Dans le salon select de la claveciniste Elisabeth Joyé

Elisabeth Joyé enregistre peu de récitals, et après celui consacré à Johann Caspar Ferdinand Fischer pour le même label, c'est un plaisir de la retrouver dans un parcours de compositeurs très choisis, dans l'Europe des XVI^e, XVII^e et début XVIII^e siècle.

Figure majeure mais discrète du clavecin français, Elisabeth Joyé a eu des maîtres prestigieux (Gustav Leonhardt, Bob van Asperen…) et a formé à son tour de grands interprètes, comme Benjamin Alard.  C'est sans doute sa discrétion qui lui fait choisir des petites pièces peu connues, parmi celles qui l'ont accompagnée pendant sa pratique pédagogique car riches en couleurs, et qu'elle a sélectionnées pendant le confinement, comme elle l'aurait fait des perles les plus fines choisies dans un trésor. Pas de virtuosité creuse qui cherche à impressionner, et pas non plus de grande construction architecturale qui ferait perdre la magie du détail. Ici, c'est pièce après pièce, bijou après bijou qu'Elisabeth Joyé déploie ses petites merveilles, selon un parcours certes varié, mais aussi simplement chronologique. Ces bijoux, elles les éclaire, les fait miroiter avec tendresse, et nous pouvons ainsi profiter de toutes les irisations de chromatisme, de tous les raffinements de contrepoint. On peut, à la limite, regretter ce choix du florilège, et effectivement, il aurait été intéressant d'entendre chacune des deux chaconnes de Fischer incluse dans sa Suite respective entière, mais tel qu'il est, ce pot-pourri est délicieux et se laisse écouter avec joie.

Ce programme, composé avec délicatesse, permet une belle progression de Gibbons à Böhm et Fischer, mais aussi de subtiles oppositions de caractère, comme La Drollerie de De Chambonnières et la Plainte de Fischer. Il permet aussi de plaisanter un peu avec l'auditeur, et de lui laisser le soin de deviner lequel des trois instruments est joué. Est-ce le Virginal, l'épinette ou le clavecin ? On ne prétendra pas donner les réponses qui ne sont pas apportées dans la notice. On se laissera simplement séduire par le son cristallin des Préludes de Gibbons et le cuivré de l'intonazione d'Organo de Gabrieli. Si les chaconnes sont déconnectées de leurs Suites d'origine, elles n'en sont pas moins l'occasion d'apprécier leurs dynamiques internes et la façon magistrale avec laquelle Elisabeth Joyé les fait respirer et s'épanouir. Surtout, la clarté et la netteté de son jeu nous permettent d'entendre très lisiblement le contrepoint de ces pièces très brèves de Gibbons ou de l'Aria de Frescobaldi, qui sont magnifiques. Avec cette grande dame du clavecin, tout devient simple et transparent. Du grand art, et de jolies pépites à découvrir !