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Manifestes sonores, artistiques et politiques

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Paris.Festival ManiFeste. Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, Salle des concerts. 7-VI-2024. Mayu Hirano (née en 1979) : Parfum d’un Autre Monde, pour alto et électronique (CM) ; Luis Fernando Rizo-Salom (1971-2013) : Trois Manifestes, pour ensemble et électronique. Aureliano Cattaneo (né en 1974) : Inside, pour contrebasse, ensemble et électronique. Odile Auboin, alto ; Nicolas Crosse, contrebasse ; Ensemble Intercontemporain ; Pierre Carré, João Svidzinski, électronique Ircam ; Sylvain Cadars, diffusion sonore Ircam ; direction : Lin Liao

Paris. Centre Pompidou, Grande Salle. 08-VI-2024, 20h. Thierry De Mey (né en 1956) : Timelessness (2019). Les Percussions de Strasbourg. Thomas Guerri, mise en espace. Manuela Rastaldi, coaching gestuel.

Soirée à haut voltage dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique avec un dispositif sonore débordant le cadre scénique, et les ressorts de l'électronique qui en démultiplient les effets.

Pour autant, l'altiste est seule en scène pour débuter la soirée dans un calme relatif avec la création de Parfum d'un autre monde de , pour alto et électronique. La compositrice japonaise s'inspire de la pièce de théâtre Nô Hagoromo (La robe de plumes), « connue comme prière pour la paix », nous dit-elle. L'électronique est réalisée à partir de sons de violon analysés et traités par les logiciels informatiques, rejoignant parfois les sonorités bruiteuses du Kokyū, la vièle traditionnelle japonaise. La ligne d'alto très mouvante est extrêmement virtuose et merveilleusement flexible sous l'archet d' dont le grain sombre des cordes graves semble reproduire, via le cerne électronique, les inflexions vocales du théâtre nô. Dans une dernière partie sublime (l'envol de la fille céleste de la légende), les sons lumineux de l'extrême aigu du registre se dissolvent dans la stratosphère électronique.

Les musiciens, équipés d'écrans, sont déjà installés à l'étage, deux groupes d'instrumentistes se faisant face avant l'arrivée sur le plateau du troisième ensemble et de la cheffe pour l'exécution de Trois Manifestes (2009), une musique survitaminée du regretté .


Côté diffusion, s'ajoutant à la couronne d'enceintes de la salle, des petits haut-parleurs ont été placés sous les fauteuils du public, selon les vœux du compositeur, pour ramener le son à proximité des auditeurs. L'idée est de confronter les trois sources sonores qui se relaient et d'en exalter les oppositions et les contrastes avec un sens aigu de la fête (peut-être du carnaval) que l'on ressent chez le Colombien. La musique est éruptive, colorée, dans l'excès du geste (quelques cordes cassées au sein des pupitres) et de l'énergie (on frôle la saturation), rehaussée d'une percussion exubérante, cencerros, tam éclaboussant, métaux lumineux, sifflets et autres sonnailles qui animent l'espace via les ressources de l'amplification. est présente sur tous les fronts et les musiciens donnent leur maximum (solo de clarinette basse d'Alain Billard, agressivité des contrebasses, effervescence du clavier de Sébastien Vichard) pour restituer le souffle de cette musique incandescente autant que galvanisante.

La contrebasse et son double

Le dispositif est réduit mais tout aussi original pour Inside, une nouvelle pièce de l'Italien pour contrebasse, ensemble et électronique. Au premier plan, deux contrebasses sont placées de part et d'autre du soliste , l'ensemble des musiciens se répartissant en ligne autour de la cheffe ; en sus, les claviers, la harpe et les deux percussions. L'enjeu est d'utiliser les deux contrebasses latérales comme des hautparleurs diffusant, via des transducteurs et autres « micros piezo », le son émanant de l'intérieur (inside) de la caisse du soliste. C'est ce que nous donne à entendre dans son premier solo, laissant apprécier les vertus du dispositif avant la mise à feu de l'ensemble.

Passionné de littérature, le compositeur dit s'être inspiré du roman âpre et visionnaire de Dostoïevski, Le Double, dont « la forme répétitive, obsessionnelle et verbeuse » déteint sur le discours musical. Un lien dramaturgique fort relie l'ensemble et le soliste jusqu'à ce hurlement émis par le contrebassiste, amplifié et diffracté par l'électronique (Pierre Carré). La musique est à haute tension et les ressorts de l'orchestration impressionnants dans cette trajectoire narrative qui ménage une grande cadence au soliste jouant avec l'archet autant qu'avec les mains, percutant ou lissant la caisse de la contrebasse. Héros du drame qui se joue au cœur de son instrument, donne de la voix passée au filtre des logiciels, dans une dernière séquence aussi étrange qu'inquiétante. (MT)

Jeu de mains, jeu de Mey

Présenté comme un « artistique et politique » par lui-même, et comme son « autoportrait [en] réunissant des pièces anciennes et nouvelles au sein d'un même spectacle » par les , ses interprètes, « Timelessness » se présente comme une série de tableaux faisant alterner danse et musique.

Le compositeur et cinéaste a voulu mettre en valeur le corps des musiciens – qui, selon lui, serait nié la plupart du temps par la pratique musicale – dans une « réflexion sur les temporalités ». Le résultat : un ensemble de saynètes se succédant mais sans que l'on devine un quelconque fil narratif. On aimerait comprendre ce qui est réfléchi là… De même, « composer » se définit-il comment ici ? Car ce qui se donne à voir et entendre est plutôt un artisanat assez grossier qui exploite à chaque fois une idée, une trouvaille. Laquelle est parfois très belle d'ailleurs, par exemple lorsque les artistes sont alignés sur le devant de la scène et dans le noir, à l'exception de leurs mains, qui exécutent les gestes d'un drame muet duquel la surprise et l'humour ne sont pas absents. D'une manière générale, les corps roulent, marchent, courent, se croisent ; les mains claquent ou dansent en silence ; les percussions sont frappées à satiété…  Seulement, où sont la grâce et l'esprit de finesse dans cette démonstration, assurément fluide, mais sans objet réel en définitive ? Certes, il y a des moments heureux, mais ils sont noyés dans une perpétuelle répétition qui varie à peine, à savoir un léger décalage des percussions ou des figures chorégraphiques. La promesse n'est jamais tenue, finalement, et l'on s'ennuie assez vite dans ce qui apparaît également comme une réunion d'amis, ce qui se perçoit en particulier dans les tutti des percussions, où visiblement les huit musiciens, en communion avec la production de , prennent du plaisir, surtout, et légitimement, dans les conjonctures virtuoses.

Bref, cette pyrotechnie, en partie un recyclage (dans le programme, les Percussions citent en exemple l'un des tableautins de ce soir, Musique de tables, conçu en… 1987) ne convainc pas. En fin de compte, c'est peut-être cela un  : frapper fort, encore et encore ! Le public, rajeuni ce soir, tendrait à le prouver, qui contredit notre sévère constat en applaudissant chaleureusement les musiciens et le compositeur-concepteur.

Crédit Photographique : © ; © urbain/

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