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À Genève, Elsa Dreisig illumine le Roberto Devereux de Donizetti

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Genève. Grand Théâtre. 31-V-2024. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Maria Stuarda, tragédie lyrique en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après la pièce «Elisabeth d’Angleterre» de Jacques-François Ancelot (1794-1854). Mise en scène : Mariame Clément. Scénographie et costumes : Julia Hansen. Lumières : Ulrik Gad. Dramaturgie et vidéo : Clara Pons. Avec Elsa Dressing (Elisabetta, Reine d’Angleterre) ; Stéphanie d’Oustrac (Sara, Duchesse de Nottingham) ; Eduardo Rocha (Roberto Devereux, Comte d’Essex) ; Nicola Alaimo (Lord Duc de Nottingham) ; Luca Bernard (Lord Cecil) ; William Meinert (Sir Gualtiero Raleigh) ; Ena Pongrac (Un page). Chœur du Grand Théâtre de Genève (Direction : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Stefano Montanari.

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Après Anna Bolena en octobre 2021, Maria Stuarda en décembre 2022, le Grand Théâtre de Genève clôt sa saga élisabethaine de Donizetti avec un Roberto Devereux dominé par une Elsa Dreisig totalement en prise avec le personnage de cette Elisabeth d'Angleterre vieillissante.

Aidée par une mise en scène faisant fi des inutilités scéniques dont nous avait abreuvé lors des productions d'Anna Bolena et de Maria Stuarda, Elsa Dreisig (Elisabetta, Reine d'Angleterre) délivre un chant d'une force et d'une solidité que nous ne lui avions pas connue jusqu'ici. Comme si un déclic s'était opéré en elle, elle intègre dans ce rôle les critères du chant belcantiste de belle manière. Alors que dans les deux précédents épisodes, elle nous était parue dans la retenue, timide, voire timorée, cette partition nous la montre en pleine possession des moyens vocaux nécessaires à l'expression de cette musique. Dans le même air, par la modulation de son chant, elle joint admirablement la douceur expressive de son «L'amor suo mi fe beata» à la fureur triste de son «Ah ! Se fui tradita». Quand bien même la fatigue de ce harassant rôle se profile en fin de soirée, son «Vivi, ingrato, a lei d'accanto» reste chargé de l'émotion d'une grande artiste. En résumé, sa prestation reste d'autant plus remarquable qu'elle a vaincu l'empreinte paralysante de ses illustres prédécesseures. Les premiers enregistrements de Roberto Devereux datent de 1964, avec la soprano . Dès l'année suivante, en fera son cheval de bataille pendant une quinzaine d'années se partageant la gloire du rôle avec la soprano . Si les années 80 ont vu Katia Ricciarelli et Raïna Kabaïvanska le reprendre, la décennie suivante a fait d'Edita Gruberova l'héroïne incontestée de cet opéra. A Genève, la soprano française s'est élevée au niveau de ces légendes. Certes, Elsa Dreisig n'a pas encore toute l'agilité d'une ou d'une mais elle a prouvé qu'elle pouvait devenir une figure incontournable non seulement de ce rôle, mais du bel canto. À noter encore que seule était plus jeune (de deux ans) qu'Elsa Dreisig quand elle a créé le rôle. Edita Gruberova ne l'abordera qu'à l'âge de 44 ans ! Ainsi saisit-on mieux la valeur de l'investissement artistique de la soprano française.


Sans ostentation aucune, elle domine si naturellement le plateau que les autres protagonistes paraissent sinon bien pâles, du moins pas en phase avec le style belcantiste. Faisons tout de même exception pour le ténor (Roberto Devereux, Comte d'Essex) qui, s'il manque de l'autorité nécessaire au personnage du rôle-titre, se montre néanmoins capable de beaux moments quand bien même son chant nous semble plus rossinien que donizettien. On aim encore le timbre et la souplesse vocale de (Sir Gualtiero Raleigh).

La mezzo-soprano Stéphanie d'Oustrac (Sara, Duchesse de Nottingham) est très décevante. Son chant à la diction défaillante ne s'assimile jamais aux critères du bel canto. L'esprit qui anime sa prestation s'apparente à un chant vériste, lançant des notes à la cantonade sans jamais soigner sa ligne de chant. Dommage, l'occasion était belle de s'approcher de l'expressivité belcantiste, les duos avec la Reine Elisabeth offrant un climat propice au beau chant. Même remarque pour le baryton (Lord Duc de Nottingham) dont l'imposant volume sonore écrase la ligne de chant. Donizetti n'est pas Verdi. Donizetti demande de la finesse, de la rondeur, de l'agilité. Chez lui, la colère n'est jamais hurlée, jamais brutale, elle est empreinte de contenance à l'image de la noblesse des personnages historiques qu'il met en musique.

Dans ce troisième volet de la saga d'Elisabeth 1ère, raconte avec clarté l'intrigue de cet opéra. Si elle a abandonné avec bonheur certaines incongruités de ses précédentes mises en scène (ces oiseaux géants, ce cerf encombrant), on pourra regretter qu'elle se laisse aller à des facilités de direction d'acteurs, comme l'excessive scène de ménage entre le Duc de Nottingham et sa femme. Point n'est nécessaire qu'il balance, telle une brute de cirque, une chaise à travers le décor pour signifier sa colère ! Les mots, la musique et le chant agrémentés de quelques geste suffisent à crédibiliser l'affaire. Quand on connait les qualités d'acteur du Chœur de Grand Théâtre de Genève, on peut regretter qu'il soit scéniquement aussi peu utilisé. Fort heureusement, sa musicalité reste son atout majeur. Et pourquoi avoir costumés le chœur et les personnages de vêtements actuels – à l'exception d'Elisabeth 1ère qui restera en atours royaux ? Choix inutile n'apportant malheureusement rien au discours scénique.

Dans la fosse, l' nous apparait bien timide sous la baguette de qui, malgré qu'il a déjà dirigé cet orchestre pour les représentations d'Anna Bolena en 2021 ne semble pas avoir pris la mesure de la salle du Grand Théâtre de Genève pour offrir une musique plus enveloppante et plus présente.

A noter, qu'en dehors des représentations de ce troisième et dernier volet de la tragédie d'Elisabeth d'Angleterre, le Grand Théâtre de Genève a programmé la reprise d'Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux dans deux cycles réunis sous le titre de Trilogie Tudors à compter du 18 juin.

Crédits photographiques : GTG © Magali Dougados

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Genève. Grand Théâtre. 31-V-2024. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Maria Stuarda, tragédie lyrique en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après la pièce «Elisabeth d’Angleterre» de Jacques-François Ancelot (1794-1854). Mise en scène : Mariame Clément. Scénographie et costumes : Julia Hansen. Lumières : Ulrik Gad. Dramaturgie et vidéo : Clara Pons. Avec Elsa Dressing (Elisabetta, Reine d’Angleterre) ; Stéphanie d’Oustrac (Sara, Duchesse de Nottingham) ; Eduardo Rocha (Roberto Devereux, Comte d’Essex) ; Nicola Alaimo (Lord Duc de Nottingham) ; Luca Bernard (Lord Cecil) ; William Meinert (Sir Gualtiero Raleigh) ; Ena Pongrac (Un page). Chœur du Grand Théâtre de Genève (Direction : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Stefano Montanari.

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