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Rachmaninov à deux pianos avec Daniil Trifonov et Sergeï Babayan : séduction et interrogations

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« Rachmaninov for two ». Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Adagio de la Symphonie n° 2 (transcription pour 2 pianos de Daniil Trifonov). Suites pour deux pianos n° 1 op.5 et n° 2 op. 17. Danses symphoniques op. 45. Sergeï Babayan et Daniil Trifonov, pianos. 2 CD Deutsche Grammophon. Enregistrés au Konzerthaus de Vienne entre mai et août 2023. Notice de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 60:25

 

Deux maîtres du claviers, et – le premier étant le disciple du second – jouent régulièrement ce programme en récital. Si les deux Suites et Danses symphoniques s'inscrivent comme de nouvelles références, la transcription de l'Adagio de la Symphonie n° 2 de Rachmaninov nous laisse sur notre faim.

Commençons par ce qui nous interroge. L'Adagio de la Symphonie n° 2 arrangé pour deux pianos par Trifonov est une affiche qui ne tient pas toutes ses promesses. Dès les premières mesures, on ressent un certain malaise : cela part en tous sens et la partition parait écrasée de notes comme si Trifonov avait voulu glisser tout l'orchestre sous 176 touches de piano. S'est-il inspiré du modèle des Danses Symphoniques que Rachmaninov sut transcrire comme le laisse suggérer le livret peu disert, toutefois, sur cette réalisation ? Est-il présomptueux d'écrire que Trifonov a réalisé ce qu'il fallait peut-être éviter ? En effet, l'art de la transcription, du passage de l'orchestre au piano consiste d'abord à réduire au maximum les notes ou, plus exactement à déterminer celles qui portent la structure harmonique, mélodique et rythmique. Ici, règne l'absence même de hiérarchisation des pupitres, inaudible sous un empilement de voix à la limite de la saturation, de l'écœurement (à partir de 4'20'' par exemple), comme s'il fallait compenser l'absence du legato de soixante instruments à cordes. Un défi inaccessible au clavier. Trifonov s'est substitué à Rachmaninov en composant une œuvre en “concurrence” avec la partition originale. De fait, il prive sa réalisation de la valeur qui compte pour un piano dans ce répertoire : celle de l'illusion. L'allègement de la polyphonie n'amoindrit pas nécessairement la puissance expressive et la palette des timbres. L'essentiel est de privilégier la lumière et la sensualité de l'une des plus belles mélodies de toute l'histoire de la musique russe. La question se pose : est-ce que cette symphonie et ce mouvement en particulier peuvent se transcrire à deux pianos ? On peut, a priori, en douter (il existe, d'ailleurs, plusieurs éditions pour piano seul et certaines de qualité). Dans la présente version, le thème ascendant longuement maintenu, travaillé sur un principe cyclique s'épuise en vain tant il s'encombre de digressions virtuoses. Qui plus est, l'enregistrement est noyé sous les pédales de deux instruments, un Steinway et un Bösendorfer parfaitement complémentaires.

Les enregistrements des deux Suites et des Danses Symphoniques sont pléthores. Les deux instruments se grisent de leur vélocité, repoussant la limite des tempi notamment dans les deux dernières Danses. Sommes-nous plus admiratifs que touchés ? Il faut des moyens techniques considérables pour maîtriser ainsi tous les paramètres des huit pièces des deux Suites et plus encore, éviter toute trivialité pour s'échapper vers les grands espaces du lyrisme russe. La Symphonie n° 2 tout comme le Concerto pour piano n° 2 sont en trame dans ces pages culminant avec la Romance de la Suite n° 2 que Trifonov et Babayan jouent avec autant de clarté que de pudeur. Rachmaninov est âgé de 20 ans lorsqu'il compose la Suite n° 1 et lui donne le sous-titre de Fantaisie-Tableaux pour deux pianos. Cette page étonnante d'agilité et de finesse pour un si jeune compositeur ne masque pas le legs de Franz Liszt. Remarquablement enregistrée, elle restitue l'inspiration poétique de ses sources (Lermontov, Byron, Tioutchev et Khomiakov). Il suffit d'écouter la deuxième pièce La Nuit… l'amour dont la suggestion du battement des ailes d'un rossignol accompagne la rencontre d'un couple d'amoureux. Ce sont deux pianos qui chantent à l'unisson, entre nostalgie de la poétique russe et du culte orthodoxe magnifié avec Pâques.

Les Danses Symphoniques faillirent s'intituler Danses fantastiques et c'est exactement ce titre auquel fait songer la présente interprétation qui réalise le grand écart entre l'influence américaine et la nostalgie de la Russie. L'énergie dévastatrice est canalisée de manière extraordinaire jusque dans le mal-être qui culmine dans la deuxième Danse. A l'orchestre, c'est le Dies Irae qui surgit dans la dernière pièce, les pupitres se heurtant les uns aux autres pour se conclure dans un adieu au postromantisme. Mais au piano, la violence exacerbée, les “gifles” sonores font songer aux Rhapsodies hongroises de Liszt. Rachmaninov affirma n'avoir aucune préférence entre les deux versions de l'œuvre. Trifonov et Babayan nous en proposent une nouvelle référence.

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« Rachmaninov for two ». Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Adagio de la Symphonie n° 2 (transcription pour 2 pianos de Daniil Trifonov). Suites pour deux pianos n° 1 op.5 et n° 2 op. 17. Danses symphoniques op. 45. Sergeï Babayan et Daniil Trifonov, pianos. 2 CD Deutsche Grammophon. Enregistrés au Konzerthaus de Vienne entre mai et août 2023. Notice de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 60:25

 
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