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Retour de la pianiste prodige Alexandra Dovgan au Théâtre des Champs-Élysées

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Paris.Théâtre des Champs-Élysées. 05-V-2024. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Partita pour clavier n°6 en mi mineur BWV 830 ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Corelli op.42 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate-Fantaisie pour piano n°2 en sol dièse mineur OP.19. Alexandra Dovgan, piano

La jeune pianiste russe qui avait déjà impressionné à seulement douze ans, puis deux ans plus tard en 2022, a été ovationnée du parterre au dernier balcon du théâtre de l'avenue Montaigne plein à craquer. 

qui n'a pas encore 17 ans a encore cette image de jeune prodige qui attise l'intérêt du public venu en grand nombre. Elle revient pour ce récital parisien (Jeanine Roze production) avec un nouveau programme bien conçu, enchaînant Johann-Sebastian Bach, et .

Longue et fine comme une liane, elle traverse la scène comme si elle était chez elle, l'allure décidée. C'est ce qui frappe aussi lorsqu'avec affirmation et aplomb, elle lance sur le clavier les premiers arpèges de la Partita n°6 BWV 830 de J.S. Bach, dressant le début de sa Toccata dans la verticalité de ses harmonies. Décontenançant, mais pourquoi pas ?…L'horizontalité arrive plus loin, dans les double-croches déroulées sur une basse imperturbable qu'elle écoute en permanence. C'est dans cette continuité de discours, cette égalité de toucher qu'elle conduit le contrepoint qui suit avec un grand sens des équilibres et sans excès expressif. Son phrasé raffiné est servi par une articulation fine et toujours claire, sur une main gauche impassible, unificatrice. La Courante est animée d'une belle vitalité, la pianiste usant d'une palette de nuances contrastées. Les reprises, jamais à l'identique, exposent parfois des contrechants inventés, voire improbables, mais ne nuisant pas au flux musical. La Sarabande passe de l'intériorité à un excès de dramaturgie théâtrale, qui disparaît comme il est arrivé, repliant la musique sur elle-même. Dans le Tempo di Gavotta, la luxuriance de l'ornementation, souvent épineuse au piano, demeure parfaitement intégrée au tissus du discours, sans le surcharger, abordée dans un esprit ludique.

Le baroque est à la charnière de la pièce qui suit : les Variations sur un thème de Corelli op.42 de Rachmaninov, dont elle aborde « la Folia » avec sobriété et recueillement. Dire qu'elle tend une grande arche de la première à la vingtième variation ne serait pas totalement vrai : est dans l'écoute du détail, de la sonorité du moment, parsemant d'idées musicales le propos, sous un toucher élégant cherchant la couleur. Dire qu'elle n'a pas de vue d'ensemble serait tout aussi faux, car elle ne passe pas à côté de la fluidité générale nonobstant les ruptures de tempi, ni de l'atmosphère de l'œuvre, énigmatique et mélancolique, ménageant de belles respirations. Le toucher ici impalpable, là furtif, le legato chantant de la rêveuse quinzième Variation n'excluent pas la poigne et l'autorité dont elle sait faire preuve dans les onzième et douzième variations, puis dans l'emportement des dernières « più mosso » qui débouchent sur l'éclaircie miraculeuse de la coda. 

Le début de la Sonate-Fantaisie n°2 op.19 de Scriabine laisse dubitatif. Murmuré et mat, il passerait presque inaperçu, manquant de consistance, de présence sonore. Mais la suite heureusement se déploie dans un chant délié et expressif suivant une gradation naturelle de la nuance jamais forcée, dans un élan romantique d'une noblesse chopinienne. Le jeu souvent arachnéen, parfois désincarné reste subtilement coloré. Le Finale Presto s'envole sous ses doigts dont l'agilité ne rencontre aucun obstacle. La jeune pianiste formée auprès de Grigory Sokolov fait preuve dans l'ensemble de ce programme d'une personnalité affirmée et d'un degré de maturité remarquable, qui n'excluent pas que l'on pressente chez elle ce qui est encore en devenir. Une artiste de grande valeur à suivre indubitablement.

Copieusement applaudie, elle n'a pas envie de quitter la scène de sitôt, prolongeant son récital de nombreux bis ( Étude op.2 n°1 de Scriabine, Prélude op.32 n°12 de Rachmaninov, et surtout une élégante Valse op.64 n°2 de Chopin joliment phrasée…), s'achevant avec  Jésus que ma joie demeure de J.S. Bach dans l'arrangement de Myra Hess, aux pianissimi un peu trop confidentiels, effet « hors sol » voulu manifestement mais causant un déséquilibre. On aurait ici préféré une élocution plus naturelle qui aurait gagné en ferveur.

Crédits photographiques © Irina Schymchak (portrait) ; Photo de concert © Jany Campello/ResMusica

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Paris.Théâtre des Champs-Élysées. 05-V-2024. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Partita pour clavier n°6 en mi mineur BWV 830 ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Corelli op.42 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate-Fantaisie pour piano n°2 en sol dièse mineur OP.19. Alexandra Dovgan, piano

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