux compositeurs à trois cents ans de distance.

La masse chorale déployée ne favorise pas la mobilité expressive propre à la musique de Schütz ; on y perd beaucoup en émotion, mais pas en qualité sonore. Rademann vise visiblement moins la transparence que la densité des textures, et les solistes issus du chœur ont cette même présence physique : ce n'est pas un Schütz très habituel aujourd'hui, ce n'est certainement pas notre Schütz préféré, mais dans ce contexte, en dialogue avec le chef-d'œuvre de Hartmann, c'est une option pertinente.

Photo © Fabian Schellhorn

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Berlin. Philharmonie, Kammermusiksaal. 29-VI-2024. Heinrich Schütz (1585-1672) : Da pacem Domine SWV 465, Musikalische Exequien (Obsèques musicales) op. 7 SWV 279-281 ; Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) : Friede Anno 48 (Paix Anno 48), pour soprano, chœur et piano, sur des poèmes d’Andreas Gryphius. Sarah Maria Sun, soprano ; Stephan Rath, luth ; Michaela Hasselt, orgue ; Matthias Müller, violone ; Helen Collyer, piano ; RIAS Kammerchor Berlin ; direction : Hans-Christoph Rademann

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