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MétaTosca zéro achat à l’Opéra de Dijon

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Dijon. Auditorium. 14-V-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa. Mise en scène : Dominique Pitoiset. Scénographie  : Eduardo Sanchi. Costumes : Nadia Fabrizio. Lumières : Christophe Pitoiset. Avec : Monica Zanettin, soprano (Floria Tosca) ; Jean-François Borras, ténor (Mario Cavaradossi) ; Dario Solari, baryton (Baron Scarpia) ; Sulkan Jaiani, baryton-basse (Cesare Angelotti) ; Marc Barrard, baryton (un Sacristain) ; Grégoire Mour, ténor (Spoletta) ; Yuri Kissin, baryton-basse (Sciarrone) ; Jonas Yajure, baryton-basse (un Geôlier) ; Emilie Richard, soprano (un Pâtre). Chœurs (chef de chœur : Anass Ismat), Maîtrise (chef de chœur : Etienne Meyer) et Orchestre de l’ Opéra de Dijon, direction : Debora Waldman

Au contraire de son incarnation musicale impeccable, laudacieuse Tosca imaginée par pose question.

On ne fera pas le reproche à l'actuel directeur de l'Opéra de Dijon de vouloir faire emprunter à sa mise en scène d'autres voies que celle du parcours touristique bien fléché : Sant' Andrea della Valle, Palazzo Farnèse, Castel Sant'Angelo. En 2019, à Aix, la Tosca de Christophe Honoré avait pris ses quartiers dans l'appartement cossu d'une diva transmettant son interprétation de puccinienne à une diva en herbe et l'on ne s'en était pas plaint.

Celle de prend les siens dans la pénombre d'un plateau nu, encerclé de pendrillons relevés à mi-hauteur sur des coulisses encombrées, autour d'un amoncellement de chaises. Seul corps étranger de ce scénique spartiate : un confessionnal, qui sera appelé à prendre la première place de la dramaturgie pour remonter aux sources du calvaire de Floria Tosca, dépeinte dans le livret comme un être humain sous emprise religieuse, ce qui ne sera pas sans conséquence sur sa mort prématurée. C'est ainsi qu'elle est décrite par le menu dans le drame de Victorien Sardou (1887), magnifiquement mis en musique en 1900 par Puccini.

A l'instar de la plupart de ses confrères, est un metteur en scène à l'écoute de son temps, voire un lanceur d'alerte. Dans le sillage de son Cosí fan tutte de 2022 en condamnation du féminicide, sa Tosca de 2024 n'hésite pas à se glisser dans celui du rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église), voire du conséquent ouvrage de Frédéric Martel, Sodoma.

Dominique Pitoiset se confirme également en joueur. Comme pour son Armide de 2023, il établit la nouvelle règle du jeu de sa Tosca. Un long prologue muet fait entrer un à un sur le plateau tous les protagonistes masculins de l'opéra. Les serrages de mains et les accolades sont interrompus par une voix off (on reconnaît celle du metteur en scène) qui pose les enjeux de la représentation : soutenue par une dame de compagnie, Tosca, épouse du narrateur, va faire son entrée dès la première scène de l'opéra dont les différents actes seront assimilés à des jeux de rôles destinés à exorciser le traumatisme dont la chanteuse a été victime dans son enfance. Un traumatisme évoqué par un explicite Te Deum montrant une fillette sautillant autour d'un prélat cacochyme, et un Chant du pâtre énoncé par la bouche de la même récompensée d'un baiser par le même.


Le concept est judicieux autant que plausible, mais, comme dans Cosí fan tutte, à des coudées de son incarnation scénique, la lisibilité de la narration s'avérant (comme dans Armide) vraiment discutable. Les idées de mise en scène sont par trop éparses : la mort du prélat sur le Te Deum, Tosca intimée de s'asseoir sur le canapé entre trois hommes, la leçon de chant de Tosca enfant, ou même, moment le plus mémorable de la soirée, Tosca poignardant Scarpia à distance. Les mouvements des pendrillons, révélant entrées et sorties façon grotte aux souvenirs, sont sous-utilisés. La frustration, au plan strictement visuelle, est inévitable. Et que dire de ce décor dénudé (un banc pour l'église de l'Acte I, un canapé pour le II, un piano pour le III), que même le jeu d'orgues semble avoir déserté ?

L'Angelotti de comme le Geôlier de sont tout deux superbement timbrés. est le bonhomme sacristain que l'on attend, , , respectivement le cauteleux Spoletta, le sinistre Sciarrone que l'on aime détester. Le Pâtre, double enfant de Tosca, est chanté par la jeune Émilie Richard mais aussi par son miroir adulte : . L'Acte I, bien qu'un brin capillo-tracté, s'efforce de respecter la consigne avec son héroïne quasi-prostrée. L'Acte II revient presque à la tradition, la soprano, parfois soumise à un perceptible manque de volupté dans certains passages aigus, se révélant très convaincante dans un Vissi d'arte désespéré chanté seule sur l'immense plateau, Scarpia ayant quitté la scène pour passer une robe de chambre. Scarpia, c'est Dario Solario, presque élégant, presque délesté de la noirceur dont l'on est toujours preneur dans ce concentré de testostérone toxique. Il faut vraiment avoir entendu en Mario : même si le III montre une relative fatigue, la voix bouleverse autant que par la noblesse de son timbre que par l'amplitude de son volume. On n'avait nul besoin en revanche de l'aumône des applaudissements après E lucevan le stelle, l'orchestre s'arrêtant brutalement, ainsi que ne l'indique pas la partition. Pour notre plus grand bonheur, , ravive le souvenir de l'extraordinaire enregistrement de Colin Davis. Elle entraîne l' dans des records de lenteur, surtout dans les deux premiers actes, le III, passée une splendide répartition des cloches romaines dans tout l'Auditorium, accusant une relative fatigue. Le chœur, préparé par Anass Ismat (et par Étienne Meyer pour la Maîtrise) est de bout en bout admirable, particulièrement dans la Cantate du II magnifiquement exécutée, véritable liturgie spatialisée façon Vêpres de Rachmaninov. La dernière intervention masculine fait, comme jamais, froid dans le dos. Musicalement parlant, cette Tosca est bien le bloc de terreur qu'elle doit être.

Cette Tosca dijonnaise restera aussi forcément dans les mémoires pour avoir osé poser la question qui fâche, de « l'opéra zéro achat », par deux fois récemment testé à Bordeaux. On ne va pas se mentir : la réponse qu'elle apporte n'augure pas d'un avenir des plus riants. L'opéra appelé à reposer principalement sur un orchestre et des chanteurs remarquables, saupoudrés d'un soupçon de métathéâtre, s'il satisfera ceux qui disent préférer l'opéra en version de concert, n'est vraiment pas une bonne nouvelle pour ceux qui se souviennent que l'opéra est un art total. Pour pouvoir « traverser le Mal », « plutôt que le « zéro achat », il vaut mieux changer les mentalités, et penser coproduction… Le théâtre doit rester luxueux …», affirmait récemment dans nos colonnes le grand faiseur de chocs esthétiques qu'est Romeo Castellucci. On aura effectivement eu le loisir, durant toute la représentation, de se remémorer que l'Auditorium dijonnais, sous l'ère Joyeux, avait été la rade de l'immense vaisseau du Tristan et Isolde d'Olivier Py, et la boîte aux merveilles des Boréades de Barrie Kosky, Prix de la meilleure coproduction européenne.

Crédits photographiques : © Mirco Magliocca

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Dijon. Auditorium. 14-V-2024. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa. Mise en scène : Dominique Pitoiset. Scénographie  : Eduardo Sanchi. Costumes : Nadia Fabrizio. Lumières : Christophe Pitoiset. Avec : Monica Zanettin, soprano (Floria Tosca) ; Jean-François Borras, ténor (Mario Cavaradossi) ; Dario Solari, baryton (Baron Scarpia) ; Sulkan Jaiani, baryton-basse (Cesare Angelotti) ; Marc Barrard, baryton (un Sacristain) ; Grégoire Mour, ténor (Spoletta) ; Yuri Kissin, baryton-basse (Sciarrone) ; Jonas Yajure, baryton-basse (un Geôlier) ; Emilie Richard, soprano (un Pâtre). Chœurs (chef de chœur : Anass Ismat), Maîtrise (chef de chœur : Etienne Meyer) et Orchestre de l’ Opéra de Dijon, direction : Debora Waldman

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