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Les splendides histoires viennoises de Can Çakmur

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Franz Schubert (1797-1828) : Impromptus D.935. Drei Klavierstücke D.946. Johannes Brahms (1833-1897) : Vier Klavierstücke op.119. Can Çakmur, piano. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré au Tonstudio Tessmar de Hanovre, Allemagne, en mars et septembre 2022. Notice de préseentation en français, anglais et allemand. Durée : 60:21

 

Après la révélation d'un premier enregistrement capté lors de l'édition 2018 du Concours Hamamatsu, au Japon (Clef d'Or ResMusica et Prix ICMA) suivi d'albums consacrés à Schubert et Liszt et enfin Schubert et Schoenberg voici un nouveau volume associant Schubert à Brahms. Une réussite complète venant d'un pianiste qui se révèle comme un artiste majeur d'aujourd'hui.

est l'auteur du livret. Avec beaucoup de subtilité, il pose la question de la forme à la fois chez Schubert et Brahms. L'apparence de la sonate se décompose, la dimension spontanée de l'écriture se glissant dans une architecture en métamorphose permanente. Voilà bien des musiques “dérangeantes” sur le plan harmonique ! On pourrait ajouter que c'est l'une des caractéristiques propres à la musique viennoise depuis Haydn et jusqu'à Schoenberg : préserver la tradition du classicisme pour mieux en briser les règles.

Dans le piano de Schubert que nous entendons, c'est le lied et la ballade qui s'imposent, mais avec une approche aux antipodes d'une conception « historiquement informée ». Il faut ajouter, dans le cas de l'interprète, une palette de couleurs plus chambriste sinon orchestrale et une prise de son d'une beauté suave et d'une dynamique superbe. Magnifiquement réglé, le piano Shigeru Kawai est au service de l'expressivité de . Il joue sans forcer, dans l'épaisseur de la pâte sonore, tirant ces romantiques jusqu'à l'impressionnisme et à l'orée du XXe siècle. Les voix du piano intelligibles comme les consonnes d'un Lied s'échappent aussi parfois vers l'univers de Beethoven (Impromptu n° 2). Dans les variations, toute acidité a été gommée et cette berceuse timbrée avec une pédalisation somptueuse ne sort pas du salon de la bourgeoisie viennoise. Merveille aussi que le dernier Impromptu de la série. Le mouvement général porté par un galop à l'allure lointainement hongroise suggère la nervosité du rythme plus qu'il ne l'affirme. Quelle allure ! Pas un excès, mais une clarté bondissante, une mise en scène jusque dans les interrogations subites. La vivacité du jeu est grisante non par la vitesse, mais grâce à la précision inouïe des accents, summum d'une intelligence musicale.

Passons aux Klavierstücke également de Schubert, ces “impromptus” posthumes. Là aussi, le jeu de possède un souffle d'une densité expressive rare. Ce sont des braises qui hypnotisent pas leur éclat puis soudain un silence. L'épaisseur des résonances, le contraste entre la course folle et le choral s'enchaînent avec évidence. Le pianiste convainc parce qu'il ne rompt jamais les tensions, jouant de la fraîcheur bucolique du Klavierstücke n° 2 avec juste ce qu'il faut d'inquiétude. Grâce à un jeu franc et nimbé tout à la fois – l'utilisation de la pédale est proprement étourdissante – il assure une narration sans faille et une palpitation qui s'abstient de toute dureté. Cette pureté de jeu illumine littéralement le dernier morceau, dont le pianiste exploite tous les ressorts des danses d'Europe centrale et, plus encore, l'enchevêtrement des plans sonores dont il nous fait oublier la logique même.

Nous n'avons pas voulu rompre l'écoute des Schubert avec les ultimes « berceuses de la douleur » de Brahms, insérées pourtant entre les deux partitions. Murmures et passions étouffées, dissonances mises à nu, épure du langage tout autant qu'exaltation bavarde dans le Grazioso e giocoso… Can Çakmur nous fait croire que Brahms, le “jeune homme” de soixante ans peut encore avoir quelques accès de juvénilité. Il le laisse triompher sans emphase avec des mains qui suggèrent le poids de l'orchestre. Espérons qu'un jour Can Çakmur nous livrera un concerto de Brahms. Pour l'heure, il rejoint une prestigieuse assemblée, celle des Katchen, Lupu, Serkin, Freire, Rösel, Sokolov, Kovacevich, Kempff…

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Franz Schubert (1797-1828) : Impromptus D.935. Drei Klavierstücke D.946. Johannes Brahms (1833-1897) : Vier Klavierstücke op.119. Can Çakmur, piano. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré au Tonstudio Tessmar de Hanovre, Allemagne, en mars et septembre 2022. Notice de préseentation en français, anglais et allemand. Durée : 60:21

 
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