Un Sibelius orchestral fervent et enthousiasmant par Susanna Mälkki
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Jean Sibelius (1865-1957) : Suite Karelia, op. 11 ; Rakastava, op. 14 ; Lemminkaïnen, op. 22. Orchestre philharmonique d’Helsinki ; Susanna Mälkki, direction. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré à Helsinki, en 2020, 2021 et 2023. Notice de présentation en finnois, anglais, allemand, français. Durée : 78:38
BIS RecordsSusanna Mälkki bénéficie des pupitres impeccables de l'Orchestre philharmonique d'Helsinki pour une interprétation idiosyncrasique de ces légendes nordiques mises en musique par Sibelius.
La suite Karelia illustre l'histoire de la province de Carélie, région où Elias Lönnrot a écrit son Kalevala, facteur promotionnel majeur de la culture populaire de cette région frontalière avec la Russie, laquelle s'attachait à museler ces élans d'autonomie. Une soirée fut organisée à Helsinki le 13 novembre 1913 en vue de promouvoir un événement patriotique pour lequel Sibelius composa une ouverture et huit tableaux. Vers 1894, le compositeur proposa une version de concert comprenant trois parties : Intermezzo, Ballade et Alla marcia. Le célèbre chef finlandais Robert Kajanus, fondateur de la Société philharmonique d'Helsinki la présenta officiellement en octobre. Sous la baguette de Susanna Mälkki et de l'Orchestre philharmonique d'Helsinki la splendide fresque du jeune compositeur brille de mille feux. L'Intermezzo, magistralement orchestré, en déroule le climat sérieux et poétique à la fois, les alternances de sections presque mélancoliques et les élans martiaux invitant à enthousiasmer le peuple finlandais par le biais de cet appel prégnant et volontaire aux cuivres, qui structure le mouvement sur ce même thème militaire et optimiste repris par l'ensemble de l'orchestre. La Ballade commence par une phrase lente et retenue vite remplacée par une section confiée aux cordes et enrichie par les cordes. Un crescendo paisible s'organise autour de tous les pupitres rêveurs dans un premier temps et après une courte hésitation chante un thème chaleureux, contenu et répété puis une amplification progresse sans débordement mais avec délicatesse illustrant cette ballade gracieuse. Pleine de fougue et d'énergie une marche de toute beauté (Alla marcia) entraîne l'auditeur dans un monde fêtant l'optimisme et les ferveurs populaires grâce à une orchestration habile, dansante et engageante du meilleur effet.
Rakastava (L'Amant) dans cette version pour cordes, timbales et triangle, que le compositeur élabora à l'époque autour de 1911-1912, conserva l'atmosphère lyrique du Kanteletar que le maître illustre brillamment avec une musique songeuse, méditative, raffinée et subtile, délicate peinture d'un monde éthéré abordé dans chacun des trois mouvements, nommés L'Amoureux, Le Chemin de la bien-aimée et Bonne nuit ! … Adieu.
Lemminkaïnen, quatre légendes du Kalevala, conte les aventures du héros, sorte de Don Juan tragicomique, avec une inventivité et une fougue d'une rare intensité. Le maniement orchestral de Sibelius plonge l'auditeur dans un monde sonore volcanique, plein de rebondissements et de trouvailles qui lui inspirent cette épopée fougueuse, comme dans le premier poème intitulé Lemminkaïnen et les jeunes filles de l'île, remarquablement charpenté et intensifié par un art consommé de la variation et de l'exploration géniale d'atmosphères fantastiques que traduisent au mieux les interprètes de cette gravure. Le second volet, le fameux Cygne de Tuonela où le cor anglais solo aux sonorités troublantes, joue un rôle majeur faisant parfois songer à Wagner mais ne s'avère en aucun cas épigonique. Il baigne dans une temporalité suspendue justifiant les qualificatifs de féerique et enchanteur.
L'habileté soutenue et le souffle créateur régénéré en permanence des deux dernières Légendes, Lemminkaïnen à Tuonela et Le Retour de Lemminkaïnen, continuent de suivre les grands événements du récit mais animent aussi, sans faiblir, l'inspiration singulière du compositeur, infatigable pourvoyeur de thèmes, de rythmes et d'ambiances renouvelés, variés et échevelés. Sibelius écrivit Lemminkaïen en 1893 et 1895 et procéda à plusieurs révisons, notamment en 1897, 1900 et 1939.
Tout au long de cette précieuse livraison la direction de Susanna Mälkki en impose par son respect maîtrisé et inspiré du texte, son autorité indéniable sur l'ensemble des pupitres et les nuances parfaites, oscillant entre lyrisme délicat, éclats épiques intenses et clarté sonore justifiée, qu'elle transmet à ses troupes de l'Orchestre philharmonique d'Helsinki.
La discographie pléthorique de la musique de Sibelius offre de nombreuses interprétations remarquables. Susanna Mälkki se positionne dans le peloton de tête des enregistrements de la Suite Lemminkäinen. Elle concurrence sérieusement les réussites de Paavo Järvi (1996, Virgin), Osmo Vänskä (1999, BIS), Neeme Järvi (1985, BIS), Esa-Pekka Salonen (1991, Sony) et Petri Sakari (1997, Naxos). Karelia brille de mille feux avec Sakari Oramo (2001, Erato) et Robert Kajanus (1930, Finlandia) tandis que Rakastava bénéficie d'un rendu sombre et impressionnant sous la baguette de Osmo Vänskä (2005, BIS).
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Jean Sibelius (1865-1957) : Suite Karelia, op. 11 ; Rakastava, op. 14 ; Lemminkaïnen, op. 22. Orchestre philharmonique d’Helsinki ; Susanna Mälkki, direction. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré à Helsinki, en 2020, 2021 et 2023. Notice de présentation en finnois, anglais, allemand, français. Durée : 78:38
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