Gloria ! de Margherita Vicario : en avant, toutes…

Apparemment modeste, mais assumant un très original parti-pris musical,  le premier film de la réalisatrice italienne est une ode aux compositrices oubliées comme « des fleurs séchées dans les herbiers de l'Histoire de la musique ».

D'abord, dire que Gloria !, malgré ses défauts (un filmage presque sage), échappe à l'empesage, lot traditionnel du film musical en costumes, façon Il Boemo. Autant l'académisme pesant du film de Petr Vaclav, sorti il y a tout juste un an, ne donnait guère envie de s'intéresser à Josef Mysliveček, le compositeur oublié qu'il était censé sortir des oubliettes de l'Histoire, autant le pastel virevoltant de Margherita Vicario, dont les qualités l'emportent allegrissimo sur les défauts, atteint sa cible.

Le film transporte le spectateur dans la Vénétie du XVIIIᵉ siècle, aux abords de l'Ospedale della Pietà, là où le sémillant Vivaldi transportait les auditoires avec les gosiers juvéniles des Figlie di Choro, les pensionnaires féminines du célèbre orphelinat. C'est dans un autre gynécée musical, l'Institut Sant'Ignazio, lui aussi peuplé d'orphelines condamnées au mariage et à la louange divine, que Margherita Vicario a décidé, via un scénario fictif, de suivre les pas de la compositrice oubliée Maddalena Laura Lombardini Sirmen.

A Sant'Ignazio, Teresa, jeune servante engrossée, fausse muette (on découvrira in fine pourquoi) et vraie musicienne en devenir, montre une belle appétence à transformer en musique les sons du quotidien, à l'instar de Ravel dans le récent Boléro d'Anne Fontaine. La découverte d'une autre voix, celle d'un piano forte (dont l'on saura plus loin le pourquoi de la présence dans l'ombre) posé en rival du clavecin, un rudimentaire secret musical (« Les notes impaires s'accordent toujours ») : il n'en faudra pas davantage à Teresa pour faire entendre la sienne et par elle s'extraire de la condition imposée par le Père Perlina, âme grise du couvent au lourd passif, pour l'heure magister cassant, et compositeur sans inspiration face à l'urgence d'une prochaine visite papale qui met le couvent en surchauffe. Face de carême et vœu de chasteté en berne (Margherita Vicario fait de Perlina un Frollo hugolien qui aurait remplacé Esmeralda par Cristiano), le portrait, peu nuancé, est néanmoins des plus ressemblants, si l'on a gardé en mémoire celui brossé jadis pour les Borgia ou naguère par le rapport de la Ciase. Hormis quelques plans nocturnes sur la célèbre lagune, le film reste aussi cloîtré que ses héroïnes, entre réfectoire et cellules, jusqu'à ce que soit renversée la vapeur au cours d'un épilogue où, après avoir fait goûter à son tour à Perlina les joies de la claustration, Margherita Vicario s'empressera de libérer son petit monde mnouchkinien dans des extérieurs très Caspar David Friedrich.

La singularité de Gloria !, c'est indéniablement la fausse modestie de son ambition musicale. Car ce qui aura importé par-dessus tout à la la jeune réalisatrice, c'est bien d'accompagner (le spectateur a le sentiment d'apprendre la musique en même temps que l'héroïne) l'accouchement d'une autre voie au cœur d'une histoire de la musique de tout temps, et pour longtemps encore, incroyablement masculine. Pour donner à entendre ce qu'une compositrice peut y apporter elle aussi, Margherita Vicario n'y va pas de main morte. Sa Teresa, merveilleusement incarnée par une Galatéa Bellugi qui donne l'impression qu'elle a toujours vécu au XVIIIᵉ siècle mâtine le style vivaldien, alors en vogue, des fondements de la musique pop italienne. On se souvient alors qu'à ses impressionnants débuts, Il Giardino Armonico, qui ne fut pas pour rien dans la re-considération du compositeur italien le plus adulé de son pays, disait s'être inspiré du jeu rock'n roll avant l'heure du Prêtre roux.

Margherita Vicario, réalisatrice, actrice, chanteuse (on l'entend au générique de fin) est elle aussi compositrice. C'est elle qui co-signe, avec Davide Pavanello, la bande-son de Gloria ! Laquelle n'est pas, loin s'en faut, le moindre intérêt du film. Instillant très pédagogiquement sa présence clandestine autant qu'innovante, elle libère les vannes de son style au cours d'un finale qui pourra apparaître par trop débridé aux esprits chagrins. Le célèbre Gloria vivaldien passé à la moulinette Vicario fera en revanche l'enchantement des autres, Gloria ! apparaissant enfin pour ce qu'il est : la mise en images et en sons d'une utopie. Gloria ! est un vrai film musical.