Télémaque et Calypso : Destouches une nouvelle fois ressuscité

Dans la foulée de sa récréation à Ambronay à l'automne 2023, le label Château de Versailles Spectacles immortalise au disque la cinquième des six tragédies lyriques d'André Cardinal Destouches.

Ex-militaire mué en compositeur, Destouches séduisit les oreilles royales de Louis XIV et de Louis XV. Le premier nomma, deux ans avant sa mort, Inspecteur général de l'Opéra le compositeur en qui il vit le successeur de celui qui avait mis en musique la quasi-intégralité de son règne. Le second lui confia le poste de Directeur de l'Académie royale de Musique. C'est effectivement plus à Lully qu'à Rameau que renvoie encore Télémaque et Calypso (créé en 1714, retouchée en 1730) avec son Prologue allégorique avec adresse royale (il s'agissait de fêter le traité de Rastatt consécutif à la fin de la guerre de succession de l'Espagne), sa scène de Sommeil, ses cinq actes, ses récitatifs (moins longs, et plus orchestrés que ceux de son aîné), ses divertissements, et surtout sa Chaconne, longue et aussi sublime que celle d'Armide.

C'est avec grand intérêt que l'on découvre cette tragédie lyrique ressuscitée par Les Ombres, l'ensemble co-fondé par Margaux Blanchard et Sylvain Sartre. Télémaque et Calypso est une tragédie marine consacrée aux battements du cœur d'une nymphe malmenée par les exigences sacrificielles de Neptune. A peine sortie des bras du fier Ulysse, Calypso, sorte de Phèdre odysséenne, aimerait à choir dans ceux du fils d'icelui : le beau Télémaque. L'énergie souple et idéalement alanguie de la direction, la couleur instrumentale, la prise de son aérée et profonde, tout semble s'accorder à dépeindre Destouches en chaînon manquant d'une filiation musicale qui va conduire de la raideur lullyste à la sensualité ramiste.

La distribution a fait sensation au dernier Festival d'Ambronay. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles s'ébattent avec une musicalité plantureuse dans la pléthore d'oasis choraux. Le filet d'eau pure d'Hasnaa Bennani magnifie pas moins de cinq personnages différents. David Tricou fait presque de même avec trois incarnations, qui reproduit en outre, au moment de la Chaconne de l'Acte III, le numéro de charme qui avait fait succomber les spectateurs de la récente Armide dijonnaise (en coproduction avec l'Opéra royal de Versailles). Marine Lafdal-Franc impose son autorité en Minerve et en grande Prêtresse. Colin Isoir n'a que quelques mesures pour se faire entendre en Grand Prêtre de Neptune. Si on connait moins Adrien Fournaison, Apollon et Idas fringants, on ne présente plus David Witczak, sombre Adraste éconduit, et encore moins Emmanuelle de Negri, admirablement fruitée en duplice Antiope/Eucharis. Antonin Rondepierre chante un Télémaque d'une vibrante émotion. Quant à Isabelle Druet, qu'elle soit Cassandre, Didon, Béatrice, Néron ou… cette méconnue Calypso, on reste une nouvelle fois frappé par une attention au verbe qui ne faiblit jamais, par l'ambitus d'une tessiture glissant voluptueusement de l'aigu vers un grave venant rappeler que cette interprète fait partie du sérail des mezzos. Capable de faire froid dans le dos lorsque « Tout l'Enfer lui obéit » ou, la seconde d'après, monstre de séduction sur « Prince enfin je ne crains plus rien », Isabelle Druet, aussi hypnotique dans le baroque que dans le grand romantisme, confirme avec Télémaque et Calypso qu'elle est une manière de trésor national dans une France lyrique pourtant toujours inexplicablement encline à ouvrir ses oreilles vers des prés soi-disant plus verts ailleurs.