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Paris. Opéra Bastille. 15-VI-2024. Gaspare Spontini (1774-1851). La Vestale, opéra en trois actes sur un livret d’Étienne de Jouy. Mise en scène : Lydia Steir. Décors : Étienne Pluss. Costumes : Katharina Schlipf. Lumière: Valerio Tiberi. Vidéo : Étienne Guiol. Dramaturgie : Olaf A. Schmitt. Avec : Michael Spyres, Licinius ; Julien Behr, Cinna ; Élodie Hache, Julia ; Jean Teitgen, le Souverain Pontife ; Ève-Maud Hubeaux, la Grande Vestale ; Florent Mbia, le chef des Aruspices, un consul. Chœur (cheffe de chœur : Chin-Lien Wu) et orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Bertrand de Billy
La saison lyrique de l'Opéra national de Paris se clôture à Bastille avec l'ouvrage de Gaspare Spontini dans sa version originale en français, enfin programmé après une quasi-disparition de la maison où il fut créé. Pas de « happy end » dans la proposition dystopique de Lydia Steier, qui signe la mise en scène.
Créé en 1807 à l'Académie Impériale de Musique (aujourd'hui Opéra de Paris), dédié à l'Impératrice Joséphine, épouse de Napoléon et protectrice du compositeur, La Vestale, qui emprunte son argument à l'histoire de la Rome antique, célèbre le triomphe de l'amour sur le pouvoir théocratique. L'ouvrage n'est évidemment pas sans rapport avec le contexte politique et historique des conquêtes napoléoniennes et de la montée au pouvoir du futur auto-proclamé empereur des Français. La gloire de Napoléon se reflète en celle de Licinius, le général romain victorieux dans le livret d'Étienne de Jouy, qui non seulement s'illustre militairement, mais aussi assoit sa puissance et sa volonté par son union avec la vestale Julia, qu'il obtient avec la bénédiction du peuple et de l'ordre religieux. Quelques vues de cette nouvelle mise en scène ne sont pas sans rappeler le Sacre de Napoléon peint par Jacques-Louis David.
Lydia Steier, réputée pour ses options très libres et excessives en matière de mise en scène (cette production suivant de très près la reprise de « sa » controversée Salomé de Richard Strauss) choisit cependant ici de montrer une image moins invulnérable du personnage de Licinius, et situe l'action non pas dans la Rome antique, ni même au Premier Empire, mais à une époque qui pourrait être dans un futur proche, faisant référence aux multiples expressions du totalitarisme fasciste que nous connaissons depuis le XXe siècle. La première image que nous voyons est celle d'un Licinius éprouvé par la guerre, ivre, une bouteille d'alcool à la main, affalé au pied d'un immense mur de béton, sous des condamnés pendus par les pieds. La suite de l'opéra se déroule dans un unique décor (superbement réalisé par Étienne Pluss) qui reproduit l'Amphithéâtre de la Sorbonne dans un état de décrépitude, les corniches épaufrées, les rayons de bois effondrés et vidés de leurs livres que l'on verra plus tard entassés au centre et brûlés, foyer alimenté par les vestales de noir vêtues telles des ombres, en lieu et place de la flamme éternelle dont elles sont les gardiennes. Lydia Steier dit s'être inspirée de l'univers dystopique du roman La Servante écarlate de Margareth Atwood, en remplaçant l'Université de Harvard par la représentation de la prestigieuse faculté française, haut lieu du savoir et de la culture, nous signifiant par là que le fanatisme, la guerre sont peut-être à nos portes, que la menace nous concerne. Elle utilise des images fortes, la vison des corps nus ensanglantés et martyrisés lors du défilé triomphal, les gestes violents, répressifs, les crachats, tous ces actes d'humiliation jusqu'au rasage des têtes des vestales qui rappellent des souvenirs funestes. Les uniformes des militaires évoquent d'ailleurs ceux des soldats du IIIe Reich. Pour finir elle s'autorise un coup de théâtre de son cru sur les airs de ballet joués en épilogue : un évènement imprévu vient plomber la liesse générale, la traitrise et la prise de pouvoir soudaine par Cinna, l'ami jusque là infaillible de Licinius, qui fait exécuter par une rafale de mitraillette la Grande Vestale, et probablement aussi le couple Licinius-Julia, une fois passé la porte, puis se fait couronner. Pas de « happy end » donc. Si elle transforme ici l'ouvrage par une vision pessimiste de notre humanité et ses cycles de violence, Lydia Steier au fond ne trahit pas tout à fait l'histoire antique : Cinna n'était-il pas ce dignitaire romain nommé Pontife par Octave, qui régna par la terreur ?
Pour autant la proposition de Lydia Steier s'avère d'une grande cohérence, suivant le souffle épique du récit, la continuité du propos musical propre à l'ouvrage. Opposant ses deux pôles : le pouvoir militaire et celui religieux, et soulignant sa nature binaire entre bon et mauvais, amour et devoir, elle n'en explore pas moins ce qu'elle nomme la « zone grise » de ses personnages. Celui de la Grande vestale en est un exemple, qui fait preuve dans un premier temps d'une violence, d'une cruauté inouïes, et se sentant aussi un cœur de mère, n'a de cesse de mettre en garde Julia pour la protéger, jusqu'à tenter de la sauver se mettant elle-même en situation de fragilité.
Les vidéos d'Étienne Guiol rajoutent avec tact à l'émotion de certaines scènes, montrant des jours heureux révolus, ou encore des parades militaires… L'or et le sang dialoguent en permanence. L'orage qui se déchaine ne rallume pas la flamme sacrée, mais provoque une apparition, celle d'une éblouissante et géante Vesta d'or qui traverse la scène (un peu naïvement certes), rappelant d'un côté les vierges des processions, et dans un tout autre genre l'apparition de la statue du commandeur dans la scène finale de Don Giovanni. Soulignons enfin le travail des lumières de Valerio Tiberi particulièrement réussi, jouant des ombres portées, et de subtiles dosages d'intensités et couleurs en fonction des scènes.
Musicalement, la qualité est très homogène et le plateau vocal sans failles. La direction de Bertrand de Billy, en dépit de quelques décalages entre l'orchestre et le chœur au premier acte, est fluide, nuancée, et précise lorsqu'il s'agit de donner les départs aux chanteurs, en particulier à la soprano Élodie Hache (entendue le mois dernier dans Le Tribut de Zamora à Saint-Étienne) qui remplace ce soir de première Elza van den Heever souffrante. Elle endosse avec brio et vaillance le rôle écrasant de Julia, le large ambitus de sa voix au timbre lumineux lui permettant de se jouer des périls de ce rôle. Elle incarne son personnage avec ferveur, et son air « Toi que je laisse sur la terre » est chargé d'émotion à laquelle le public n'est pas indifférent. Michael Spyres, en Licinius, compose un personnage d'une grande richesse expressive et psychologique. Il lui prête les rondeurs et la plasticité de sa voix chantant dans un style accompli, jouant maintes fois la corde de l'émotion, en particulier dans « Julia va mourir ». Son duo avec Julien Behr, un Cinna à la voix de ténor brillante comme l'acier et aux intonations fermes, fonctionne à merveille, les deux voix, l'une sombre, l'autre claire, étant particulièrement bien assorties, se mettant en valeur l'une l'autre. Ce ténor campe un personnage d'une très noble tenue qui se dégradera dans la scène finale, lorsqu'il fera usage de brutalité, virant complètement d'attitude. La mezzo-soprano Ève-Maud Hubeaux, dont on admire le phrasé, incarne de sa haute et longue stature le personnage complexe de la Grande Vestale, dominant avec la sévérité requise ses « filles » vestales (« L'amour est un monstre barbare »), mais laissant apparaître ses failles, ses imperfections, notamment dans ses rapports troubles avec le Souverain Pontife, et laissant pointer son humanité dans ses gestes comme dans ses inflexions vocales lorsqu'elle s'emploie à sauver Julia. Les graves sombres et profonds de Jean Teitgen conviennent à l'autorité du Souverain Pontife, dont il tient le rôle avec sobriété et sensibilité. Les courtes interventions de Florent Mbia en chef des Aruspices n'en sont pas moins remarquables. Tous ont une diction irréprochable, projettent idéalement leurs voix et sont d'excellents acteurs. Enfin les chœurs de l'Opéra national de Paris préparés par Ching-Lien Wu, dont le rôle est primordial dans l'ouvrage tant ils sont sollicités, incarnent une foule qui par ses réactions n'a de cesse d'amplifier les situations, d'attiser les émotions. Leur intervention est particulièrement saisissante dans « Les Dieux demandent vengeance » à l'acte 3.
Le public accueille avec approbation cette nouvelle production, et s'il demeure quelques réticences exprimées à l'encontre de la mise en scène, elles ne sont ce soir-là qu'assez peu représentatives. Le spectacle mérite d'être vu, par sa rareté autant que sa qualité d'ensemble et l'originalité de son point de vue, qui reste respectueuse de l'ouvrage.
Crédits photographiques © Guergana Damianova /Opéra national de Paris
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