Le danseur, chorégraphe et directeur de compagnie Eric Vu-An est décédé samedi 8 juin à l'hôpital de Nice, des suites d'une tumeur au cerveau, contre laquelle il luttait depuis deux ans. Sa mort survient moins de dix jours après celle de son mari, l'ancien directeur de l'Opéra de Paris, Hugues Gall, également décédé à Nice.
Bien qu'il ne fût jamais nommé Étoile de l'Opéra de Paris, Eric Vu-An en aura, résolument été une, par défaut. Car il avait du charisme, des dons et une conviction théâtrale indéniables, faisant de lui un danseur hors norme et atypique. Né le 3 janvier 1964 à Paris, il est l'un des tous premiers enfants métis engagé à l'École de danse de l'Opéra, alors qu'il n'a que dix ans. Claude Bessy avait remarqué le grand potentiel de ce jeune garçon, « qui ressemblait tant aux photos de Serge Lifar enfant » se souviendra-t-elle, et saura toujours le préserver de tout ostracisme. Élève doué et très charismatique, il sera distribué dans Les Animaux modèles de Lifar et surtout dans le Tambour du Bal des cadets. Eric Vu-An entre dans le corps de ballet dès l'âge de 15 ans, et sait alors qu'il va devoir sortir du rang. Ce qu'il réussit fort bien, tant dans ses rôles que dans son caractère impétueux, voire insolent. Danseur classique, mais aussi très contemporain, il est distribué par Noureev dans le Gitan puis Basilio du Don Quichotte ; il sera aussi Bernard dans Raymonda, Caliba dans sa Tempête, Benvolio et Tybalt dans son Roméo et Juliette. Il danse aussi du Balanchine, Lifar, Carlson ou Forsythe, mais c'est surtout Maurice Béjart qui « flashe » sur ce jeune homme venant lui demander conseil pour être l'Élu du Sacre du printemps avec Marie-Claude Pietragalla. Le chorégraphe l'invite alors au Ballet du XXe siècle et crée pour lui Le Baiser de la fée et son imposant Kabuki à Tokyo. À l'Opéra de Paris, il lui donne le rôle de Méphisto dans Arepo. Et c'est là que la crise éclate : en mars 1986, Béjart décide, sur la scène de Garnier, de nommer Manuel Legris et Eric Vu-An « Étoiles » usurpant ainsi les prérogatives de Noureev, alors directeur de la danse. L'Opéra dément, et Eric Vu-An décide de quitter l'Opéra, misant sur Béjart. Mais le danseur est fraichement accueilli par la compagnie béjartienne, et ne sera pas engagé. Commence alors une vie de danseur free-lance riche mais rude (il reviendra néanmoins avec un statut d'artiste invité à l'Opéra), et diversifiée (faisant du cinéma, chantant avec Zizi Jeanmaire…)
Vient ensuite une progressive et belle carrière de directeur de compagnies du Ballet de l'Opéra de Bordeaux (1995-1997) où il monte son Don Quichotte, au Ballet de l'Opéra d'Avignon (1997-2005) chorégraphiant Raymonda, Coppélia, Les Mémoires d'Hadrien, avant d'être maitre de Ballet au Ballet national de Marseille (2005-2009) garantissant le versant classique d'une compagnie dirigée par Frédéric Flamand. La cohabitation est difficile et Eric Vu-An devient maître à bord du Ballet de l'Opéra de Nice en 2009. Il y préserve des saisons de ballets classiques et néo-classiques avec des grands ballets du répertoire (Don Quichotte, Les Sylphides, Coppélia), mais aussi des « indispensables » modernes comme Lucinda Childs, Oscar Araïz, Ben Stevenson, Gene Kelly, Nacho Duato, Glen Tetley, Hans van Manen, préservant ainsi la seule vraie troupe de ballets au sein d'une maison d'Opéra dans le sud de la France. Une persévérance à remarquer, qui couronne une carrière détonante, qui fut un feu d'artifice, aussi brillant que tonitruant. Eric Vu-An était de ces artistes qui ne mâchent pas leurs mots, mais toujours pour servir une cause à un niveau de perfection qu'il portait haut. Sa mort douloureuse et trop précoce laisse à l'évidence un vide profond dans l'histoire de la danse française. (AD)
À lire : Eric Vu-An , la liberté en dansant de Jean-Pierre Pastori, Editions Favre