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A Liège, I Capuleti e Montecchi de Bellini, superbement historiés et distribués

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Liège- Opéra Royal de Wallonie. 19-V-2024. Vincenzo Bellini (1801-1835) : I Capuleti e I Montecchi, opéra en deux actes et six tableaux sur un livret de Felice Romani d’après Matthieu Bandello et Luigi da Porto. Mise en scène et décors : Allex Aguilera. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières : Luis Perdiguero. Videos ; Arnaud Pottier. Avec : Rosa Feola : Giulietta; Rafaella Lupinacci : Romeo; Maxim Mironov : Tebaldo; Roberto Lorenzi : Capellio; Adolfo Corrado : Lorenzo. Choeurs préparés – par Denis Segond- et Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège , Maurizio Benini, direction musicale.

L'Opéra Royal de Wallonie à Liège propose une nouvelle production d'I Capuleti e i Montecchi de : ce spectacle total conjuguant efficacité subtilement historiée et réalisation musicale convaincante est avant tout magnifié par une superbe distribution vocale.

I Capuleti e i Montecchi  de , opéra un peu mal-aimé en retrait des Norma et autres Puritani  est loin d'être le premier (ou le dernier !) ouvrage lyrique inspiré par la légende de Roméo et Juliette. Toutefois, l'originalité du livret de Felice Romani est d'écarter la mouture shakespearienne plus tardive du drame pour en revenir à ses sources mêmes : les nouvelles de Matteo Bandello ou Luigi da Porto. L'argument en est donc recentré sur l'opposition féroce entre Guelfes (les Capulet) et Gibelins (les Montaigu) – comme l'indique le titre de l'ouvrage – dont le malheureux destin des amants n'est « qu' »un dégât collatéral. Point de personnages ou d'intrigues secondaires : tout est recentré autour de cinq rôles bien typés et registrés, outre de nombreux et courtes interventions des chœurs, ponctuant l'ouvrage et quasiment exclusivement tous dévolus aux pupitres masculins.

Roméo demeure ce fringant ambassadeur venu négocier une improbable paix au centre de Vérone. Il est déjà amoureusement lié à Juliette dont il a tué malencontreusement le frère au cours d'un combat, au grand dam du père chef de clan Capello. Ici, pas de scène de bal ou de séduction mais une efflorescente longue et sublime scène d'amour occupant tout le second tableau du premier acte. Tebaldo (transposé en Tybalt chez Shakespeare) est le fiancé officiel promis à Juliette et donc détesté à mots couverts par la belle tenaillée par son sens du devoir filial. Quant à Lorenzo, loin d'être le Frère débonnaire et réconciliateur du drame anglais, il est un médecin intrigant, véritable agent double permettant les improbables ou difficiles rencontres entre amants tout en pourvoyant les fatals poisons. La partition de Bellini, si elle obéit aux canons de l'opéra belcantiste, par sa fraîcheur de ton, son invention mélodique et son sens de la narration annonce clairement certains traits mélodiques ou certains tics d'orchestrations des premiers opéras du jeune Verdi.

envisage l'action au sein d'un décor unique et très malléable, sous les lumières très sombres mais superbes de : fin connaisseur de la voix, il veille, dans l'espace scénique assez profond  de la scène liégeoise eu égard à sa salle à l'Italienne, à positionner idéalement les principaux protagonistes près du proscénium pour un idéal équilibre sonore entre fosse et plateau. Totalement libérés, les solistes ne peuvent que mieux s'exprimer !

Les murailles médiévales figurées latéralement en vis-à-vis – telles l'opposition des deux familles – peuvent aussi servir à l'occasion d'écran pour la projection d'habiles et oniriques vidéos signées ; un bloc monolithique, au cœur du plateau ovoïde aux degrés et à la balustrade figurant un hypothétique balcon, se mute au fil des scènes et au gré des rotations du plateau tournant, en chambre intime ou en cabinet de toilette – avant de se volatiliser à l'ultime scène et de laisser place à une vaste chapelle ardente irisée d'innombrables veilleuses votives, lentement envahie à l'avant-plan par l'aqua alta, alors qu'en toile de fond le rideau se lève sur un funeste champ de bataille dévasté, soulignant la culpabilité du père Capello dans ce terrible drame.

Les costumes élégants, très « bourgeois »,  de nous transportent à l'ère de la composition, proche temporellement des « romantiques » Trois Glorieuses ou des tout premiers élans du Risorgimento, telle la toile de fond révolutionnaire d'une improbable flaubertienne «éducation sentimentale». L'idée de codes-couleurs des habits permettra une exemplaire lisibilité de l'action –  notamment au finale du premier acte, ou lors des nombreuses  apparitions, déguisées ou pas de Roméo : camaïeu de gris de bruns et de noirs pour les Capulet, teintes vives et flamboyantes pour les Montaigu.

La distribution féminine n'appelle que des éloges. La soprano italienne ,  sollicitée dans le répertoire (entre autres) belcantiste par les plus grandes scènes internationales (Milan, Munich New-York, Chicago…) et pour la première fois invitée sur la scène mosane incarne une idéale Giulietta, par son sens aigu du legato, et de la conduite vocale, la facilité de la vocalise ou encore par une superbe homogénéité de timbre sur l'ensemble de la tessiture – avec toutefois une justesse très occasionnellement mise à mal dans l'aigu un soupçon plus « pointu ». Elle en exprime  tous les choix matures et cornéliens, toutes les intermittences du cœur, par une ductilité vocale sans faille et une grande variabilité expressive. Son Oh ! quante Volte !  est un immense moment de chant et de poésie.

Bellini a fait opter pour Roméo, pour une incarnation travestie  en distribuant le rôle à une mezzo belcantiste à l'ambitus très large.   – dont nous avons déjà à plusieurs reprises apprécié l'immense talent à la Monnaie, notamment au fil de la production Bastarda la saison dernière- est à la hauteur de la tâche, et confère une rare incandescence à son incarnation. La voix est d'une beauté sculpturale, même dans le registre hyper-grave, assumé avec brio sans jamais poitriner. Le miracle tient aussi de la pure magie par l'association suave des deux solistes aux timbres parfaitement coordonnés, tant au gré du luxuriant duo de l'acte I qu'au fil du final marqué d'une irrésistible pulsion de mort .

Les partenaires masculins, sans être aussi inoubliables, se révèlent à la hauteur de l'enjeu.
Le ténor russe – déjà  entre autres Rodrigo  dans l'Otello rossinien ou Don Ottavio dans le Don Giovanni confié à Jaco van Dormael sur la scène liégeoise- campe un très honnête Tebaldo, parfois un peu raide d'allure et gercé de sonorité dans le registre suraigu : la vocalité y demeure astringente et quelque peu amidonnée. Il apparait  scéniquement protocolaire voire timoré lors de son affrontement  avec Roméo au mitan de l'acte II. L'excellent baryton-basse s'impose bien plus naturellement en Lorenzo par un timbre à la fois royal et malléable, idéale et ambiguë incarnation d'un personnage  mi humaniste mi félon. En Capellio, la basse  apparaît certes assez somptueux quant à ses moyens vocaux, mais encore bien juvénile d'aspect et de jeu, et un peu vert de timbre pour prétendre incarner toute l'autorité monolithique et la psychorigidité vengeresse d'un pater familias trahi ou d'un chef de clan courroucé.

La direction musicale de monte en puissance au fil de l'œuvre. Une fois passée une sinfonia assez routinière (mais à vrai dire pas la meilleure page de l'ouvrage), le scrupuleux chef italien veille à un bon équilibre entre scène et fosse et apporte un relief particulier à la dynamique dramatique de l'ensemble. Il met en valeur bien des détails de la partition instrumentale, par un subtil éclairage des voix secondaires même s' il n'est pas toujours suivi par un orchestre parfois distrait ou légèrement incohérent en ses pupitres de cordes. Toutefois, mentionnons, pour leurs interventions solistes finement musicales, le clarinettiste Gianluigi Caldarola ou le premier corniste Benjamin Chartre, tous deux excellents au fil des longues introductions instrumentales qui leur sont dévolues. Saluons enfin l'excellent travail de Denis Segond à la tête de chœurs masculins irréprochables et substantiellement renforcés – le seul ensemble mixte étant donné depuis les coulisses.

Crédits photographiques © ORW-Liège/J.Berger 

Modifié le 26/05/2024 à 14h14

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Liège- Opéra Royal de Wallonie. 19-V-2024. Vincenzo Bellini (1801-1835) : I Capuleti e I Montecchi, opéra en deux actes et six tableaux sur un livret de Felice Romani d’après Matthieu Bandello et Luigi da Porto. Mise en scène et décors : Allex Aguilera. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières : Luis Perdiguero. Videos ; Arnaud Pottier. Avec : Rosa Feola : Giulietta; Rafaella Lupinacci : Romeo; Maxim Mironov : Tebaldo; Roberto Lorenzi : Capellio; Adolfo Corrado : Lorenzo. Choeurs préparés – par Denis Segond- et Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège , Maurizio Benini, direction musicale.

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