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Norma à Strasbourg : prise de rôle scénique pour Karine Deshayes

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 13-VI-2024. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma, opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani, d’après la tragédie Norma ou L’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène et conception vidéo : Marie-Ève Signeyrole. Décors et costumes : Fabien Teigné. Lumières : Philippe Berthomé. Dramaturgie : Louis Geisler. Collaboration à la vidéo : Artis Dzerve. Avec : Karine Deshayes, Norma ; Benedetta Torre, Adalgisa ; Norman Reinhardt, Pollione ; Önay Köse, Oroveso ; Camille Bauer, Clotilde ; Jean Miannay, Flavio. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas), Orchestre symphonique de Mulhouse, direction : Andrea Sanguineti.

Fin de saison belcantiste dans le Grand Est avec Norma à l'Opéra national du Rhin avant Les Capulets et les Montaigus à Nancy, tous deux de , et prise du rôle scénique pour .

Absent depuis longtemps des scènes alsaciennes, le chef d'œuvre de Bellini a inspiré à la metteuse en scène plusieurs niveaux de lecture. Dans une « Gaule contemporaine » (sic) envahie par les Romains, on s'apprête à célébrer les dix ans de l'armistice par un gala lyrique dans l'opéra reconstruit, dont Oroveso est le directeur. Sa fille Norma, cantatrice renommée, doit en être la vedette, la diva au sens littéral de déesse. Mais elle est secrètement amoureuse de Pollione, chef des occupants, dont elle a eu deux enfants et qui la délaisse au profit d'Adalgisa, jeune chanteuse en ascension de la troupe. Norma doit de plus tenter de calmer les désirs insurrectionnels du chœur et des techniciens de l'opéra qui fomentent l'élimination des caciques du régime présents à ce gala, ce qu'ils mettront en pratique à la scène finale.

établit également un parallèle entre le destin de ces deux Norma, celle du livret de Felice Romani et celle sur scène, avec celui de la plus grande interprète moderne du rôle : Maria Callas. Omniprésente en scène, une figurante en incarne la silhouette tandis que des photos, des coupures de journaux, des extraits de ses mémoires ou de sa correspondance rappellent le caractère foncièrement tragique de sa destinée, de son lynchage médiatique après son renoncement à poursuivre à l'issue du premier acte de Norma à Rome en 1958 jusqu'à la trahison de son seul amour, Aristote Onassis (qui préfèrera épouser Jackie Kennedy) son retrait de la scène et sa réclusion volontaire à Paris. Confrontée aux mêmes difficultés, la Norma sur scène est sous emprise de cette ombre gigantesque dont elle collectionne les souvenirs et dévore la littérature.

S'y surajoute encore une réflexion sur le vieillissement et la montée de la jeune génération. C'est Adalgisa qui chante finalement au gala en arrière-plan tandis que Norma se débat dans sa douleur et son désir de vengeance dans sa loge. Malgré la complexité du propos, les trop nombreuses pistes suivies qui obèrent la lisibilité et des images un peu superfétatoires (l'apparition d'Onassis et Jackie Kennedy par exemple), la mise en scène séduit pourtant par son intelligence, sa cohérence et surtout sa parfaite réalisation à laquelle contribue l'important personnel technique de l'Opéra national du Rhin qui sera lui aussi salué au rideau final. Le décor rotatif (trop systématique et bruyant) figure avec précision les divers espaces du théâtre tandis que les costumes caractérisent chacun avec clarté ; tous deux sont dus à Fabien Teigné. Des lumières soignées (Philippe Berthomé), une direction d'acteurs précise et des vidéos utiles et porteuses de sens, y compris réalisées en direct avec de signifiants contrepoints, contribuent aussi à la réussite du spectacle. Pas une Norma pour néophytes, certes, mais une Norma diablement stimulante néanmoins.

Après avoir interprété le rôle-titre en version de concert à Aix-en-Provence, la mezzo-soprano l'aborde pour la première fois en version scénique tout en ayant souvent chanté et en continuant de chanter le rôle d'Adalgisa. D'autres mezzos dotées comme elle d'une extension aigüe l'ont fait et non des moindres comme Grace Bumbry, Shirley Verrett ou plus récemment Cecilia Bartoli. Les deux rôles ont en effet des typologies vocales proches, celui de Norma étant plus dramatique et plus lourd, celui d'Adalgisa plus lyrique…et confié parfois à des sopranos telle Montserrat Caballé. réussit à se placer dans les traces de ces illustres devancières. Sa voix a nettement évolué vers la tessiture de soprano, avec un aigu sûr et net, parfois durci, un médium toujours riche mais en corollaire un registre grave moins sonore et disjoint. La science belcantiste, la netteté des vocalises, la capacité à varier l'émission, le contrôle du souffle sont intacts et l'autorisent à affronter avec réussite toutes les difficultés du rôle. Elle y ajoute une autorité dans le récitatif, un tranchant de l'accent et un engagement dramatique sans histrionisme qui conduisent sa Norma au succès.

Quoiqu'identifiée soprano dans le programme, l'Adalgisa de sonne, elle, comme une vraie mezzo-soprano : c'est à nouveau dire si les deux rôles sont proches vocalement parlant. Son Adalgisa a la jeunesse du rôle et séduit par un timbre mordoré, une fusion parfaite des registres, un médium enveloppant et une impeccable puissance et aisance dans l'aigu. Sa voix se marie bien à celle de Norma pour deux duos (« Oh rimembranza » et « Mira, o Norma ») très réussis. Dans le rôle de Pollione, se montre souvent en difficulté : aigus tendus et souvent trop bas, respirations qui coupent la ligne vocale, pauvreté des nuances. Sa voix puissante voire claironnante mais peu flexible semble mal adaptée au bel canto. campe un Oroveso plus convaincant dans le paternalisme de la fin que dans l'invective du début. Camille Bauer en Clotilde et surtout Jean Miannay en Flavio retiennent l'attention malgré leurs courtes apparitions.

À la direction, est très attentif à la cohésion et au soutien des chanteurs et s'attache surtout à la pulsation et aux ruptures de rythme. La mise en place est irréprochable mais, dans l'acoustique assez sèche de l'Opéra de Strasbourg, l'Orchestre symphonique de Mulhouse, pourtant investi et de qualité, sonne trop martial et pauvre en couleurs. L'orchestration n'était certes pas le point fort de Bellini, mais tout de même… Le Chœur de l'Opéra national du Rhin, bien homogène dans la cantilène (superbe chœur masculin d'entrée) est parfois mis en difficulté dans la vivacité (l'appel belliciste « Guerra ! Guerra ! » du second acte). Une fort belle soirée néanmoins, fêtée par un public nombreux et visiblement conquis.

Crédit photographique : Karine Deshayes (Norma), (Pollione) / Camille Bauer (Clotilde), (Adalgisa), Karine Deshayes (Norma) /  (Adalgisa), Karine Deshayes (Norma) © Klara Beck

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 13-VI-2024. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma, opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani, d’après la tragédie Norma ou L’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène et conception vidéo : Marie-Ève Signeyrole. Décors et costumes : Fabien Teigné. Lumières : Philippe Berthomé. Dramaturgie : Louis Geisler. Collaboration à la vidéo : Artis Dzerve. Avec : Karine Deshayes, Norma ; Benedetta Torre, Adalgisa ; Norman Reinhardt, Pollione ; Önay Köse, Oroveso ; Camille Bauer, Clotilde ; Jean Miannay, Flavio. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas), Orchestre symphonique de Mulhouse, direction : Andrea Sanguineti.

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