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Rodzinski à Cleveland : une somme musicale de premier ordre

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Artur Rodzinski, The Cleveland Orchestra, The Complete Columbia Album Collection.
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 1. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon “A la mémoire d’un ange”. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie fantastique. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 1 et n° 5. Claude Debussy (1862-1918) : La Mer. Arno Järnefelt (1869-1958) : Praeludium pour petit orchestre. Jerome Kern (1885-1945) : Show Boat. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Songe d’une nuit d’été, ouverture et musique de scène. Concerto pour violon en mi mineur. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Prélude de la Khovanshchina. Maurice Ravel (1875-1937) : Daphnis et Chloé, suite n° 2. Rapsodie espagnole. Alborada del gracioso. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade. Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonie n° 5. Finlandia. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon. Richard Strauss (1864-1949) : Till Eulenspiegel. Danse des Sept voiles. Valses du Chevalier à la rose (arr. Rodzinski). Une Vie de héros. Piotr Iliytch Tchaïkovski (1840-1893) : Roméo et Juliette. Ouverture 1812. Marche slave. Symphonie n° 5. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Ouverture du Freischütz. Jaromir Weinberger (1896-1967) : Variations et fugue sur un vieux thème anglais.
Louis Krasner, violon, Orchestre philharmonique-symphonique de New York, Dimitri Mitropoulos, direction (Schoenberg, Berg), Nathan Milstein, violon (Mendelssohn), Orchestre de Cleveland, Artur Rodzinki, direction. 1 coffret de 13 CD Sony Classical. Enregistrements au Severance Hall de Cleveland entre décembre 1939 et février 1942 (décembre 1952 pour Mitropoulos). Notice de présentation en anglais. Durée totale : 9h10

 
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Deuxième chef titulaire dans l’histoire de l’Orchestre de Cleveland après Nikolaï Sokoloff, Artur Rodzinski créa véritablement le son de la formation. Au début des années quarante, elle devint l’une des toutes premières phalanges internationales. Les gravures réunies par Sony Classical – archives de Columbia Records – sont d’autant plus précieuses qu’elles paraissent pour la première fois en disque-compact.

« Bâtisseur d’orchestres »… Rodzinski le fut assurément, même si l’on peut regretter que cette qualité estompe, à demi-mots, la réalité d’un musicien qui fut d’abord un remarquable styliste et un visionnaire en termes d’interprétation. En effet, la première caractéristique de sa direction et qui nous saute aux oreilles, c’est la brillance, la clarté et la compacité des lectures. Mais à la différence d’un Toscanini qui fut son mentor lors de la mise sur pied de l’Orchestre symphonique de la NBC en 1937, Rodzinski construisit ses interprétations avec une liberté tout autre que celle du chef italien. Rodzinki possédait déjà un métier exceptionnel : à la tête de la formation américaine entre 1933 et 1943 (il céda la baguette à Erich Leinsdorf), il avait dirigé auparavant à Varsovie puis à Philadelphie (assistant de Stokowski) et, enfin, à Los Angeles. En peu d’années, la valeur artistique proprement sidérante de l’orchestre qui n’avait plus enregistré depuis la Grande Dépression est révélée. La virtuosité de l’ensemble des pupitres, la précision de la mise en place, la justesse des vents dans les différents solos, qu’il s’agisse de la musique française ou russe n’ont rien à envier sur le plan technique, aux formations actuelles. 

La variété du répertoire et l’intérêt de Rodzinski pour la musique de son temps – à la condition qu’elle se situe dans une veine tonale – ne sont qu’effleurés dans ce coffret. Il faut imaginer que le public de Cleveland entendit pour la première fois la musique de Stravinsky sous sa baguette et qu’il y assura la production de Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch en 1935 ! Il grava ainsi le troisième enregistrement de l’histoire de la Symphonie n° 5 du compositeur russe, après celles de Mravinsky avec Léningrad (1938) et Stokowski avec Philadelphie (1939). Cette œuvre et la Symphonie n° 1 captées en 1941 témoignent, sous sa direction, d’une inventivité et d’une énergie superbes : aucune baisse de tension, mais une conception narrative avec des prises de risques assumées comme ces cuivres poussés à la faute dans l’Allegretto de la Symphonie n° 5 (la version de 1954 avec le Royal Philharmonic Orchestra ne possède pas cette flamboyance). Les phrases sont tenues avec une minimum de vibrato et de rubato (à noter que le finale est amputé des mesures 119 à 121 pour qu’il tienne sur une surface d’un 78 tours). En pleine Seconde Guerre mondiale, Artur Rodzinski, chef d’orchestre polonais naturalisé américain en 1933, sait de quoi il parle lorsqu’il simule le combat des forces du bien contre celles du mal. Le répertoire slave qu’appréciait tant Rodzinski est magnifié dans Tchaïkovski et Rimski-Korsakov. La projection sonore est intense, sans aucune dureté et l’Ouverture 1812 qui nécessite, en principe, une restitution acoustique spectaculaire, n’est nullement caricaturée devant les micros de 1941. Le caractère anguleux, exalté et lyrique de Shéhérazade (quelle trompette solo!), de Roméo et Juliette, de la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski marquent la discographie naissante des œuvres.

La musique française est tout aussi lumineuse avec une perception rythmique et un jeu sur les couleurs qui feraient croire aux timbres des orchestres français des années trente et quarante. Daphnis et Chloé de Ravel et La Mer de Debussy séduisent quand la Rhapsodie espagnole souffre de distorsions importantes, malgré un chic certain, celui de Malaguena, entre autres. La Symphonie fantastique de Berlioz est portée par un bouillonnement d’énergie et une puissance d’autant plus radicale que la prise de son favorise les suraigus comme les cymbales et les cuivres tonitruants du finale. On songe à Munch, Markevitch et Cluytens.

Cet engagement physique lié à un travail de répétition acharné offre d’autres pages tout aussi passionnantes comme Till Eulenspiegel ou bien une Vie de Héros de Strauss. Rodzinski profite des dissonances de l’écriture dont il accentue les effets et joue au mieux de la profondeur de l’orchestre. Cette efficacité se retrouve tout autant dans le postromantisme de la Symphonie n° 5 de Sibelius. Le chef en souligne les contrastes et même si les dynamiques sont canalisées et les distorsions inévitables dans le finale,  la perfection des cordes et un sens extraordinaire de l’articulation emportent l’adhésion. Voilà une grande version (oubliée) de l’œuvre ! Il en va de même du répertoire classique avec la Symphonie n° 1 de Beethoven dont l’élégance, l’élan et la luminosité sidèrent un demi-siècle avant l’apparition des lectures « historiquement informées ». A noter quelques raretés, du moins considérées comme telles aujourd’hui : un pot-pourri de la comédie Show Boat de Kern puis les pièces intéressantes, mais guère davantage de Järnefelt et Weinberger. Enfin, en un disque sont regroupés les concertos pour violon de Schoenberg, Berg et Mendelssohn. On s’interroge sur la présence dans une anthologie dédiées à Rodzinski, de celui de Schoenberg dirigé par Mitropoulos avec New York et Louis Krasner. Une présence d’autant plus étonnante que la pièce parut déjà dans l’intégrale Mitropoulos présentée par Sony Classical. Retenons la lecture enflammée et chantante du Concerto de Mendelssohn sous l’archet génial de Milstein. Il s’agit d’une gravure inédite qui mérite d’être entendue ainsi que le Concerto de Berg, dans la vision analytique et passionnante de Louis Krasner.

Les gravures de cette édition complètent deux précédents coffrets, l’un du même label consacré aux enregistrements new-yorkais du chef et l’autre, une compilation réalisée par Scribendum. Aucune des deux parutions n’a présenté les précieux témoignages captés à Cleveland. Un coffret qui mérite amplement le label “historique”.

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Artur Rodzinski, The Cleveland Orchestra, The Complete Columbia Album Collection.
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 1. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon “A la mémoire d’un ange”. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie fantastique. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 1 et n° 5. Claude Debussy (1862-1918) : La Mer. Arno Järnefelt (1869-1958) : Praeludium pour petit orchestre. Jerome Kern (1885-1945) : Show Boat. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Songe d’une nuit d’été, ouverture et musique de scène. Concerto pour violon en mi mineur. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Prélude de la Khovanshchina. Maurice Ravel (1875-1937) : Daphnis et Chloé, suite n° 2. Rapsodie espagnole. Alborada del gracioso. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade. Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonie n° 5. Finlandia. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon. Richard Strauss (1864-1949) : Till Eulenspiegel. Danse des Sept voiles. Valses du Chevalier à la rose (arr. Rodzinski). Une Vie de héros. Piotr Iliytch Tchaïkovski (1840-1893) : Roméo et Juliette. Ouverture 1812. Marche slave. Symphonie n° 5. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Ouverture du Freischütz. Jaromir Weinberger (1896-1967) : Variations et fugue sur un vieux thème anglais.
Louis Krasner, violon, Orchestre philharmonique-symphonique de New York, Dimitri Mitropoulos, direction (Schoenberg, Berg), Nathan Milstein, violon (Mendelssohn), Orchestre de Cleveland, Artur Rodzinki, direction. 1 coffret de 13 CD Sony Classical. Enregistrements au Severance Hall de Cleveland entre décembre 1939 et février 1942 (décembre 1952 pour Mitropoulos). Notice de présentation en anglais. Durée totale : 9h10

 
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