David et Jonathas de Charpentier : deux versions versaillaises contrastées
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Marc Antoine Charpentier (1643-1704). David et Jonathas, H490. Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles. Clément Debieuvre, David Witzcak, Edwin Crossley-Mercer, Jean-François Novelli, Jean-François Lombard, Natacha Boucher. Olivier Schneebeli, direction. Orchestre Les temps présents, direction musicale Dominique Serve. 2 CD Aparté. Enregistrés à l’Opéra Royal de Versailles en juillet 2021. Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 60:00 et 62:00
Marc Antoine Charpentier (1643-1704). David et Jonathas, H490. Reinoud Van Mechelen, Caroline Arnaud, David Witczak, François-Olivier Jean, Antonin Rondepierre, Geoffroy Buffière, Virgile Ancely. Ensemble Marguerite Louise. Gaétan Jarry, direction. 2 CD + DVD + Blu-ray Versailles Spectacles. Enregistré à la Chapelle Royale de Versailles en novembre 2022. Livret en français, anglais, allemand. Durée 118:43
ApartéChâteau de Versailles SpectaclesDeux enregistrements de David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier paraissent presque simultanément. Mais il est impossible de comparer ces deux versions, car il n'y a rien de commun dans les conditions de leur genèse et de leur réalisation. Voici donc deux portraits en parallèle.
En 1688, le surintendant Lully vient de mourir. Marc-Antoine Charpentier, qui fut candidat malheureux au poste de la Chapelle Royale, est nommé maître de musique au collège Louis-le-Grand. C'est pour les Jésuites et leurs élèves qu'il compose la tragédie lyrique sacrée David et Jonathas, cinq ans après son oratorio « Mors Saül et Jonathae » sur le même thème. A l'occasion du carnaval, le Collège des Jésuites accueillait chaque année la représentation d'une tragédie sacrée en latin composée sur des sujets édifiants, avec intermèdes musicaux chantés et dansés par les élèves eux-mêmes. A partir de 1684, ces grands spectacles auxquels se pressait toute la cour évoluent pour transformer les intermèdes musicaux en véritables tragédies lyriques sur le modèle des opéras lullystes en cinq actes. C'est ainsi que David et Jonathas fut créé en février 1688, musique de Charpentier sur un livret du Père Bretonneau, en alternance avec la tragédie Saül en vers latins, malheureusement perdue. Le sujet est à la fois pédagogique (par l'éloge de l'amitié) et politique (David, le roi-musicien, est un des modèles de Louis XIV). Il nous est difficile d'imaginer aujourd'hui ce que furent ces représentations dans lesquelles chantent et dansent des élèves de 12 ou 13 ans, tous issus de très nobles familles. Il est probable que Charpentier recrutait des chanteurs professionnels venus de l'opéra pour tenir les rôles les plus exigeants techniquement. On sait que les représentations de David et Jonathas connurent un grand succès public, ce qui a permis à la musique de Charpentier de parvenir jusqu'à nous, en étant copiée pour être conservée à la Bibliothèque Royale.
Le testament musical d'Olivier Schneebeli
En 2021, Olivier Schneebeli passe le relais à Fabien Armengaud pour la direction musicale et pédagogique du chœur des Pages et des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles qu'il a, pendant trente années, mené à un niveau d'excellence. Il a souhaité couronner sa carrière versaillaise par la production du David et Jonathas de Marc Antoine Charpentier, donné dans l'esprit de sa création. C'est donc la première version discographique de ce chef d'œuvre faisant appel aux voix d'enfants, comme c'était le cas à l'époque. De plus, la plupart des solistes adultes sont passés par la formation versaillaise des Chantres. Avec un ensemble instrumental réduit à deux par partie, on est au plus près des conditions de la création au collège Louis-le-Grand. Pour évoquer l'alternance avec la pièce de théâtre perdue, on a choisi ici de ponctuer chaque acte par la déclamation de stances poétiques d'Antoine Godeau, dont on admire l'éloquence « Grand Siècle » grâce à l'engagement des narrateurs. Dès le prologue, Charpentier se démarque de la tragédie lullyste : rompant avec la tradition des prologues en l'honneur du roi, celui-ci nous plonge abruptement dans l'action, évoquant le cauchemar de Saül. Un roulement de tambour initial donne le ton au drame « tout de bruit et de fureur » (O.Schneebeli). L'orchestre Les Temps Présents, sous la direction de l'organiste Dominique Serve, est très juste dans les tempi des danses et souligne parfaitement la dynamique de l'écriture. A noter le choix de ne pas reconstituer la page manquante dans la Chaconne qui conclut le deuxième acte, laissant un brutal silence nous surprendre et participant ainsi au ressort dramatique.
Solistes ou chœur, tous les chanteurs font preuve d'un bel engagement et d'une diction irréprochable qui rend le texte toujours intelligible. David Witzcak campe un Saül déchiré et touchant, d'une grande vérité psychologique. Sa plainte du troisième acte (« Objet d'une implacable haine ») est un beau moment d'émotion. David, chanté par Clément Debieuvre, offre un rôle tout en contrastes, très exigeant vocalement par l'étendue de sa tessiture. Mais la surprise de cet enregistrement, c'est évidemment le rôle de Jonathas confié à la jeune Natacha Boucher, issue des Pages. A la fois lumineuse et fragile, sa voix juvénile ne peut que nous toucher, particulièrement au moment de sa mort. Tous les enfants intervenant en soliste (bergers, Coryphée …) sont admirables d'engagement et d'articulation. Mais c'est la qualité du chœur qui impressionne le plus, sa diction jamais mise en défaut et sa belle dynamique. Les voix d'enfants colorent cette version d'une intensité musicale toute particulière, et soulignent la vérité psychologique de l'œuvre si personnelle de Charpentier.
La magnificence baroque de David et Jonathas
Dans le cadre de la Chapelle Royale, c'est dans un tout autre monde que nous transporte le David et Jonathas dirigé par Gaétan Jarry en novembre 2022. Décors somptueux, costumes éblouissants, danseurs spectaculaires : c'est une version superbement mise en scène par Marshall Pynkoski qui est ici captée (un DVD accompagne l'enregistrement audio qui seul retient ici notre attention). Pour évoquer le luxe des décors, de la chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg et des costumes de Christian Lacroix, il faut se référer à l'article de ResMusica qui rend compte du spectacle donné à Versailles. L'ensemble instrumental et le chœur Marguerite Louise offrent une sonorité riche et pleine, des couleurs chatoyantes et une dynamique ciselée. Nombreuses sont les scènes guerrières dans cette œuvre : elles bénéficient d'un bel élan de l'orchestre, magnifiquement soutenu par les percussions. L'ouverture de l'acte V avec tambours et trompettes est ainsi particulièrement impressionnante. Le contraste est saisissant avec l'émotion des scènes de déploration. Tout au long de l'histoire, la direction de Gaétan Jarry est magistrale, d'une très grande précision. Les instruments offrent une belle présence émotionnelle qui accompagne parfaitement les voix sans jamais les écraser, et le continuo est particulièrement remarquable.
La distribution vocale mérite aussi tous les éloges. Dès le prologue qui nous plonge dans le cauchemar de Saül, l'arrivée de l'Ombre de Samuel, à laquelle la basse Geoffroy Buffière offre sa voix aux graves profonds, donne le ton. Seul point commun avec la distribution de la version Schneebeli, c'est aussi au baryton David Witzcak qu'est confié le rôle central de Saül. On peut faire une exception à l'impossible comparaison entre les deux versions en considérant l'air de Saül (acte III, scène 2) « Objet d'une implacable haine » : ici, la somptuosité du continuo fait toute la différence, les accords des théorbes soulignant le trouble mortel du roi malheureux. La soprano Caroline Arnaud offre au personnage de Jonathas sa voix très pure et touchante. L'air de l'acte IV, « A-t-on jamais souffert une plus rude peine ? » est un sommet d'émotion, porté par des aigus somptueux. Quant au rôle de David, il est magistralement servi par la voix souple du ténor Reinoud Van Mechelen, qui monte avec beaucoup de facilité dans l'aigu et propose une palette de couleurs subtile et variée. L'air de l'acte IV « Souverain juge des mortels » est particulièrement touchant. L'intensité psychologique de cette œuvre incomparable est ici portée à l'incandescence.
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Marc Antoine Charpentier (1643-1704). David et Jonathas, H490. Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles. Clément Debieuvre, David Witzcak, Edwin Crossley-Mercer, Jean-François Novelli, Jean-François Lombard, Natacha Boucher. Olivier Schneebeli, direction. Orchestre Les temps présents, direction musicale Dominique Serve. 2 CD Aparté. Enregistrés à l’Opéra Royal de Versailles en juillet 2021. Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 60:00 et 62:00
Marc Antoine Charpentier (1643-1704). David et Jonathas, H490. Reinoud Van Mechelen, Caroline Arnaud, David Witczak, François-Olivier Jean, Antonin Rondepierre, Geoffroy Buffière, Virgile Ancely. Ensemble Marguerite Louise. Gaétan Jarry, direction. 2 CD + DVD + Blu-ray Versailles Spectacles. Enregistré à la Chapelle Royale de Versailles en novembre 2022. Livret en français, anglais, allemand. Durée 118:43
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