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Opéra de Paris : les adieux bouleversants de Myriam Ould-Braham

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Opéra de Paris 18-V-2024. Giselle, ballet en deux actes, d’après le livret de Théophile Gautier et de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Musique : Adolphe Adam (1803-1856). Chorégraphie : Jean Coralli et Jules Perrot, adaptation par Patrice Bart et Eugène Polyakov. Décors et costumes : Alexandre Benois. Avec : Myriam Ould-Braham, Giselle ; Paul Marque, Albrecht ; Arthus Raveau, Hilarion ; Valentine Colasante, Myrtha ; Marine Ganio et Jack Gasztowtt , pas de deux des paysans ; et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction musicale : Patrick Lange

La danseuse étoile a fait ses adieux dans Giselle à l'Opéra Garnier. Artiste dans l'âme, elle a choisi une incarnation originale et bouleversante d'une héroïne à l'image de son immense carrière.

Dans toute compagnie de ballet, il y a des Étoiles qui passent et d'autres qui restent, laissant  même après leur départ, une trace indélébile dans le souvenir des spectateurs, parce qu'elles avaient une luminosité toute particulière. Cela aura été le cas de , étonnante et bouleversante danseuse capable de vous tirer des larmes et des frissons, sans jamais user pour cela d'une quelconque esbroufe technique.

Petite danseuse toute blonde, dans la grande lignée des Noëlla Pontois, , Elisabeth Maurin ou Laetitia Pujol, qui avaient autre chose à montrer que de longues jambes promptes à impressionner, MOB (pour les intimes et les spectateurs avertis) aura eu, toute sa carrière,  le physique idéal de la danseuse romantique de Giselle, la Sylphide ou le cygne blanc du Lac des cygnes, mais aussi celui de la jeune fille incandescente, timide et rougissante, parfaite pour être Clara, (Casse-Noisette)  Juliette (et son Roméo), Lise (la Fille mal gardée), ou Swanilda (Coppélia). Elle aura été Olga, l'éternelle jeune amoureuse de Lenski dans Onéguine de Cranko, plutôt que Tatiana devenue femme puissante, et c'est heureux. Avec le recul d'une carrière qui s'achève, on s'aperçoit que , qui a aussi quelques Balanchine, Neumeier, Forsythe, MacGregor, Robbins ou Millepied à son répertoire, ne s'est jamais trompée dans ses choix : classique et romantique, elle était. Et elle l'est restée. Cette rigueur et cette fidélité à ce qu'elle est viscéralement, admettant l'évidence qu'il existe malgré tout une notion d'emploi chez un danseur, se retrouvent aussi dans la gestion de son image. Discrète, presque invisible sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, est une (ultime ?) preuve que l'on peut être immensément présente dans le cœur de son public, en vivant cachée. Gardant ainsi un mystère non pas calculé, mais juste sincère. Muette dans la vie par choix, elle parle sur scène avec ce qui lui est cher : ce corps qu'elle a mis au service de la danse.

Et il y avait tellement de sincérité dans cette frémissante soirée d'adieux à la scène de l'Opéra de Paris, ce samedi 18 mai. En choisissant Giselle pour finir sa carrière, Myriam Ould-Braham ne se trompait pas. Ce n'était pas pour autant une facilité, tant ce rôle-titre, pour être emblématique et si riche, oblige à sans cesse renouveler sa réflexion sur le sous-texte, la pensée profonde de cette jeune paysanne et de l'héroïsme de son deuxième acte. Que cherche-t-elle en répondant à l'invitation d'un homme qui ne lui ressemble, à l'évidence, pas ? Comment gère-t-elle sa mère qui l'empêche, sa rivale qui surgit, cette folie qui l'emporte ? Et comment ré-apparaître au deuxième acte, immaculé fantôme qui peut être fort, neutre, irréel, présent, en souffrance, expressif ou impassible ? La force de ce double-rôle est d'être relu à l'envie par une danseuse au fil de son expérience.

Myriam Ould-Braham a travaillé cette ultime Giselle avec son partenaire sous la houlette de et cela se sent : on y a perçu toute la finesse de la réflexion, la délicatesse du jeu,  le sens du rythme, des ralentis dans l'action, créant ensemble une véritable histoire, très cohérente. Lui, n'est pas un séducteur ayant la main facile. Lorsqu'elle le bouscule en reculant, se rencontrant sur scène pour la première fois, il lui pose délicatement la main sur l'épaule, lui touche le bras sans le lui prendre immédiatement, d'une très légère caresse qui dit tout : ces deux-là sont transcendés par un coup de foudre comme Roméo et Juliette le sont, dans la scène du bal. Dans le fond, même pour Albrecht, il n'y a pas trahison de sa part à l'égard de sa promise, il y a la faiblesse, et même le rêve de l'amour interdit. Le tout jeune Noureev, lorsqu'il dansa Albrecht pour la toute première fois au Kirov, en 1959 avait aussi opté pour cette vision d'un prince sincère. Et cette soirée fût légendaire.

On retrouve cette même caresse du prince lorsque Giselle effleure la robe de Bathilde, la fille du Duc, promise au jeune homme. Myriam Ould-Braham prend son temps pour cela, mesure l'ampleur de cet acte incongru, se sent comme transportée par l'interdit de classe, mais aussi par l'interdit d'y croire. De même, , à découvert, ne dit plus à sa promise, qu'il est tête de linotte en étant mal vêtu, mais qu'il sort d'un rêve. Tous ces petits gestes pourtant essentiels dans la danse narrative donnent à comprendre que dans ce premier acte, nous sommes peut-être, et déjà, dans un autre monde. Non pas dans la réalité d'une rencontre totalement improbable (voire ridicule à l'aune du XXI ème siècle) d'un prince, d'une paysanne, et d'une suite noble avec robes de cour en panne de velours et gardes en cottes de maille au fin fond d'une forêt, mais bien dans un rêve complet.

Giselle rêve d'un prince charmant, le prince rêve d'un amour sincère et le magnifie dans une promenade en forêt, lieu de tous les fantasmes. Exactement comme dans La Sylphide, crée neuf ans plus tôt, en 1832.

On comprend mieux, alors, le lien avec le second acte, simple suite de ce rêve ponctué de morbidité, élément clef du mouvement romantique. Et toutes les pièces du puzzle prennent forme, alors : la danseuse romantique, montée sur pointes, ce symbole de la femme inatteignable, qu'elle soit paysanne ou fantôme, cette gestuelle douce et désincarnée que Myriam Ould-Braham maitrise si bien dans les deux actes, cette folie (forcément féminine..), qu'elle n'aborde que discrètement (sans doute trop, d'ailleurs), comme pour ne jamais être une femme réelle et dans le concret de la vie, même au premier acte.. Son deuxième acte est tout aussi logique : elle sera flottante, sans émotion, pas même émue de voir le prince en mauvaise passe, mais prête à l'aider, par souci de rédemption. On pourra regretter, d'ailleurs, cette interprétation a minima. Mais cela est très cohérent avec ce qu'est Myriam Ould-Braham : une image, une vision idéale de la danseuse romantique. A-t-on besoin d'ajouter que sa danse est à l'avenant ? Vaporeuse, toute en douceur, sans effets ni besoin de prouver qu'elle tient une arabesque plus de trois secondes..

L'effet bouleversant qu'elle procure déteint sur ses partenaires et collègues. Sur , bien sûr, à l'unisson avec elle, mais aussi sur le corps de ballet, si fin et totalement investi pour cette soirée si singulière.

On aurait aimé penser de même pour l'Orchestre de l'Opéra national de Paris, que l'on entendait lourdement s'ennuyer, à ânonner la pourtant bien belle partition d'. Camille Saint-Saëns et Tchaïkovski ne s'étaient pas trompés en considérant cette partition française comme « un chef d'oeuvre ». Les musiciens parisiens devraient écouter comment leurs homologues russes savent la magnifier avec finesse, là où les cuivres français tombent dans la fanfare, les vents dans l'absence de continuité mélodique, et le chef d'orchestre () d'alterner sans finesse mouvements bien trop rapides ou beaucoup trop lents et ce, différemment chaque soir, ce qui est un comble lorsqu'on se doit d'accompagner et sécuriser les danseurs plutôt que d'imposer ses envies du jour.

Lorsque Giselle-Ould Braham nous quitte définitivement en repartant dans sa tombe, elle nous revient, tout aussi sobre dans ses saluts, et reçoit vingt minutes d'une ovation absolue venue d'un public qui sait ce qu'il vient de vivre, et qu'il ne revivra plus.

Crédits photographiques : © Julien Benhamou / Opéra national de Paris

 

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