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Composer avec l’image au festival ManiFeste 2024

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Paris. Festival ManiFeste 30 et 31-V-2024.
Centre Pompidou, Grande salle 30-5 : Martin Matalon (né en 1958) : Chaplin Factory : musiques du compositeur sur trois films de Chaplin : The Immigrant ; The Vagabond ; Behind the Screen (CM). Trio K/D/M : Anthony Millet, accordéon, Aurélien Gignoux et Emil Kuyumcuyan, percussions ; Clara Barbier Serrano, soprano ; Nicolas Fargeix, clarinette ; Ingrid Schoenlaub, violoncelle ; Louise Ognois, trombone ; Étienne Démoulin, électronique ircam ; Sylvain Cadars, diffusion sonore ircam ; direction, Martin Matalon.
Théâtre du Châtelet, grande salle : 31-V : Thierry De Mey (né en 1956) : La Valse, film sur la musique de Maurice Ravel ; Thierry de Mey, Xavier Meeus, montage du film La Valse en temps réel ; Simon Steen-Andersen (né en 1976) : Trio, pour orchestre, chœur, big band et vidéo. Orchestre de Paris ; direction Brad Lubman ; Les Métaboles, direction Simon Proust ; Big Band du Conservatoire national supérieur de musique de Paris ; direction Léo Margue ; Dionysios Papanikolaou, collaboration informatique musicale Ircam ; Jérémie Bourgogne, diffusion sonore Ircam.

Action! C'est le mot d'ordre lancé par Franck Madlener pour l'édition 2024 du festival de l' dont les deux concerts d'ouverture consacrent le lien de la musique de création avec le cinéma.

Côté ciné-concert, le compositeur argentin n'en est pas à son premier essai. En 1995, l'aventure de Metropolis de Fritz Lang pour lequel il écrit une partition de 2h30 de musique, « fonde », selon ses propres termes, son métier de compositeur. Après la série des Buñuel, Lubitsch et autres Buster Keaton, c'est la virtuosité et l'humour de Chaplin qu'il célèbre dans son projet Chaplin Factory, nouvelle commande de l' pour une ouverture très joyeuse de 2024.

Matalon a choisi trois moyens métrages d'une petite demi-heure chacun : The Immigrant de 1917 – « parce qu'il est très actuel », souligne le compositeur – où tourne avec l'actrice Edna Purviance. Après roulis et tangage sur le paquebot qui le conduit aux États-Unis, Chaplin, sans le sou, retrouve la jeune femme qu'il a rencontrée durant son voyage… The vagabond (1916), avec la même partenaire, fait apparaître, pour la première fois, des éléments mélodramatiques dans l'un de ses films. Enfin, Behind the screen (1916), qui se passe dans un studio de cinéma où travaillent David (alias Chaplin), un machiniste, et Goliath, son superviseur, enchaîne les gags et fait voltiger les tartes à la crème. Dans Chaplin Factory, les trois films s'enchaînent pratiquement sans pause (1h15 de spectacle), convoquant sur le plateau un accordéoniste et deux percussionnistes (Trio K/D/M) auxquels se joignent un trombone, une clarinette, un violoncelle et une chanteuse, tous sous la direction du compositeur. L'électronique (Étienne Démoulin) est également à l'œuvre ainsi qu'un travail de spatialisation qui prend toute son envergure dans la grande salle du Centre Pompidou.

Fort de son expérience et d'une habileté dont il a le secret, Matalon sait d'emblée instaurer l'équilibre entre le flux des images et l'intensité d'une musique qui contrepointe le film sans chercher la synchronie et en évitant toute illustration. Le compositeur parle de « points de rencontre » avec les images de manière à laisser les deux strates, sonore et visuelle, dans une certaine autonomie : « L'absence de paroles donne à la musique une plus grande importance et libère l'espace sonore », souligne-t-il très justement. Happé par l'image et la frénésie du mouvement qui déclenche le rire, on n'est pas moins en phase avec ce qui se passe sur la scène, le choix d'une matière (grain du violoncelle d'Ingrid Schoenlaub, pierres entrechoqués), d'une couleur ( lissage et résonance du vibraphone, crépitement du xylophone d'Aurélien Gignoux et Emil Kuyumcuyan), ou encore d'un solo instrumental (le trombone bouché de Louise Ognois, les slaps et traits vertigineux de la clarinette de Nicolas Fargeix) ; tandis que l'accordéon (Anthony Millet) assume son rôle d'interface entre l'électronique et la source instrumentale. Les couleurs et les tempi fluctuent en fonction des séquences, avec des relances énergétiques et cette conscience des points de montage du film auxquels se réfère le compositeur, qui lui permettent « de se libérer des images ». Assez rare sur la scène du ciné-concert, la voix de Clara Barbier Serrano apporte sa sensualité et sa propre fantaisie tout en soulignant la présence féminine d'Edna Purviance.

Le spectacle est galvanisant et la performance des instrumentistes impressionnante sous le geste cursif du chef (avec un clic dans l'oreille) soumis au défilement implacable des images et du temps.

Danser La Valse de Ravel

C'est précisément cette situation contraignante que , compositeur et cinéaste, veut éviter à à la tête de l' dans le spectacle audiovisuel du lendemain, au Théâtre du Châtelet où s'ouvre officiellement , le « festival du printemps à Paris » comme le qualifie son directeur Frank Madlener.

Proche de la danse et passionné par l'écriture du mouvement, poursuit son projet original de pièces orchestrales accompagnées de film de création en collaboration avec des chorégraphes ; en inversant la donne du ciné-concert dans la mesure où c'est l'image qui suit l'orchestre via les ressorts de la technologie (montage en temps réel), redonnant toute la liberté au geste du chef et au temps de la musique.

Son choix s'est porté sur La Valse (1920) de Maurice Ravel, une commande de Serge Diaghilev pour les Ballets russes que le directeur de la compagnie refuse de monter au motif que la complexité de la musique est incompatible avec la danse. Relevant le défi, est allé filmer la chorégraphie de Thomas Hauert et sa compagnie Zoo évoluant en plein air sur les toits de Bruxelles. Les danseurs défendent le concept de « l'instant composition », sorte de « free dance » basée sur l'improvisation régie par certains codes. C'est l'image des essaims d'oiseaux qui guide le mouvement collectif des corps, sans le support d'une écriture préalable et avec son lot d'imprévisibilité et de relâchement dans le geste.

Côté musique, dans une acoustique certes peu flatteuse, le geste athlétique du chef américain ne fait pas merveille au sein d'un plutôt compact qui ne rend pas justice au raffinement et à la séduction des timbres de Ravel ni à la fluidité d'un mouvement anticipant le tourbillon final. La musique qui ne décolle pas invite guère à lever les yeux vers les images et la projection triscopique (trois écrans) prévue par le réalisateur. Un tel visionnage diversifie certes l'angle de vue des danseurs mais n'en contredit pas moins la linéarité du flux. Pas sûr que l'œil et l'oreille puissent « s'entendre » dans ces conditions! Diaghilev avait sans doute raison : « La Valse est un chef-d'œuvre, mais ce n'est pas un ballet. C'est la peinture d'un ballet ».

Recycler de l'existant

 Très attendu, comme chaque création parisienne du Danois , Trio, pour orchestre symphonique, big band, chœur et vidéo rejoint le concept andersenien de musique audiovisuelle, affinant toujours davantage le rapport entre l'image projetée sur grand écran et la performance live sur le plateau. et l' partagent la scène avec à la tête du Big Band du Conservatoire national de musique de Paris et dirigeant quant à lui l'. Créé à Donaueschingen pour fêter les 20 ans de la SWR, Trio nous plonge dans les archives de la Radio-Télévision allemande comme l'a fait lui-même Steen-Andersen lors de la préparation de son spectacle, compilant 400 heures de visionnage durant un an de recherche pour réaliser sa pièce de 50 minutes.

Sur l'écran, l'image du vieux gramophone qui va restituer le son d'époque, et le bruit du projecteur d'antan, « on and off », donnent le ton. Steen-Andersen aime travailler avec du matériau préexistant, maniant en virtuose ses « objets trouvés » sortis de leur contexte : un dernier et vibrant accord d'orchestre, le geste musclé d'une icône de la direction (Carlos Kleiber ou encore Sergiu Celibidache), une phrase prélevée d'une émission télévisée, le son d'une trompette de jazz jouant dans une bassine d'eau, etc. Ce sont autant d'échantillons sélectionnés, samples souvent bruyants et ressassés que le compositeur monte et fait se succéder à un rythme effréné. Revient aux trois phalanges sur la scène d'abonder (avec du son neuf) et d'interagir avec la vidéo dans une ambiguïté toujours recherchée entre le réel et le virtuel. L'imagination est à l'œuvre et l'humour toujours en filigrane. Ainsi voit-on les chanteurs sur le plateau placer une feuille d'aluminium devant leur visage pour faire entendre les grésillements et autres parasites des vieux appareils. Le son circule, de l'écran à la scène et d'une formation à l'autre, dessinant au final, via le relais acrobatique des quatre sources sonores, une Klangfarbenmelodie (mélodie de timbres) géante et haute en couleur à laquelle se prête chacune des phalanges avec réactivité et enthousiasme. Un phénomène d'accélération et de resserrement dans le collage se fait sentir au trois quarts de l'œuvre, Steen-Andersen menant son processus jusqu'à épuisement, au risque de lasser son auditoire… avec cette extravagance et ce même débordement ressentis dans son opéra Don Giovanni aux enfers créé à Strasbourg en septembre dernier.

Ainsi vont l'imaginaire hors norme de cet artiste sonore et sa manière très singulière (loin d'être dérisoire et irrespectueuse) d'embrasser et de célébrer l'héritage en le faisant revivre autrement.

Crédit photographique : © Quentin Chevrier / Théâtre du Châtelet

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Théâtre du Châtelet, grande salle : 31-V : Thierry De Mey (né en 1956) : La Valse, film sur la musique de Maurice Ravel ; Thierry de Mey, Xavier Meeus, montage du film La Valse en temps réel ; Simon Steen-Andersen (né en 1976) : Trio, pour orchestre, chœur, big band et vidéo. Orchestre de Paris ; direction Brad Lubman ; Les Métaboles, direction Simon Proust ; Big Band du Conservatoire national supérieur de musique de Paris ; direction Léo Margue ; Dionysios Papanikolaou, collaboration informatique musicale Ircam ; Jérémie Bourgogne, diffusion sonore Ircam.

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