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Clap de fin pour le studio-opéra de Charleroi avec un hilarant et inventif Comte Ory

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Charleroi. Palais des Beaux-Arts. Le Hangar. 26-V-2024. Gioacchino Rossini (1792-1868) : Le Comte Ory, opéra-bouffe en deux actes sur un livret en français d’Eugène Scribe et Charles Gaspard Delestre-Poirson, adapté par François de Carpentries avec des interpolations dues à François Truffaut, Pierre Caron de Beaumarchais et Érasme, et dans une version musicale chambriste de Christophe Delporte. Mise en scène : Karine Van Hercke, assistée de Robin Bolle. Costumes : Valentin Fagot, avec le concours de l’Opéra Royal de Wallonie. Création des lumières et surtitres : François de Carpentries. Avec : Sara Geeraerts : la Comtesse Adèle ; Ofri Gross : Le Comte Ory ; Dorine Doneux : Ragonde ; Liss Wallisch : Isolier ; Gustave Harmegnies : Raimbaud ; Nicolas Roy : le Gouverneur ; Noémie Rochez : Alice. Maryana Kozyreva, piano ; Christophe Delporte, accordéon ; Isabelle Chardon : violon ; Eric Chardon : violoncelle ; Adrien Tyberghien : contrebasse. Marc Laho et Eric Godon : coaches vocaux. Direction musicale d’ensemble : Cécile Bolle

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Le Studio Lyrique du Palais des Beaux-Arts de Charleroi tire sa révérence, après huit années de succès, avec une très spirituelle production mêlant textes et musique axée autour du Comte Ory, l'opéra bouffe de Rossini. 

Let's make an opera ! comme le titrait un ouvrage bien connu de Benjamin Britten ! En 2017, le palais des Beaux Arts de Charleroi ouvrait son studio lyrique sous la direction de la soprano, pédagogue et chef de chœur et du baryton Marcel Vanaud et  associait, pour ce projet, instrumentistes professionnels, jeunes solistes débutants ou encore étudiants de la communauté Wallonie-Bruxelles et chœurs semi-professionnels locaux. La metteuse en scène rejoignait l'aventure voici cinq ans. Il s'agissa)t là de faire revivre une tradition certaine du chant lyrique, de l'opéra, l'opérette ou même de la comédie musicale au Pays Noir, par une production annuelle de bon, voire d'excellent niveau.

Cette année, pour trois représentations c'est le très spirituel Comte Ory, le pénultième et finalement assez peu connu opéra de , écrit sur un livret français bouffe d'Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson, qui a été choisi. L'argument est simple : en un treizième siècle de pacotille, le Comte Ory, coureur de jupons notoire et vite repéré, cherche par tous les moyens à conquérir la Comtesse Adèle dont le mari est parti en Croisade. Les plans du coquin seront déjoués à deux reprises par la belle, son entourage et le page du sieur, Isolier, follement épris de la noble dame. Mais tout finira par rentrer dans l'ordre des conventions et la morale sera sauve aux retours des Croisés.

Les deux actes  jouent par  le déguisement tant vestimentaire que vocal, sur l'usurpation ou la quête d'identité, pour livrer un portrait au vitriol à la fois des travers de la gent masculine (celui d'un sulfureux et impénitent pseudo-séducteur deux fois ridiculisé ) et d'une société déréglée par une guerre des sexes latente et une perte de repères et d'identités. , associé comme à l'habitude à , a dès lors savamment brodé un florilège de textes, monologues disruptifs (issus de L'homme qui aimait les femmes de Truffaut ou du Barbier de Séville de Beaumarchais), réflexions philosophiques (extrait de L'Éloge de la Folie d'Érasme), ou répliques issues de sa propre fantaisie lyrique les Filles d'Olympe, autant de morceaux d'anthologie adéquatement distribués à chaque personnage principal, pour pimenter l'intrigue et rétrospectivement en actualiser le propos, à l'ère de la théorie des genres, ou des scandales post-me too. Après tout, l'œuvre brouille à l'envi les cartes : le Comte ne se déguise-t-il pas en prédicateur puis… en religieuse… ? Son page Isolier amoureux de la Comtesse est un rôle travesti dévolu à une mezzo-soprano. Et la séance de séduction où le Comte confond page et Comtesse, au hasard des échanges de costumes et de l'obscurité, en devient presque ce soir une parodie de ménage à trois !

La mise en scène de Karine Vanhercke, simple et économe (les moyens financiers consentis ne sont pas énormes), n'use que de quelques éléments bien pensés et de jeux d'ombres pour planter le décor, sans jamais tomber dans la platitude ou la facilité. Elle évoque tant  les conventions de l'époque romantique (les costumes), que celles d'un  moyen-âge historié qu'elle brocarde par le truchement d'un humour déjanté (le final de l'Acte I où l'opposition hommes-femmes culmine en une hilarante séance de tir à la corde, ou à l'Acte II ces vraies-fausses religieuses nimbées d'inénarrables coiffes, investissant le château à vélo ou trottinette, surprenant les dames de compagnie en improbables tenues de nuit, et plus loin encore une mémorable scène de soulographie monacale rondement menée au sortir du cellier). Cette très efficace mise en espace rejoint l'esprit de la pétillante partition où Rossini tord avec un humour ravageur le cou à tous les poncifs et mécanismes de l'opéra belcantiste .

Le Hangar, l'annexe culturelle récemment acquise par le Palais des Beaux-Arts, n'offre pas vraiment l'espace pour un orchestre de fosse. Mais point de simple réduction confiée au seul clavier ! L'accordéoniste a rédigé de la virevoltante partition une brillante adaptation chambriste. Il ajoute tout le piment, la variété de touche et la masse harmonique de son instrument à un petit ensemble constitué du piano subtilement coloré de Maryana Kosyreva et de trois musiciens à cordes (très exactes et impliquées – Isabelle et , au violon et violoncelle sans oublier le contrebassiste , ses habituels partenaires au sein de l'ensemble Astoria) : l'arrangement est globalement tonique et imparable, et une ouverture pétaradante à souhait donne le ton d'une représentation placée sous le signe de la bonne humeur décontractée des jeunes chanteurs enthousiastes, cornaqués bien à-propos par Marc Laho et Eric Godon.

Toutefois, la distribution se révèle assez inégale. Le ténor trentenaire israélien Osri Gross incarne scéniquement le rôle-titre avec toute  la félonie et l'arrivisme vénal voulus, mais sa voix, timbriquement assez idoine pour ce répertoire belcantiste n'a pas pour l'heure l'aisance requise dans le registre suraigu, au gré de notes de passage parfois difficiles : la justesse demeure par moment assez approximative au fil des roulades les plus virtuoses.
, jeune chanteur récemment engagé au chœur de Chambre de Namur, se révèle en Raimbaud, l'acolyte persifleur du Comte, aussi truculent que convaincant, avec une belle présence vocale un rien timorée au fil des célèbres couplets « Dans ce lieu solitaire », alors que la toute jeune  basse (vingt et un ans à peine, en cours de formation au Conservatoire de Bruxelles dans la classe de Jean François Rouchon) a le temps d'apporter à son rôle un peu plus d'autorité et de noblesse en Gouverneur. Il fait déjà preuve d'une diction française assez exemplaire.

Les rôles féminins, nous ont paru répartis avec beaucoup plus d'à-propos. Il s'agit de jeunes recrues issues ou toujours en formation au sein de l'Institut de musique et de Pédagogie de Namur (IMEP) auprès de Benoît Giaux, Françoise Viatour ou Ana Camelia Stefanescu. La toute jeune , est en Comtesse Adèle d'une confondante aisance vocale et brûle déjà scéniquement les planches; elle assume déjà avec une assez conquérante maturité les ambivalences du rôle, notamment au fil du grand air  « En proie à la tristesse » d'anthologie. Voilà assurément un nom à retenir, et une très belle voix en devenir. En Ragonde, la mezzo-soprano se révèle un rien plus effacée mais nimbe toutes ses interventions plus ponctuelles de son timbre somptueux – notamment un grave aussi capiteux que mordoré. La Luxembourgeoise Lisa Walisch, voix très homogène d'une conduite  ductile, dans le rôle travesti d'Isolier, cultive un beau sens de la ligne quasi mozartien, et fait de ce page énamouré une sorte de frère d'âme du Cherubino des Nozze di Figaro. Mentionnons encore les brèves interventions assez probantes en Alice de .

Les chœurs nous ont semblé quelque peu en retrait : à des pupitres d'hommes parfois quasi rabelaisiens et d'une vaillance vocale un peu univoque répondent les voix de femmes bien moins homogènes et parfois fatiguées. Mais baste! L'essentiel est bien entendu ailleurs : et un public conquis réserve un accueil chaleureux à cette assez étonnante réussite.

Las ! Au baisser de rideau, annonce non sans émotion que c'est là la dernière représentation du Studio-opéra carolorégien, les autorités du Palais des Beaux-Arts de Charleroi ayant d'autres priorités budgétaires en ces temps difficiles. Il reste à espérer que, compte tenu d'un succès public jamais démenti, ce sympathique et probant projet pédagogique, assez unique en région wallonne, mené de concert avec l'Imep ou le Conservatoire de Bruxelles, pourra dans un proche avenir rebondir en un autre lieu ou auprès d'autres instances prêtes à l'accueillir pour de nouvelles et fructueuses aventures.

Crédits photographiques : vues d'ensemble, ensemble instrumental,  et Liss Walfisch © / PBA Charleroi.

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