Marie Jacquot, conquérante dans Strauss et Brahms face à la Staatskapelle de Dresde
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 24-V-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan, poème symphonique op. 20 ; Till Eulenspiegel, poème symphonique op. 28 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98. Sächsische Staatskapelle Dresden, direction : Marie Jacquot
Remplaçant Christian Thielemann initialement prévu pour cette tournée de la Staatskapelle de Dresde qui conduira l'orchestre à Essen, Cologne et Vienne, Marie Jacquot confirme la légitimité de son irrésistible ascension face à la prestigieuse phalange saxonne dans un programme taillé sur mesures, associant deux poèmes symphoniques de Richard Strauss (Don Juan et Till l'espiègle) et la Symphonie n° 4 de Johannes Brahms.
Souffrant, Christian Thielemann qui arrive à la fin de son contrat (non renouvelé), n'honorera pas de sa présence ce concert de la Sächsische Staatskapelle Dresden dont il est le chef principal depuis 2012, remplacé au pied levé par la jeune cheffe française, Marie Jacquot, lauréate des dernières Victoires de la Musique classique 2024.
« Le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres… » On sait que de nombreuses prestigieuses carrières ont débuté par le remplacement d'un grand chef au pied levé. Acceptons-en l'augure concernant la jeune cheffe, encore peu connue en France. Tromboniste de formation, attachée au répertoire lyrique et symphonique, Marie Jacquot a étudié la direction d'orchestre à Vienne et à Weimar. Première cheffe invitée des Wiener Symphoniker, elle prendra prochainement la direction du Théâtre royal danois de Copenhague avant d'assumer la direction du WDR Sinfonieorchester.
Poème symphonique inspiré de Lenau dont Strauss ne retint que les thèmes du Désir, de la Possession et du Désespoir, Don Juan (1889) ouvre la soirée, pénalisé d'emblée par l'acoustique délicate du Théâtre des Champs-Élysées qui supporte mal les grands effectifs orchestraux fortement cuivrés. Malgré une interprétation haletante portée par une dynamique conquérante, alternant moments de tension et des épisodes plus lyriques d'une sensualité prégnante, Marie Jacquot peine à convaincre totalement par sa lecture un peu confuse de cette partition qui impressionne toutefois par son élan, ses contrastes rythmiques et dynamiques, ses couleurs et la beauté de ses thèmes. On retiendra tout particulièrement les différents hommages à la féminité : prestations du violon solo, magnifique cantilène élégiaque du hautbois et une petite harmonie voluptueuse (flute et clarinette) avant que le phrasé ne se creuse pour conduire à l'agonie finale du héros soulignée, dans un climat lugubre, par le cor anglais et le pupitre d'altos.
Till Eulenspiegel (1895) s'inspire quant à lui d'un personnage médiéval historique que Strauss réduit à une sorte de fripon, farceur et provocateur qui finira ses jours sur le gibet ; épopée tragi-comique où tout est prétexte à une formidable joute orchestrale dont on suit les nombreuses péripéties très théâtralisées. Mettant en avant ses talents de conteuse, servie par un orchestre superlatif et une orchestration virtuose, Marie Jacquot nous en livre une lecture plus satisfaisante, très narrative, plus claire dans sa mise en place, plus transparente dans sa texture et parfaitement équilibrée qui laisse chanter les pupitres de l'orchestre (cordes somptueuses, petite harmonie rutilante, cor solo et petite clarinette irréprochables) sur une dynamique soutenue teintée d'attente et d'urgence, fortement contrastée et haute en couleurs, précédant une coda funeste qui fait la part belle aux sonorités graves (trombones, basson, cors).
La Quatrième symphonie (1885) de Brahms complète et achève ce magnifique programme germanique. Dernière des quatre symphonies, œuvre aux couleurs automnales, tout à la fois ardente et imprégnée de sagesse, tourmentée et fougueuse, elle se décline « classiquement » en quatre mouvements dont Marie Jacquot donne une interprétation d'une belle facture : un Allegro initial plein de charme où l'on apprécie l'ampleur sonore des cordes et l'acuité des vents (petite harmonie, cor et basson) sur un phrasé clair, riche en nuances rythmiques et dynamiques ; un Andante, annoncé par le cor, qui met en avant le lyrisme des cordes ; un Allegro giocoso jubilatoire et énergique scandé par les timbales et des fanfares de cuivres bien contenues, interrompu en son mitan par un épisode plus statique et mystérieux (cor) ; un Allegro passionato final, sous forme de chaconne, enchainant pas moins de trente-cinq variations sur un thème emprunté à J. S Bach. Exercice de style à l'orchestration sans cesse renouvelée (flute, petite harmonie, choral de cuivres) mais aussi exercice de direction, celle-ci manquant justement d'un peu de passion et de tension pour nous tenir totalement en haleine…
Crédit photographique : © Werner Kmetitsch
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