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« Lettres à Marie ». Quatre décennies d’une passionnante correspondance de Fauré avec son épouse

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Gabriel Fauré. Lettres à Marie (1882-1924). Correspondance de Gavbriel Fauré avec son épouser éditée par Jean-Michel Nectoux. Éditions Le Passeur. 660 pages. 25 euros. 2024

 

Les Clefs d'or

Une première sélection de lettres entre les époux Fauré parut en 1951. La somme éditée aujourd'hui par Jean-Michel Nectoux est à sens unique : il ne s'agit que des courriers adressés par Fauré à sa femme. Cette correspondance peut se lire à trois niveaux : les liens entre les époux, les indications sur la production du compositeur et enfin, ce que l'on peut appeler, les opinions du chroniqueur, un remarquable témoin de son temps.

Marie Fremiet épousa Fauré en 1883. Ils eurent deux enfants. Femme sensible, de nature hypocondriaque, elle ne suit pas Fauré durant ses multiples déplacements en France et en Europe, assurant la vie du foyer à Paris. Dans la correspondance que nous découvrons rédigée au cours des étés de 1882 à 1924 – périodes estivales propices aux déplacements hors de Paris – Fauré tient son épouse informée des évènements quotidiens qui parsèment ses voyages. Il assume des charges officielles, à la fois en tant que directeur du Conservatoire de Paris (« on m'assassine de lettres qui me reviennent du Conservatoire »), organiste de La Madeleine, mais aussi inspecteur des établissements d'enseignement de la musique en province. Plus encore, il veille à l'exécution de ses œuvres car il est l'un des compositeurs les plus joués de son temps.

Qu'apprenons-nous de l'époux de Marie ? Le plan des lettres est immuable. Chaleureux dans les première lignes, amoureux des premières années, il associe Marie à sa découverte des villes traversées par des descriptions légères de personnes et de lieux qu'il apprécie, ornementant ses récits d'une foule de petits détails piquants. Il “occupe” les lignes, obsédé de témoigner d'une énergie insatiable comme s'il devait rendre des compte sur son emploi du temps. Comptes en espèces sonnantes et trébuchantes aussi, car il se bat pour promouvoir ses œuvres et notamment son unique opéra, Pénélope, qui tient tout au long de cette correspondance, une place considérable. Chaque lettre s'achève par des formules tendres adressées à Marie et à leurs deux enfants, Emmanuel et Philippe dont il se soucie de l'éducation puis de leur travail. Le lecteur perçoit dans les réponses de Fauré, l'inquiétude teintée de jalousie de Marie (grand amateur de femmes, il fut régulièrement accompagné dans ses voyages par sa maîtresse, la pianiste Marguerite Hasselmans). Il fait celui qui est peiné par les suppositions de son épouse, tentant de la rassurer par une tendresse appuyée. A la fin de la correspondance, la lassitude l'emporte, Fauré étant conscient que le couple trop éloigné, s'est défait : « tu me reproches de ne pas parler ou de parler peu. J'ai été tout ma vie (même dans mon enfance) un taciturne, avec des accès de gaîté ou de bavardage causés par les milieux ou les circonstances. Mais dans ta pensée, si je ne parle pas, c'est parce que je dissimule ! ». Enfin, dès 1903, Fauré s'inquiète de sa surdité déformante qui ne cesse de s'aggraver : « la misère, c'est lorsque j'essaie mon travail sur mon admirable Erard, les sons du médium m'arrivent lointains, mais justes, tandis que la basse et l'aigu ne me fournissent qu'un charivari indéfinissable ». Puis, en 1919 : « Ce que j'entends le moins péniblement c'est la voix chantant, mais l'ensemble instrumental, c'est le chaos et la douleur. »

Qu'apprenons-nous du compositeur ? Ses liens avec ses confrères réservent des passages étonnants : sa proximité avec Saint-Saëns dont le langage apparaît peu châtié, avec Eugène Ysaÿe, Blanche Selva, Jacques Thibaud, Isaac Albéniz, André Messager, Charles Koechlin, le jeune Alfred Cortot qu'il admire et Paul Dukas dont le caractère mutique le réjouit, mais aussi auprès de ses élèves, Ducasse dont il préfère l'écriture à celle de Ravel (certes, en 1900!). Il se bat comme tout compositeur – mais avec une aura et un pouvoir certain afin que ses œuvres soient jouées correctement – « j'ai peur que Colonne ne joue pas bien Pelléas. Il ne le comprend pas […]. Pour les musiciens, les interprètes sont le revers de la médaille ». Il n'entre guère dans les détails musicaux sauf à quelques exceptions près quand les problèmes occupent totalement son esprit. Ce sont alors des pages remarquables. Fauré éprouve parfois des difficultés à renouveler ses idées musicales, à relancer son inspiration. Phrases révélatrices que celles-ci : « J'ai bien au fond de moi-même le sentiment que mes procédés ne sont pas à la portée de tout le monde ». « J'essaie toutes les combinaisons auxquelles je pourrais plier ce thème selon les circonstances […] le moyen d'en tirer des effets variés. En un mot, je me fais des fiches qui me serviront au cours de l'ouvrage ou, si tu préfères, je fais des études comme on en fait pour un tableau. » Plus intéressant encore, Fauré définit l'essence de la musique française : « Nous sommes par l'esprit, de descendance grecque et latine. Nous aimons la clarté et nous voulons l'agrément dans la forme. Nous sommes des stylistes […] la faveur ne reste qu'aux œuvres irréprochablement écrites […] nous sommes le peuple du goût en toute chose. » En 1909, il confie : « la polyphonie excessive de Wagner, les clairs-obscurs de Debussy, les tortillements bassement passionnés de Massenet émeuvent ou attachent seuls le public actuel. Tandis que la musique claire de loyale de Saint-Saëns dont je me sens le plus rapproché, laisse ce même public indifférent. Et tout cela me fait froid dans le dos !».

Qu'apprenons-nous du chroniqueur de son temps ? qui fut quelques années durant, critique au Figaro possède le style fin et racé des journalistes de son époque. En revanche, à son épouse, il révèle ses goûts qui diffèrent des chroniques (alors un art mondain) publiées. Ainsi, il “descend” la musique de Puccini, « un art néo-italien qui est bien la plus misérable chose qui existe ». Il est tout aussi impitoyable avec la musique de Massenet « Quant à Thérèse de Massenet […] c'est la rinçure d'un art déjà pitoyable par lui-même !». Il est, en revanche, enthousiaste en entendant à Berlin, en 1907, Salomé de Richard Strauss. Fauré se nourrit de ses voyages, tout d'abord dans les provinces françaises. A Douai, il se félicite de l'école de musique tout en ajoutant « mais quelle ville laide, quel triste pays ! » alors qu'il s'enthousiaste pour la beauté de l'arrière-pays marseillais. A l'étranger, il décrit avec acidité, le tempérament des habitants des villes suisses : « ces gens m'épatent. Ils sont laids, mal fichus, habillé sans aucun goût. […] Je sais qu'il y a ici, également, des restaurants végétariens. Mais ceux-là ne répondent qu'à une fantaisie contestable ». Il épargne moins encore les allemands et « leur goût splendidement lourd et laid. […] Ils sont pleins de défiance quant ce n'est pas le mépris, pour la musique française dès qu'elle n'est pas gaie, sautillante, bouffonne ou aimablement sentimentale ». Dix ans avant la guerre, il en hume les effluves : « par la disposition des gares où tout semble avoir pour but les embarquements de troupes […] tout cela semble tourné vers notre pauvre pays, qui est leur ouest, et pour nous obliger à rester tranquille ». En revanche, l'élégance des londoniens, la chaleur des espagnols et des russes, mais aussi l'art de vivre en Italie le séduisent. Sa descriptions des lacs de l'Italie du nord en témoigne : « tu vois quel lyrisme ce pays m'inspire ! ».

Ces lettres regorgent aussi de considérations dans les domaines les plus variés. Ainsi, Fauré évoque aussi bien l'abrogation du tirage au sort pour le service militaire en 1905, que la loi de séparation de l'Église et de l'État qui mine la société française tout comme l'Affaire Dreyfus. Il s'intéresse à la vie politique alors qu'en public, il ne fait pas état de ses opinions. Son mépris n'en est que plus grand pour les représentants de l'État : « les gens qui nous gouvernent pensent et agissent au jour le jour et que lorsqu'il ont décidé une chose, ils s'aperçoivent qu'ils auraient dû en décider une autre. » Au fil des pages, il ornemente délicieusement ses courriers, citant l'apparition de taxamètres (futurs taxis), l'invitation à des réceptions qui n'en finissent pas, le coût peu élevé (10 centimes pour 40 kilomètres!) du tramway électrique à Marseille, le vol de La Joconde en 1911, qui fait plier de rire les français, etc. Certaines phrases laissent songeur quand il écrit, en 1907 : « L'ignoble phonographe qui assaisonne les repas – tout bon hôtel doit de la musique aujourd'hui à ses clients. » Fauré évoque avec beaucoup de lucidité les jours précédant l'entrée en guerre de la France alors qu'au mois d'août 1914, il voyage entre la Suisse et l'Allemagne. Durant le conflit, la correspondance s'amenuise du fait de l'impossibilité de voyager. Elle concerne davantage les questions familiales : son fils cadet est sur le front, la grippe Espagnole fait rage. Le regard sur le front est brouillé en raison d'une censure particulièrement efficace.

Ces Lettres à Marie n'apprennent guère d'éléments factuels essentiels à la compréhension de l'œuvre de Fauré. Leur intérêt est ailleurs : elles façonnent une mosaïque d'impressions, d'informations extraites de “carnets de voyage” – les notes présentées par Jean-Michel Nectoux sont des plus précieuses – qui rendent palpables la vie d'un artiste de premier plan au début du 20e siècle, honoré à la fin de sa vie sans qu'il y prenne, d'ailleurs, un quelconque plaisir. Ces pages évoquent un monde révoqué d'où pourrait jaillir un roman si juste car les petites choses de la vie y tissent la toile sensible d'une époque. L'importance déjà quantitative des lettres, qui ne sont qu'une partie des échanges quotidiens à cette époque nous stupéfie car le principe même d'une correspondance manuscrite nous est, aujourd'hui, impensable. En regard des ouvrages incontournables en langue française que sont la biographie du compositeur par Jean-Michel Nectoux (Fayard) et les écrits de Vladimir Jankélévitch, une telle somme mérite d'être lentement savourée.

 

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Gabriel Fauré. Lettres à Marie (1882-1924). Correspondance de Gavbriel Fauré avec son épouser éditée par Jean-Michel Nectoux. Éditions Le Passeur. 660 pages. 25 euros. 2024

 
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1 commentaire sur “« Lettres à Marie ». Quatre décennies d’une passionnante correspondance de Fauré avec son épouse”

  • ANTOINE MARTIN dit :

    Merci de cette remarquable analyse mais n’est elle pas trop précise annihilant l’idée d’un achat ?

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