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Tcheo Yong à l’Opéra Comique, le début d’une vague coréenne de K-Opera ?

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Paris. Opéra Comique. 9-VI-2024. Young Jo Lee (né en 1943) : Tcheo Yong. Metteuse en scène : Gina Lee​. Alex Kim (ténor), Tcheo Yong ; Jung nan Yoon (soprano), Ga Shil ; Young Kwon (basse), L’Empereur de Jade ; Byung Woo Kong (baryton), Le mauvais Esprit. Chœur national de Corée, Orchestre symphonique national de Corée ; direction: Seokwon Hong

La Corée du Sud n'a jamais été autant aussi populaire hors de ses frontières avec sa gastronomie, sa musique pop, ses films, mais aussi ses musiciens classiques. Mais ses opéras sont inconnus, aussi la première française de Tcheo Yong était une vraie découverte. Après la K-Pop, la K-Food et les K-Movies, est-ce le début d'une vague de la K-Opera? 

Offensive de charme de la Corée du Sud dans le cadre de l'Olympiade culturelle des JO de Paris, pour promouvoir son art pour le moins méconnu de l'opéra coréen. Pour cette découverte a été choisie Tcheo Yong, œuvre de 1987 du compositeur (né en 1943) qui est donnée pour la première fois à l'étranger (dans une version abrégée de 90 minutes) et successivement pour un soir à l'Opéra Comique, la Philharmonie de Berlin et au Musikverein de Vienne avec les forces vives du pays, solistes, l' et le Chœur national de Corée.

Tcheo Yong est inspiré d'un célèbre conte datant du royaume du Silla unifié (668-935), qui voit l'Empereur de Jade, qui dirige le ciel, vouloir anéantir ce royaume en raison de la corruption de ses mœurs. Son fils Tcheo Yong, (incarné par le ténor Alex Kim), attendri par le sort des humains, décide de descendre sur terre pour sauver Silla. Il y tombe amoureux d'une belle et pauvre courtisane, Ga Shil (Jung nan Yoon, soprano) à qui il redonne de l'espoir dans une vie meilleure sur cette terre. Celle-ci est désirée par Le mauvais Esprit (Byung Woo Kong, baryton), lequel contraindra Tcheo Yong à un marché cruel visant à sauver le royaume de Silla en échange qu'il puisse posséder la jeune femme. Marché de dupe qui se conclura par le viol de Ga Shil, son suicide, et la chute du royaume. On l'aura compris, la trame de l'intrigue reprend le trio classique de l'opéra occidental, avec la rivalité d'un ténor et d'un baryton pour une soprano qui finira par se sacrifier.

La représentation de l'opéra coréen est donnée dans le décor de Bruno de Lavenère pour l'Armide de Lully qui sera jouée dans les lieux à compter du 17 juin (dans la mise en scène de Lilo Baur). Un grand arbre tortueux et incliné, à la fois majestueux et inquiétant, car sans feuilles, occupe toute une partie du plateau, tandis que le fond du décor laisse voir un paysage de ciel nuageux et à l'horizon un relief d'où émerge une lointaine lueur, laissant penser à un crépuscule. Seules les lumières viennent jouer sur les changements d'ambiance. Les protagonistes évoluent jusque dans le faitage de l'arbre, notamment pour le moment dramatique et point de bascule : le viol de Ga Shil. Les costumes élégants, mélange à la fois traditionnel et contemporain, obéissent à un code couleur simple : manteaux et drapés blanc immaculé pour le ciel puis rouge de la luxure dans le royaume de débauche. Tcheo Yong abandonne ainsi son manteau blanc en fin d'Acte I en quittant le ciel pour en enfiler un rouge dès son arrivée à Silla en début d'Acte II. Là le peuple et les courtisanes s'adonnent aux plaisirs, lampion en forme de feuille de lotus ou pipe à opium en mains. Dans cette mise en scène conventionnelle de Gina Lee​, la direction des chanteurs les laisse trop statiques, chantant souvent face au public, autant le chœur que les chanteurs, malgré duos et trio au III plus investis scéniquement. Un danseur, chorégraphié par Jaehyeok Ryu,  apporte dans les deuxième et troisième acte une fluidité et une circulation bienvenue.

Musicalement, l'œuvre est d'une forme hybride entre l'oratorio, pour son thème moraliste sur la corruption des mœurs et pour le hiératisme des interventions chorales, et l'opéra wagnérien et ses suites post-romantiques. L'utilisation des leitmotivs associés aux différents personnages est un hommage à Wagner, tandis que l'orchestration tendue où les perscussions colorent le tissu instrumental d'une teinte extrême-orientale sans toutefois le dominer, évoquent ses descendants, Stravinsky, Berg voire Bernard Herrmann. Si la formation musicale du compositeur pour sa partie occidentale s'est faite à Munich, une influence américaine n'est pas à exclure puisque le compositeur a obtenu son doctorat au conservatoire de Chicago, où il est devenu professeur. Les parties vocales sollicitent de plus en plus intensément les solistes au fur et à mesure que l'on progresse dans le drame. Au sein d'une distribution sans faiblesse mais dont l'expressivité scénique est limitée par la direction d'acteur des plus simples, le baryton Byung Woo Kong (Le mauvais Esprit), habitué des Don Giovanni et autres Escamillo, nous séduit le plus par son timbre généreux. Le ténor Alex Kim, qui fait partie de la troupe du Staatstheater Meiningen, en Thuringe au centre de l'Allemagne, depuis 2019, assure le rôle-titre avec aisance. Le personnage de Ga Shil incarné par la soprano Jung nan Yoon, sous la contrainte d'une société traditionnelle dominée par les hommes, voit sa gestuelle limitée, à la croisée d'une Traviata et d'une Madame Butterfly. Un poids que l'on ressent en particulier lors de son air de l'Acte 2. La basse Young Kwon (L'Empereur de Jade) dispose des graves profonds adéquats pour son personnage de dieu gouvernant l'univers. Le Chœur national de Corée, le plus ancien chœur professionnel du pays, fondé en 1973, a un rôle important, tour à tour peuple des dieux, moines, ou peuple de Silla. Il bénéficie de la partie la plus inspirée de la version qui nous est donnée à entendre], à la scène 2 de l'Acte 2, quand habillés en religieux, ils avertissent Tcheo Young qu'il ne pourra sauver le royaume de Silla que s'il abandonne Ga  Shil. Quant à l', il a une double activité d'orchestre symphonique occidental, son directeur artistique est David Reiland depuis 2022, et d'orchestre de théâtre. Si on distingue dans la fosse des instruments traditionnels coréens, l'identité de l'orchestre reste symphonique et opératique, et on est régulièrement surpris par l'hybridation des deux cultures occidentales et coréennes.

Alors, Tcheo Young est-il un opéra contemporain coréen, susceptible de conquérir le monde et d'ajouter le K-Opera à la liste des K-Pop et autres K-Movies ? De par le parcours de son compositeur, sa date d'écriture au milieu des années 80 et de par son inscription dans le patrimoine culturel coréen, le parallèle avec Mikhaïl Glinka et Une vie pour le tsar vient à l'esprit. Une œuvre qui s'inscrit dans l'affirmation d'un peuple dans un art dont il maîtrise les codes et qu'il s'approprie pour rayonner à son tour.

Crédits photographiques : © Opéra national de Corée

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