Solesmes et sa musique au travers des organistes

Voici une somme très précieuse réunie en un gros ouvrage de plus de 500 pages sur l'histoire des organistes liées à l'abbaye de Solesmes. Les textes sont complétés par de nombreuses photos inédites ainsi qu'un CD renfermant des compositions de ces musiciens remarquablement jouées par Frédéric Blanc à l'orgue de Sainte-Clotilde à Paris.

Les Editions de Solesmes proposent une collection de livres consacrés aux musiciens qui furent en relation étroite avec cette célèbre abbaye, située dans la Sarthe. Le volume IV est entièrement consacré aux organistes qui ont collaboré avec les moines pour leurs travaux, associés à la pratique du chant grégorien. Chaque organiste est représenté par un chapitre du livre, on en dénombre huit. Leur nom est bien connu des spécialistes et des amateurs aussi. Il sont français pour leur grande majorité sauf le premier, Jacques Lemmens qui était belge. Chaque chapitre est une mine qui permet de découvrir tout un monde à la fois fort peu connu et particulièrement passionnant. Ainsi on apprend que Jacques Lemmens avait proposé un langage musical particulier dans l'accompagnement à l'orgue du chant grégorien qui bouleversait les habitudes par certaines audaces harmoniques empreintes d'un certain modernisme. Ces situations mettent en scène d'autres personnages importants de cette abbaye en matière de musique. De nombreux ecclésiastiques sont ici cités pour leurs travaux dont on décrit le contenu. Ils travaillèrent étroitement avec les organistes qui leur apportèrent une très efficace complémentarité.

Alexandre Guilmant était un célèbre compositeur et organiste parisien. On lui doit de nombreuses éditions sur les maitres anciens et ses compositions pour orgue sont nombreuses et de très grande qualité. A Solesmes, Guilmant travaille en étroite collaboration avec deux moines bénédictins : Dom Mocquereau et Dom Pothier pour étudier ce qui peut relier le grégorien et l'orgue. Guilmant propose à son tour une manière d'accompagner ce chant particulier qui, à son origine, était « a cappella ». La présence sur place des organistes n'était pas systématique mais leur travail pouvait se réaliser à distance. De nombreux documents reproduits attestent de ces travaux.

Joseph Bonnet est une grande figure de l'orgue en France, lié à une tribune prestigieuse parisienne en l'église Saint-Eustache. Lui-même élève de Guilmant, il se fit connaitre par une importante activité outre-Atlantique en tant que professeur et concertiste. Très croyant, Joseph Bonnet, oblat bénédictin et grand amateur de musique grégorienne, fonda l'Institut grégorien de Paris en 1923 qu'il présida jusqu'à sa mort. Plus de 240 pages lui sont consacrées dans cet ouvrage, décrivant les différentes étapes de sa carrière et ses liens étroits avec Solesmes, nourris d'amitiés diverses. A ce titre, ce livre offre ici une sorte de biographie très documentée qui permettra de mieux connaitre ce musicien français hélas trop oublié de nos jours.

D'autres compositeurs organistes prennent place ici, ayant chacun joué un rôle significatif à Solesmes en lien direct avec le chant grégorien et sa manière de le disserter, au fur et à mesure des courants et des époques. Le chant et l'orgue sont liés depuis l'utilisation de ce dernier dans les lieux sacrés, et ce depuis l'époque romane. Ainsi Charles Tournemire, ami de Joseph Bonnet se rapproche lui aussi de Solesmes. On sait son immense intérêt pour le grégorien, largement utilisé dans sa musique, en particulier dans L'orgue mystique, regroupant les 51 messes de l'année liturgique catholique. Titulaire de l'orgue de Sainte-Clotilde à Paris à la suite de César Franck, il est célèbre par ses improvisations sur des hymnes grégoriennes, enregistrées vers 1930 et transcrites plus tard par Maurice Duruflé, lui aussi très attiré par ces thèmes liturgiques qu'il utilisa abondamment dans ses œuvres pour orgue. Ces deux musiciens eurent un lien étroit avec Solesmes et le chant grégorien les a marqués définitivement dans leurs aspirations musicales les plus profondes. Le livre rapporte encore une fois une foule de détails permettant de cerner leur personnalité d'une manière différente. Maurice Duruflé venu à Solesmes s'est souvenu de ses travaux et s'en est inspiré pour son célèbre Requiem.

D'autres organistes célèbres enfin furent également liés à l'abbaye de Solesmes, attirés eux aussi par la mystique grégorienne. Cela constitue les derniers chapitres de l'ouvrage. Marcel Dupré, Olivier Messiaen et Gaston Litaize ont entretenu des liens importants, rapportés aux travers de récits et de lettres. Ce dernier organiste contribua en 1967 à l'édification d'un nouvel orgue dans la nef de l'abbaye, du facteur strasbourgeois Curt Schwenkedel. Plusieurs enregistrements furent réalisés à ce moment là par cet artiste qui avait également inauguré l'instrument.

Enfin un CD accompagne judicieusement le livre. Il a été enregistré par Frédéric Blanc sur l'orgue de l'église Sainte Clotilde à Paris et regroupe ces musiciens en un programme éclectique mais directement lié à la musique de Solesmes. On y découvrira donc de nombreux inédits. Le jeu inspiré de Frédéric Blanc, titulaire de l'orgue de Notre-Dame d'Auteuil contribue très agréablement à l'approche de ce monde musical particulier, nourri de mélodies grégoriennes. Il montre l'évolution au cours du temps du traitement de ces textes en fonction du style de chaque compositeur.

Cet ouvrage représente une somme incontournable dans la connaissance d'un sujet  primordial dans l'histoire de la musique religieuse en France au XX^e siècle.