Plus de détails
Le catalogue très restreint du compositeur norvégien Johan Svendsen abrite quelques musiques de très belles factures ne méritant nullement l'oubli injuste qui les condamnent au silence depuis trop longtemps. Prenons l'exemple du Concerto pour violoncelle en ré mineur.
Survol de la carrière de Johan Svendsen (1840-1911)
Johan Severin Svendsen, originaire de la capitale Kristiania (devenue Oslo en 1925), apprend très jeune à jouer de plusieurs instruments. Le garçon d'une douzaine d'années joue au sein d'orchestres de danse de la région et déjà compose des danses et des marches. Peu après, il devient clarinette solo dans un orchestre militaire puis il apprend le violon pour jouer au sein de l'Orchestre du Théâtre norvégien de Kristiania et devient l'élève d'un musicien alors réputé, Carl Arnold. Grâce à l'obtention d'une bourse royale, il complète sa formation musicale en intégrant le fameux Conservatoire de Leipzig entre 1863 et 1867 auprès de maîtres fort réputés, pratiquement les mêmes que son ami Edvard Grieg avait côtoyés, à savoir Ferdinand David, Moritz Hauptmann, E.F. Richter et Carl Reinecke. Il se rend ensuite à Paris en 1868, capitale des Arts à l'époque, où il fréquente de nombreux compositeurs représentatifs de la modernité. Après son mariage célébré à New-York (1871), il retourne à Leipzig où il est nommé violon solo et second chef des concerts Euterpe. A Bayreuth, il participe en 1872 au fameux concert consacré à la Symphonie n° 9 de Beethoven dirigé par Richard Wagner (à l'occasion de la pause de la première pierre du Festspielhaus) avec lequel il noue une relation amicale. Revenu en Norvège la même année, il co-dirige avec Grieg, puis seul à partir de 1874, la Société de concerts de la capitale. Il séjourne ensuite à Rome, à Londres et à Paris. Sa direction est hautement appréciée et est logiquement nommé chef principal à l'Opéra Royal de Copenhague en 1883 où il contribue à en élever le niveau. Il étend ses brillants succès bien au-delà en tant que chef (symphonique et lyrique) invité partout en Europe. On le considéra comme l'un des principaux chefs d'orchestre de son temps. Il se retire de l'Opéra Royal de Copenhague en 1908. Tôt, il est attiré par la modernité représentée principalement par la musique de Berlioz, Franz Liszt et Richard Wagner.
Un catalogue modeste mais de grande qualité (sélection)
Son catalogue témoigne de son positionnement reconnu comme artiste représentatif du mouvement romantique national norvégien. Il le place au sommet d'une réputation n'ayant d'égale en Norvège que celle de Grieg.
Dans le domaine de la musique de chambre, Svendsen a composé des pièces de haute tenue et d'écoute très plaisante : Quatuor à cordes (op. 1, 1864, créé à Leipzig), Octuor à cordes (op. 3, 1866, créé à Leipzig), Quintette à cordes (op. 5, créé en 1867).
Dans le registre orchestral, qu'il maîtrise fort habilement, on découvrira ses grandes qualités sonores et spirituelles, son aisance mélodique et sa culture d'un art délicat du climat romantique à la scandinave. On citera les deux Symphonies, créées à Kristiania : n° 1, op. 4, 1866-1867 et n° 2, op. 15, 1876 ; le Concerto pour violon, op. 6, 1868-1870 ; Karneval i Paris, op. 9, 1972 ; les 4 Rhapsodies norvégiennes, 1876-1877, les deux dernières créées à Paris en 1879 ; Romance pour violon et orchestre, op. 26, 1882 …
Un Concerto pour violoncelle op. 7 à ne pas manquer
Johan Svendsen commença la composition de son Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur op. 7 immédiatement après l'achèvement du Concerto pour violon et orchestre en la majeur op. 6, traditionnellement en trois mouvements, travaillé à Paris et Leipzig au cours des années 1868-1870. Nous sommes donc en 1870, à Leipzig, et la partition porte comme date d'achèvement le 16 mars 1871. Il est dédié au violoncelliste Emil Hegar (1843-1921), soliste de la création et ami du compositeur avec lequel il avait suivi ses études musicales. L'Orchestre du Gewandhaus était placé sous la direction de l'Allemand Ferdinand David (1810-1873).
L'accueil critique s'avéra plutôt modéré en raison des libertés formelles prises par le jeune maître âgé de 28 ans, mais également parce que le concerto manquait, aux yeux de beaucoup, de virtuosité. Il semble évident que Svendsen privilégiait là une atmosphère personnelle retenue au détriment des conventions attendues. Certes, son récent Concerto pour violon répondait davantage aux attentes du public et des commentateurs. Toutefois des voix, non majoritaires, apprécièrent ces choix dans la presse et au sein du public.
Le Concerto pour violoncelle se présente en un seul mouvement mais les tempos, joués sans pause (attacca), sont notés successivement Allegro, Andante et Allegro (ou Tempo giusto I). Cette structure plus libre, mais obéissant à une succession traditionnelle, le fait apparaître comme une pièce d'un seul tenant comprenant donc une section lente entourée d'un développement et d'une récapitulation. Il dure approximativement entre 18 et 19 minutes.
On considère ce concerto comme la première œuvre de ce genre en Norvège, à l'instar de l'abandon inhabituel de la structure en plusieurs mouvements distincts comme on les rencontrait dans le Concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn (trois) et celui de Liszt en mi bémol majeur (quatre). A l'image du Concerto en la mineur op. 123 de Schumann composé en 1850, il n'y a pas de cadence, ce qui ne l'empêche pas de se rapprocher de l'atmosphère concertante romantique proche de Franz Liszt. Une partie de la structure thématique de la dernière partie du concerto de Svendsen réutilise celle du premier mouvement offrant ainsi un sentiment plus renforcé d'unité organique.
L'Allegro initial contient une exposition et un développement mais pas de récapitulation. L'introduction confiée à l'orchestre seul offre une ligne simple, légère et fluide, puis une montée en puissance et en intensité de l'ensemble des pupitres qui débouche sur l'entrée du violoncelle paisible en ouvrant un dialogue non conflictuel qui se transforme sans tarder en un thème magnifique que l'on retrouvera plus tard avec un regain de fermeté. Une discrète ébauche de méditation se dessine sans abandonner son caractère lucide et son timbre grave et réservé. Un passage confié aux bois accompagne une accélération du rythme du violoncelle appuyant ses nuances romantiques, chantant néanmoins avec retenue et assurance mêlées.
Suit la partie Andante qui par plusieurs aspects, en particulier en ce qui concerne la mélodie, annonce la plus connue et la plus souvent jouée de ses compositions, la Romance pour violon et orchestre, son opus 26, composée une dizaine d'années plus tard. Un climat de quiétude spécifique assumée par le violoncelle solo exprime un climat de réflexion, sommaire en apparence mais percutant psychologiquement. L'orchestre prend la parole et enrichit l'avancée sonore qui se souvient du thème admirable et majestueux déjà entendu. L'instrument soliste intensifie son timbre chaleureux et généreux, alors que la flûte et les pizzicati des cordes enrichissent l'accompagnement sans volonté de domination excessive, un compromis pacifique entretient l'atmosphère générale de ce paragraphe faite de méditation et de mélancolie pondérées.
La dernière section Allegro (ou encore Tempo giusto I) pourrait en fait faire office de récapitulation à l'Allegro initial. Cette particularité incite à ne pas considérer cette dernière partie comme un mouvement véritablement indépendant. Svendsen a sous doute été marqué par la structure du Concerto pour piano en mi bémol de Franz Liszt écrit en 1857. Elle commence par un engagement franc du tutti orchestral puis s'estompe au profit du seul violoncelle une nouvelle fois. L'air prégnant déjà entendu revient et ne laisse nullement indifférent. Cette alternance se poursuit jusqu'à l'achèvement du Concerto op. 7 séduisant par son lyrisme raffiné et sensible aux accents scandinaves et romantiques épurés mais palpables.
Ainsi que le confirme l'écoute, l'exubérance ne trouve pas refuge dans cette musique dont le caractère introverti et subtil est accentué par l'impression ressentie face à une longue mélodie peu mobile. S'agit-il en l'espèce d'une influence exercée par l'œuvre de Wagner ? Elle demeure délicatement expressive et impacte sans aucun doute la perception de l'auditeur d'aujourd'hui.
Svendsen offre dans cette œuvre séduisante un lyrisme raffiné et gracieux, presque chantant et poétique assuré par le violoncelle, que l'on trouve déjà, mais moins nettement, dans le récent Concerto pour violon de notre compositeur. Son timbre chaleureux et son climat romantique intense, dénué toutefois de dramatisme excessif et de virtuosité superficielle, la présence régulière et intense du soliste qui impressionne tout en adoptant un jeu simple conduise à déguster une œuvre agréable, raffinée et ravissante. La tonalité nordique qu'elle exprime accueille d'une discrète mélancolie. L'ensemble de la partition affiche un climat homogène et d'une retenue, voire une gravité empreinte de noblesse. Assurément cet opus 7 ne partage que peu des ingrédients du grand concerto romantique.
Conseils discographiques
Hege Waldeland (violoncelle), Musikselskabet « Harmonien » orchestrer Bergen (Orchestre symphonique de Bergen), dir. Karsten Andersen, 1974, NKF 30 002 LP (+ Concerto pour violon, op. 6).
Truls Mørk (violoncelle), Orchestre philharmonique de Bergen, dir. Neeme Järvi, 2010-2011, Chandos CHAN 10711 (+ Rhapsodies norvégiennes n° 1 et n° 2, Symphonie n° 2).
Pour Aller + Loin
BERGSAGEL John, Svendsen, Johan, New Grove Dictionary of Music and Musicians, edited by Stanley Sadie, MacMillan publishers, T18, 1980.
BENESTAD Finn & SCHJELDERUP-EBBE Dag, Johan Svendsen. The Man, the Maestro, the Music (traduction anglaise de H. Halverson), Peer Gynt Press, 1995.
CARON Jean-Luc, Johan Svendsen, Bulletin de l'A.F.C.N. n° 15, 1996 ; Les deux admirables symphonies de Johan Svendsen
HERRESTHAL Harald & REZNICEK Ladislav, Johan Svendsen et les Franckistes. In Rhapsodie norvégienne. Les musiciens norvégiens en France au temps de Grieg, Presses Universitaires de Caen, 1994.