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Nouvelles Musiques-Fictions à ManiFeste

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Paris. Festival ManiFeste. 6-VI-2024. Musiques-Fictions
18-30 : Trois femmes disparaissent : texte d’Hélène Frappat ; Para One, musique et réalisation ; Nathalie Pivain, adaptation et réalisation ; Johannes Regnier, réalisation informatique musicale Ircam ; Clément Cerles, ingénierie sonore. Avec les voix de Cindy Almeida de Brito, Geoffrey Carrey, Christiane Cohendy, Julie Lesgages, Valérie Schwarcz.
20h : Croire aux fauves : texte de Nastassja Martin ; Frédéric Pattar, composition ; Mathilde Delahaye, adaptation et réalisation ; Quentin Nivromont, réalisation informatique musicale ; Jérémie Bourgogne, ingénierie sonore ; avec la voix d’Audrey Bonnet.
21h30 : The Great Disaster ; texte de Patrick Kermann ; Jérôme Combier, adaptation et musique ; Marc Lainé, réalisation ; Clément Cerles, ingénierie sonore ; Gilles Marsalet, buitage ; Avec la voix de Vladislav Galard ; chant de Sofia Avramidou et musique enregistrée de Amarillys Billet ; Nicolas Crosse; contrebasse ; Ayumi Mori, clarinette ; Alvise Sinivia, piano ; Diego Tosi, violon ; Fanny Vicens, accordéon.

Un texte d'aujourd'hui, une musique en création et l'expérience collective de l'écoute immersive sous dôme ambisonique : la collection des Musiques-Fictions initiée par l' en 2020 s'enrichit de trois nouvelles rencontres entre texte littéraire et réalisation sonore.

Dans le cadre du festival  , le dôme ambisonique (structure de 35 haut-parleurs disposés au-dessus de nos têtes) est installé dans l'Espace de projection, accueillant une quarantaine d'auditeurs pour chaque séance d'une petite heure : « Une Musique-Fiction, c'est l'adaptation d'un texte littéraire par un binôme artistique qui se compose d'un créateur sonore et d'un réalisateur qui adoptent ensemble un texte pour créer une nouvelle œuvre et donner toute sa place à la musique et au médium électronique. Et la musique sert vraiment de fil conducteur, c'est un personnage à part entière de cette fiction », explique Emmanuelle Zoll, directrice de la production.

Dans Trois femmes disparaissent (paru en 2003 aux Éditions Actes Sud), adapté au format des Musiques-Fictions par , l'autrice Hélène Frappat mène l'enquête sur la disparition (l'effacement) de trois générations d'actrices à Hollywood dont elle retrace le calvaire vécu auprès des cinéastes tout puissants ; ainsi décrit-elle par le détail le sadisme de certaines scènes de tournage avec Tippi Hedren, héroïne des Oiseaux et harcelée par Hitchcock. Elle sera mise « au placard » par le réalisateur au motif de sa non-soumission à la volonté du cinéaste. La fille de Tippi, Melanie Griffith, actrice célèbre également, répète le même scénario que sa mère, « activement disparue », elle-aussi, du monde du cinéma. La troisième star de la lignée maternelle, Dakota Johnson, semble reproduire l'existence de sa grand-mère, abusée par ses employeurs comme Tippi l'avait été par Hitchcock qu'elle avait osé traiter de « fat pig ».

Quatre voix relaient ponctuellement celle de la narratrice, parfois doublées par l'électronique pour faire ressortir l'émoi de la parole. La bande-son de Jean-Baptiste de Laubier (alias Para One, DJ, compositeur et producteur français) est toujours présente, presqu'en continu, jouant sur deux niveaux : elle campe l'atmosphère (sound design) ou porte le récit en soulignant le propos par touches illustratives. Ainsi participe-t-elle à la dramaturgie sans pour autant déborder son rôle d'accompagnement, laissant la parole et la comédienne toujours au premier plan. Cette Musique-Fiction a donné lieu au trentième film « Image d'une œuvre » de l' réalisé par Sabine Massenet avec la collaboration de Philippe Langlois.

Il n'y a qu'une seule voix dans Croire aux fauves (paru en 2024 chez Gallimard), celle d'Audrey Bonnet donnant vie au récit de l'anthropologue Nastassja Martin adapté par Mathilde Delahaye : voix implacable autant qu'envoûtante qui relate l'histoire vécue de l'aventurière attaquée par un ours brun lors d'une mission aux confins de la Sibérie ; un récit poignant dont la linéarité, au fil des saisons, est plus d'une fois rompue par des flashbacks où l'auteure revit sa lutte avec l'ours, souvenir traumatique d'un événement qui a fait basculer sa vie : « C'est une naissance, dit-elle, puisque ce n'est manifestement pas une mort ».

La parole est parfois nue, mettant en valeur les interventions de la musique. , que l'on connait davantage à travers sa musique instrumentale, opte ici pour une musique sur support, « plus pertinente » selon lui, qui, parfois, relaie la voix : musique à fleur d'émotion, allusive (râle du fauve, bips du radioscope à l'hôpital), ou paysages sonores provenant de captation dans le Kerry en Irlande qui modifient les espaces de la narration : une autre manière d'accompagner le récit sans en perturber le fil.

« Ne m'intéresse que ce dialogue fragile avec les morts, ces souffles ténus recueillis auprès des morts qui témoignent de leur avoir été à l'histoire et au monde », ainsi s'exprimait l'écrivain Patrick Kermann (1959-2000), auteur de The Great Disaster (tragédie maritime), sa pièce de théâtre publiée en 1992 par Phoenix Éditions sur laquelle ont travaillé le compositeur (musique et adaptation) et le réalisateur Marc Lainé.

Une seule voix, celle, musicale autant que polymorphe, de Vladislav Galard, mais plusieurs personnages incarnés avec une belle aisance par le comédien : celui de Giovanni Pastore (alias John Shepperd ou Jean Berger, c'est selon), l'immigré, l'homme à tout faire, le anti-héros. Il est chargé de nettoyer les 3177 cuillères à dessert (il a la passion des chiffres) pour les passagers de première classe embarqués sur le Titanic qui est en train de sombrer. Malgré les sollicitations de l'équipage et de son boss Gatti, il refuse de quitter son poste : « Je ne voulais pas me retrouver dans leurs foutus canots […] ». Entre narration et prises de parole, c'est toute la vie de Giovanni Pastore qui se raconte, sur le paquebot, avec son entourage, mais aussi dans le souvenir de ses premières vingt années vécues dans les montagnes du Frioul auprès de la « mama », qu'il n'aurait jamais du quitter, et de la fiancée Cecilia qui est partie sans lui ; entre nostalgie et poésie, humour et tragédie… Autant de nuances que relève dans une musique-personnage, qui infiltre le récit et innerve le propos : musique instrumentale dûment écrite (accordéon, violon, contrebasse, piano et clarinette) en phase avec les paroles du comédien et les temps de la narration ; musique bruitée (celle des machines du Titanic mais aussi des petites cuillères), musique enregistrée (field recording) qui dessine le paysage, ainsi que cette chanson traditionnelle (voix chaleureuse de Sofia Avramidou) accompagnée par l'ensemble instrumentale qui enchante l'écoute au mitan de la Musique-Fiction : une rencontre bouleversante de la musique de Combier avec la langue de Kermann, « une langue étrangère qui ne dit pas le monde mais sa distance irréconciliable au monde ».

Crédits photographiques : © /

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20h : Croire aux fauves : texte de Nastassja Martin ; Frédéric Pattar, composition ; Mathilde Delahaye, adaptation et réalisation ; Quentin Nivromont, réalisation informatique musicale ; Jérémie Bourgogne, ingénierie sonore ; avec la voix d’Audrey Bonnet.
21h30 : The Great Disaster ; texte de Patrick Kermann ; Jérôme Combier, adaptation et musique ; Marc Lainé, réalisation ; Clément Cerles, ingénierie sonore ; Gilles Marsalet, buitage ; Avec la voix de Vladislav Galard ; chant de Sofia Avramidou et musique enregistrée de Amarillys Billet ; Nicolas Crosse; contrebasse ; Ayumi Mori, clarinette ; Alvise Sinivia, piano ; Diego Tosi, violon ; Fanny Vicens, accordéon.

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